Décision de carrière : émotive ou rationnelle?
Marché du travail

Décision de carrière : émotive ou rationnelle?

Temps de lecture : 4 minutes

Lorsque vous prenez une décision importante, avez-vous tendance à procéder de façon logique et rationnelle ou laissez-vous plutôt place à vos émotions et à votre intuition? Repensez à certaines grandes étapes de votre vie (partenaire de vie, études, travail, acquisition d’un logement, etc.). Avez-vous remarqué que le regard que l’on pose sur le monde est bien souvent teinté d’émotions? Nos expériences émotionnelles antérieures, nos souvenirs et notre sensibilité contribuent à l’interprétation que notre cerveau fait de la réalité et guident notre conduite ainsi que la prise de décision.  

L’avancement des recherches en neuroscience démontre que les émotions et les décisions sont interreliées. De plus, la prise de décision est compromise lorsqu’une personne n’a pas accès à ses émotions (ex. : alexithymie ou lésions cérébrales). En tant que spécialiste du développement de carrière, il est légitime de nous questionner sur l’importance des émotions lors de la prise de décision de carrière. Voici quelques pistes susceptibles de nous éclairer.  

L’avancement des recherches en neuroscience démontre que les émotions et les décisions sont interreliées.
Les émotions 

De nombreuses émotions peuvent être ressenties au quotidien. Bien entendu, nous n’arrivons pas à nous souvenir de toutes les émotions que nous ressentons. La plupart des émotions sont de passage (certaines ne durent que quelques millisecondes). Toutefois, nous retenons celles qui sont plus intenses et marquantes pour nous. Il n’est pas rare que celles-ci aient tendance à persister davantage dans le temps, surtout s’il nous est plus difficile de les réguler. Dans les documents  consultés sur le sujet, il est noté que les émotions ont plusieurs utilités, dont celles : 

      • de nous informer sur notre relation envers nous-mêmes et les autres; 
      • d’attirer l’attention sur ce qui a de l’importance pour nous; 
      • de nous aider à établir nos priorités d’action; 
      • de nous motiver vers l’atteinte potentielle de nos objectifs et de notre bien-être. 

Les émotions et le choix de carrière 

Évoluant dans un marché du travail en pleine effervescence et un monde scolaire en transformation, ne serait-il pas pertinent de nous centrer sur nous et d’être à l’écoute de nos émotions afin de faire des choix de carrière avisés? La variable émotionnelle gagne à être davantage prise en compte dans le développement de carrière, puisque : 

      • le processus cognitif à lui seul ne peut prendre en considération toutes les données nécessaires au traitement de l’information lors d’une décision de carrière (1); 
      • les émotions sont essentielles à la prise de décision de carrière par ses sensations de bien-être ou de mal-être (2); 
      • la compréhension des émotions facilite le processus de prise de décision de carrière (3); 
      • les émotions occupent une place significative dans le développement de carrière. Elles donnent du sens à l’action, régulent le comportement et en motivent l’action (4). 

Il apparaît donc que les émotions s’invitent naturellement au processus de décision de carrière, mais en tient-on vraiment compte? Est-ce que nos interventions en counseling de carrière leur accordent suffisamment d’attention? Sommes-nous à l’aise d’explorer les émotions ressenties par nos clients?

Considérant que la régulation émotionnelle est un défi de taille, il est possible que certains aient besoin d’accompagnement à ce niveau afin de voir plus clair dans leur situation et se sentir plus en mesure d’effectuer des choix qui leur conviennent.

Voici quatre actions qui semblent favorables à cette démarche, tout en respectant les limites de ses compétences professionnelles. Premièrement, offrir l’opportunité au client de partager son expérience émotionnelle au cours des séances de counseling. En démontrant de la réceptivité au vécu émotionnel, ceux qui se sentent plus près de leurs émotions percevront cette porte ouverte. Deuxièmement, aider à reconnaître l’émotion ressentie plus intensément. Amener le client à nommer ce qu’il vit tout en attribuant le vocabulaire qui décrit bien son émotion. Troisièmement, explorer la signification que prend cette émotion. Que veut-elle dire? Quel message tente-t-elle de lui livrer? Le client possède sa propre interprétation et peut dégager ce qui crée du sens pour lui (6). Cela peut également le mener vers des actions susceptibles de le guider dans la clarification de son choix de carrière. Puis, quatrièmement, explorer comment le client met en dialogue son émotivité et sa rationalité dans sa prise de décision de carrière, l’amener à en prendre conscience.  

Bien que le développement des compétences émotionnelles et sociales fasse de plus en plus son apparition dans les écoles primaires, peu de recherche s’intéresse à la façon dont la régulation émotionnelle est enseignée dans les programmes de formation initiale en développement de carrière (5). Pourtant, la régulation émotionnelle dans le cadre du counseling de carrière peut être bénéfique tant pour la personne qui consulte que pour celle qui intervient. Les émotions peuvent en quelque sorte agir à titre de sentinelles de notre bien-être et de notre épanouissement personnel et professionnel.  

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre. 

  

Références

  1. Krieshok, T.S., Black, M.D. et McKay, R.A. (2009). « Career decision making: The limits of rationality and the abundance of non-conscious processes ». Journal of Vocational Behavior, 75(3), 275-290. https://doi.org/10.1016/j.jvb.2009.04.006
  1. Danvers, F. (2009). S’orienter dans la vie : une valeur suprême? Essai d’anthropologie de la formation. Dictionnaire de sciences humaines et sociales. Presses universitaires du Septentrion. 
  1. Emmerling, R. J., et Cherniss, C. (2003). « Emotional intelligence and the career choice process ». Journal of Career Assessment, 11(2), 153-167. https://doi.org/10.1177/1069072703011002003
  1. Young, R. A., Valach, L., & Collin, A. (2002). «A contextualist explanation of career» dans D. Brown and associates, Career choice and development (pp. 206-252). Jossey-Bass.
  1. 5. Prikhidko, A., Su, Y-W., Houseknecht, A. et Swank, M. (2020). « Emotion regulation for counselors-in-training: A grounded theory ». Counselor Education & Supervision, 59, 96-111. DOI :1002/ceas.12169
  1. Prévost, V. (2021). Étude de l’expérience émotionnelle des élèves de la dernière année des études secondaires au cours du processus décisionnel de carrière. [Thèse de doctorat, Université de Sherbrooke]. 
Vicky Prévost est titulaire d’un doctorat en éducation et stagiaire postdoctorale. Elle est conseillère d’orientation depuis plus de vingt ans et a également enseigné à l’université. Ses intérêts de recherche portent sur l’expérience émotionnelle au cours du processus décisionnel de carrière ainsi qu’en contexte de supervision clinique.
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Vicky Prévost est titulaire d’un doctorat en éducation et stagiaire postdoctorale. Elle est conseillère d’orientation depuis plus de vingt ans et a également enseigné à l’université. Ses intérêts de recherche portent sur l’expérience émotionnelle au cours du processus décisionnel de carrière ainsi qu’en contexte de supervision clinique.
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