Cet article est le deuxième dans OrientAction de la série thématique «Compétences culturelles». Restez à l’affût sur OrientAction dans les jours à venir pour plus d’articles thématiques, ou inscrivez-vous à notre infolettre hebdomadaire OrientAction en bref pour recevoir les publications thématiques.
Intervenir auprès des personnes immigrantes requiert des compétences spécifiques à l’interculturalité afin de les aider à composer avec la culture de leur société d’origine et celle de la société d’accueil. Dans cet article, nous aborderons les compétences interculturelles selon les attitudes définies dans Morissette, Gourde, Goyer, Dionne et Bengaly (2024), soit l’attitude de compréhension face à l’autre et à sa culture, la connaissance des enjeux sous-jacents aux différences culturelles, l’attitude de vigilance par rapport au piège de l’assimilation et l’attitude de vigilance face aux biais inconscients.
Comme dans toute relation d’aide, l’écoute et la compréhension de l’autre représentent la base du lien de confiance et permettent au conseiller ou à la conseillère de construire ses interventions et ses hypothèses de travail pour l’accompagner dans ses objectifs.
Ainsi l’attitude de compréhension face à l’autre et à sa culture, première compétence interculturelle, prend une place déterminante dans la relation. Pour la personne conseillère, cela signifie qu’elle se place dans une disposition interne où elle reçoit et invite l’autre à communiquer sa vision du monde : ses pensées, ses opinions, ses valeurs, ses us et coutumes, etc. Elle porte une attention à ses interprétations, provenant de sa propre culture, qui pourraient déformer la justesse des propos de la personne immigrante. Tel est le défi : entendre le monde de l’autre sans se laisser distraire par sa propre culture. Ainsi différencier sa culture de celle de l’autre pour en arriver à comprendre le monde de l’autre fait référence à une forme d’empathie culturelle (Abkherz et McMahon, 2017; Arthur et Januszkowski, 2001; Bimrose et McNair, 2011; Fouad et Bryars-Winston, 2005; Massengale et al., 2020 ; Vespia et al., 2010).
Par conséquent, le développement de l’attitude de compréhension face à l’autre et à sa culture requiert également la deuxième compétence interculturelle, soit la connaissance des enjeux sous-jacents aux différences culturelles. Connaître et comprendre les pratiques culturelles de l’autre n’est certes pas suffisant pour favoriser l’alliance de travail et l’accompagnement. La conscience de sa propre culture, notamment de ses valeurs personnelles et aussi de son niveau d’adhésion aux valeurs de la société, contribue au développement de ses compétences interculturelles. Cette connaissance de soi permet d’être davantage en conscience dans ses interventions et de connaitre plus rapidement leur impact sur la personne immigrante. Le manque de reconnaissance de l’impact sur l’autre peut être destructeur pour l’alliance de travail et sur l’identité de l’autre (Arthur, 2021, Arthur et Collins, 2017). Également, cette conscience de soi peut permettre d’être en contact avec de possibles tensions internes pouvant être vécues dans l’expression de différences culturelles touchant particulièrement les valeurs. La conscience de leur présence peut favoriser une compréhension des enjeux relationnels et par conséquent l’identification d’interventions ajustées pour mieux se réguler (Cohen-Émérique, 2007, 2013). Ainsi, développer sa pratique réflexive sur ses interventions devient primordial lorsque l’on travaille auprès des personnes d’autres cultures (Arthur et Januszkowski, 2001; Cedefop, 2014; Goyer, 2003; 2005).
La conscience de soi permet aussi d’adopter une attitude de vigilance et d’ouverture par rapport au piège de l’assimilation, troisième compétence interculturelle. En fait, l’American Psychological Association (2017), porte une attention spéciale à ce propos, puisque quiconque intervient auprès des personnes immigrantes peut être exposé au piège de l’assimilation, et ce, souvent inconsciemment. En effet, l’assimilation consiste à vouloir (consciemment ou inconsciemment), par exemple que la personne immigrante agisse comme les personnes de la culture d’accueil sans égard à sa culture d’origine, ses ressources culturelles ou avoir une tendance (consciente ou inconsciente) à amplifier les différences et à se positionner de manière défavorable sur la culture de l’autre (« eux autres », « nous autres »). Cette attitude, que l’on nomme aussi l’ethnocentrisme, peut avoir un effet sur l’intégration même de la personne, car celle-ci ne peut se distancer d’elle-même. Ainsi, ne pas chercher à comprendre sa propre vision du monde avec celle de la société d’accueil peut entrainer davantage la marginalisation. C’est par la pratique réflexive que le conseiller ou la conseillère peut identifier et corriger ses possibles propos d’assimilation pour ensuite développer des interventions adaptées qui tiennent compte des deux cultures.
La quatrième compétence se décline comme l’attitude de vigilance et d’ouverture face aux biais inconscients. En fait, « les biais inconscients se réfèrent à des jugements spontanés, automatiques envers une personne ou un groupe, qui sont portés sans détenir les informations nécessaires pour évaluer la situation objectivement. Ils peuvent s’immiscer de manière involontaire dans l’attitude de la personne conseillère et influer sur son intervention auprès des personnes réfugiées (p. 76, Morissette et al, 2024)
Les biais inconscients peuvent influer sur la manière de se représenter la culture d’accueil et soi-même dans cette culture. Ainsi, ils pourraient déterminer leur action, leur objectif d’orientation, d’intégration en fonction de distorsions cognitives, par exemple. Il est recommandé de se familiariser avec les statuts d’immigration, les droits, les égalités des chances en matière d’emploi et même les aspects stigmatisant les groupes minoritaires.Pour obtenir plus de détails sur chacune des compétences interculturelles, nous vous invitons à lire l’ouvrage complet de Morissette et al. (2024), offert sur le site du CERIC.
BIBLIOGRAPHIE
Abkhezr, P. et McMahon, M. (2017). Narrative career counselling for people with refugee backgrounds. International journal for advancement of counselling, 39, 99-11. Doi: 10.1007/s10447-017-9285-z.
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Bimrose, J. & McNair, S. (2011). «Career support for migrants: transformation or adaptation?» Journal of vocational behavior, 78(2011) 325-333. Doi: 10.1016/j.jvb.2011.03.012.
Brière, S., Auclair, I., Keyser-Verreault, A., Laplanche, L., Pulido, B., St-Georges, J., Savard, B. et Stockless, A. (2022). Biais inconscients et comportements inclusifs dans les organisations. Collection EDI2. Presses de l’Université Laval. https://www.pulaval.com/libreacces/9782763752716.pdf
Cedefop (2014). Valuing diversity: guidance for labour market integration of migrants. Publications Office of the European Union. Cedefop working paper; No 24.
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Cohen Émerique, M. (2007). L’approche interculturelle dans le travail auprès des migrants. Formazione interculturale: teoria e pratica. Translated from Italian. Unicopli. Consulté le 1er février 2021 sur http://www.cohen-emerique.fr/medias/files/cohen-emerique-2007-chapitre-l-approche-interculturelle-aipres-migrants.pdf.
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Massengale, M., Shebuski, K.M., Karaga, S., Choe, E., Hong, J., Hunter, T.L. & Dispenza, F. (2020). «Psychology of working theory with refugee persons: applications for career counseling ». Journal of career development, 47(5), 562-605. Doi: 10.1177/0894845319832670.
Morissette, J., Gourde, A., Goyer, L., Dionne, P. et Bengaly, M. (2024). L’accompagnement visant l’intégration des personnes réfugiées faiblement scolarisées : une perspective interculturelle en orientation. CERIC. https://ceric.ca/fr/publications/laccompagnement-visant-lintegration-des-personnes-refugiees-faiblement-scolarisees-une-perspective-interculturelle-en-orientation/
Vespia, K. M., Fitzpatrick, M. E., Fouad, N. A., Kantamneni, N. & Chen, Y.-L. (2010). «Multicultural career counseling: a national survey of competencies and practices ». The career development quarterly, 59(sept. 2010), 54-71.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.