Je suis un conservateur au sens muséal du terme, c’est-à-dire que je conserve de façon organisée (ordre alphabétique, chronologique ou autre) des choses, essentiellement des documents « personnels » comme des préparations de cours ou de conférences, des notes et du matériel en lien avec une formation ou un atelier spécifique, et ainsi de suite.
Ainsi, même si lors de mon départ de l’université à la fin du siècle dernier j’ai donné plusieurs caisses de livres à des bibliothèques et à des personnes ciblées et surtout j’ai incinéré —confidentialité oblige– des dizaines et des dizaines de documents, j’ai quand même ramené chez-moi près de 3,50 mètres de chemises bien garnies, certaines remontant jusqu’à l’aube de ma carrière universitaire début 70.
Encore aujourd’hui, chaque fois que je suis sollicité pour une prestation quelconque dans un organisme dans lequel je suis déjà intervenu, je me fais un devoir de survoler ce que j’avais alors abordé, entre autres, le contexte, les objectifs, le contenu, la méthodologie et les évaluations plus ou moins formelles qui en suivirent. Du coup je me fais un vilain plaisir d’amorcer ma nouvelle contribution en disant que, lors de mon précédent passage, j’avais traité tel ou tel sujet de telle ou telle manière, soit à la demande des organisateurs d’alors ou soit à la suite de mon analyse des tenants et des aboutissants de cette demande et, qu’en conséquence, leur requête d’aujourd’hui devrait, me semble-t-il, être abordée de la façon suivante pour telle ou telle raison…
Or plus je m’éloigne de la date où j’ai remis la clé de mon bureau à mon Doyen, plus je me dis qu’il serait temps de faire un tri —voire un grand ménage— dans ces archives personnalisées, une telle pensée me venant généralement lorsque je vis une accalmie professionnelle quelque peu prolongée comme maintenant, c’est-à-dire le plus souvent au printemps. Alors l’expression « ménage du printemps prend tout son sens ».
Or, les trois ou quatre derniers printemps dont celui-ci, lorsque je me mets en train d’entreprendre ce délestage matériel et surtout affectif, chaque fois survient une, deux voire trois requêtes m’obligeant à consulter lesdits documents, certains longtemps archivés.
À l’occasion de ces fouilles documentaires, les cas de figure se présentent comme ledit matériel est fondamentalement encore très à jour ou très pertinent donc qu’il suffit de l’actualiser pour le mettre au goût des nouvelles générations ou ledit matériel laissait déjà présager qu’une suite serait nécessaire comme le confirme cette nouvelle requête ou encore ledit matériel est devenu périmé et qu’il est temps de passer à autre chose, peut-être même si nécessaire à un nouveau messager. Dans ce cas, j’en fais part aux nouveaux requérants et, au besoin, je suggère une alternative.
Par conséquent, ce n’est pas cette année que je vous convierai à un feu de joie alimenté par ma pile d’archives quoique chaque fois que je revisite ces chemises, plusieurs d’entre elles sont allégées d’une manière ou d’une autre.
Mes successeurs ont sans aucun doute déjà opté pour un archivage dématérialisé faisant davantage confiance à quelques nuages cumulus, mais je leur souhaite que plusieurs de leurs contributions soient marquées par le sceau de la pérennité.