Nous y sommes donc. Depuis au moins 20 ans qu’on en parle. Autant d’années à l’anticiper. Comme un accident prévisible, au ralenti; chronique d’un écueil annoncé. La population du Canada vieillit. Ainsi, selon les provinces, pour toutes les 100 personnes qui sortent du marché de l’emploi pour aller vers la retraite, de 80 à 90 y font leur entrée. Compte tenu de la vigueur de l’économie, on parle donc de plus en plus, à juste titre, de pénurie de main-d’œuvre.
Dans ce contexte, le pouvoir de négociation des individus s’accroît, de même que les conditions générales de rémunération. De plus, on fait allusion et surtout on s’ouvre davantage aux concepts d’équilibre/vie personnelle, à la modulation de l’horaire type, en passant par la semaine de quatre jours, et le travail hybride, etc.
On s’intéresse aussi, de façon concrète, à la diversité de la main-d’œuvre. On cherche à comprendre, peut-être pas toujours de la bonne manière, nos angles morts, nos lacunes « systémiques ». Chaque personne compte, on le réalise, lentement.
On assiste à d’importants investissements publics en perfectionnement et en rehaussement de compétences.
Bref, on cherche globalement à s’ajuster. De la grande société publique à la PME. Aussi présents et discutés médiatiquement soient-ils, ces éléments ne sont que la partie visible, transactionnelle, de transformations profondes, voire tectoniques.
De fait, les effets du vieillissement seront compensés d’ici une dizaine d’années par une certaine reprise démographique, de même que par l’immigration et les gains de productivité de nos organisations, dopés par l’utilisation accrue des technologies. Idem pour les effets de la pandémie et de la reprise économique actuelle, qui s’estomperont avec le temps.
La rigidité relative et « historique » des organisations par rapport au télétravail, à la flexibilité des horaires et à une plus grande autonomie des employés fera place à plus d’ouverture. Nous ne faisons en cela que suivre le train des « opportunités technologiques ».
La diversité (de genre, de culture, etc.) en emploi, concept quelque peu anachronique dans notre société historiquement métissée, sera inévitablement normalisée jusqu’à devenir un « non-enjeux ».
Certes, d’ici à ce que tout cela se concrétise, nous devrons surmonter des défis colossaux; colossaux, mais relativement temporaires. Les véritables changements sont beaucoup plus fondamentaux.
D’abord, nous prenons peu à peu la mesure de la nature de « l’économie du savoir ». D’un vague concept d’une « quatrième révolution industrielle », basée sur la technologie, la donnée et l’intelligence artificielle, on comprend maintenant mieux les éléments constitutifs d’un univers professionnel qui se complexifie et qui nécessite des connaissances poussées, actualisées et une grande capacité d’échanges interexpertises.
Ensuite, dans un univers hyperconnecté où l’accès à l’information, aux données, est infini, quelle est la place de l’humain? Afin d’avoir une valeur professionnelle ajoutée pour nos clients, nos collègues et partenaires, nous nous devons de créer des relations interpersonnelles authentiques et empathiques. Nous sommes appelés à interagir de façon cohérente et sincère avec un nombre plus important de personnes. Écouter, comprendre l’autre nous permettra d’anticiper, de collaborer et de contribuer à un niveau supérieur.
Finalement, dans un monde complexe, évolutif, nous nous devons de prendre de l’altitude. Il n’est plus suffisant de comprendre son travail ni celui de ses collègues immédiats. Plutôt que de subir les effets de décisions qui peuvent paraître déconnectées de notre point de vue limité, nous avons intérêt à gagner de la perspective : qu’est-ce qui influence mon organisation? Quelles sont les conditions géo-politiques-économiques-technologiques actuelles? Les tendances?
Le sens de notre monde, aussi complexe et incertain puisse-t-il être, nous apparaît pour peu que l’on gagne en hauteur. Les véritables changements ne font pas la une des médias. Ils ne sont pas (ou ils sont peu) discutés par les administrateurs de sociétés ou les investisseurs. Nos défis sont et seront tout autres : former des millions d’individus, en continu, à la fois d’un point de vue fondamental et technique, spécialisé et généraliste. Le tout de sorte qu’ils soient mieux outillés dans leur connaissance d’eux-mêmes et dans leurs interactions avec les autres. Vaste chantier.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.