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Lorsque j’étais conseillère en emploi, j’ai été confrontée à diverses situations et problématiques. J’ai rarement conseillé des personnes qui avaient une maladie invisible, comme des maux de dos chroniques, des migraines chroniques, une maladie inflammatoire de l’intestin ou de la fibromyalgie. Cependant, je me suis toujours demandé s’il était préférable de dévoiler ou non une maladie chronique en entrevue.
Afin de répondre à cette question, j’ai rencontré Alexandra et Marisa. Alexandra a travaillé plusieurs années chez AIM CROIT et elle occupe maintenant le poste de conseillère aux étudiants en situation de handicap à l’Université de Montréal. Pour sa part, Marisa cumule plusieurs années d’expérience professionnelle auprès de diverses clientèles, dont les personnes qui vivent avec un handicap ou une maladie invisible, notamment en tant que conceptrice, formatrice et gestionnaire de programmes de formation qui facilitent l’accessibilité et l’efficacité.
En faveur
Selon Alexandra, la personne devrait dévoiler sa maladie chronique en entrevue si la maladie et les douleurs affectent le travail, les tâches ou la productivité. L’objectif étant de trouver des accommodements qui facilitent l’intégration à l’emploi. Il s’agit, par exemple, de « prendre des pauses, d’avoir une charge de travail plus légère et un horaire flexible ». Comme l’explique Alexandra, une telle ouverture peut permettre des absences plus fréquentes pour des traitements, des absences de maladie ou des rendez-vous médicaux. Dans certains cas, des subventions salariales sont possibles pour les personnes dont la situation répond à la définition de l’Office des personnes handicapées du Québec.
D’après elle, si la personne cliente est préparée pour l’entrevue, qu’elle prend le temps de connecter avec l’employeur et qu’elle présente clairement sa limitation avec des solutions, elle met toutes les chances de son côté d’être embauchée par un employeur qui l’acceptera comme elle est.
De cette façon, elle montre à l’employeur qu’elle a pris le temps de réfléchir à sa problématique, qu’elle connaît ses limites et ses besoins et qu’elle sait ce dont elle a besoin pour être productive et efficace. Le but est donc de rassurer l’employeur.
De son côté, Marisa constate elle aussi certains avantages à nommer sa limitation en entrevue. D’abord, il y a le sentiment d’authenticité qui en ressort. Ensuite, nommer sa maladie se fait dans l’affirmation de soi, ce qui permet subséquemment le respect de ses limites. Finalement, le client s’offre la possibilité d’être accepté tel qu’il est, avec ses limitations.
En défaveur
Dans un monde idéal, avoir une maladie chronique n’aurait pas d’impact sur l’embauche. Toutefois, l’individu est en compétition avec d’autres candidats qui n’ont pas de maladie. La maladie invisible est souvent perçue comme une faiblesse qui nuit à la productivité. Ainsi, parler de sa maladie en entrevue vient avec le risque de ne pas obtenir l’emploi. Ce risque, c’est la principale raison pour laquelle une personne choisirait de ne pas en parler.
La personne qui a une maladie chronique est déjà limitée dans son choix de carrière lorsqu’elle tient compte de ses besoins et limites. L’entonnoir des possibilités se resserre lorsqu’elle mentionne sa maladie en entrevue, ce qui favorise la précarité. Nommer sa maladie en entrevue est en quelque sorte un terrain fertile pour la culture de la précarité. Plus le poste est intéressant et payant, plus il y a de compétition, et plus cette limitation devient une raison « cachée » d’embaucher une autre personne.
Dévoiler ou non sa maladie invisible en entrevue est un choix très difficile. D’un côté, en le nommant, la personne est authentique et elle prend la chance d’être acceptée authentiquement avec ses limitations. D’un autre côté, elle risque de ne pas obtenir l’emploi qui lui permettrait de survivre ou d’évoluer dans sa carrière. La question est donc : qu’est-ce qui pèse le plus dans la balance en ce moment?
L’employeur et l’employé se choisissent mutuellement. Si le client n’est pas à l’aise de parler de son problème de santé en entrevue et qu’il veut explorer la flexibilité de l’employeur, Marisa suggère de poser des questions au sujet de la souplesse de l’horaire, de la conciliation travail-famille et des possibilités de travailler à partir de chez soi, entre autres. D’autant plus que dans l’univers actuel de pénurie de main-d’œuvre, le chercheur d’emploi peut aussi avoir ses exigences.
Par ailleurs, il y a toute la question de l’identité qui se rattache à la maladie, comme l’explique Marisa. Pour certains, ce peut être difficile d’être jugé et de se percevoir comme étant « défectueux » aux yeux des autres. L’individu a le droit de ne pas partager cette information.
D’autres personnes revendiquent leur limitation comme faisant partie de leur identité. Marisa ajoute qu’« elles sont fières de qui elles sont, qu’elles sont des personnes à part entière. » C’est un mouvement qui sort des sentiers battus et qui est porté par des valeurs d’empathie, de justice et d’équité.
Ce que vous propose cet article est une piste de réflexion afin d’amener le client à trouver sa « propre vérité », comme le dit si bien Marisa. En d’autres termes, c’est du cas par cas. Si le client veut le dire en entrevue, qu’il en parle. S’il ne veut pas le dire, qu’il ne le dise pas. C’est son droit! Étudiez les conséquences avec le client et amenez-le à choisir ce qui est le mieux pour lui en considérant sa réalité, ses limites et ses besoins. Le plus important est de faire un travail d’introspection et de préparation avant l’entrevue. S’il fait le choix de parler de son problème de santé, invitez-le à parler aussi de toutes les belles aptitudes qu’il a développées en étant confronté à sa condition. En tant que conseiller en emploi ou conseiller d’orientation, vous êtes une belle ressource pour aider la personne autant dans sa préparation que dans sa réflexion, ce qui l’amènera à trouver ce qui est mieux pour elle.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.