Deux jeunes étudiants entourés de livres qui sourient.
Éducation

La culture des comportements attendus dans les écoles

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Il y a une quinzaine d’années, j’ai témoigné du commentaire d’un élève de 4e année qui a été diagnostiqué ADHD (TDAH). Sous l’effet de son médicament prescrit, l’enfant est devenu « calme » en classe. Il s’est ensuite exprimé : « Maintenant le problème de mon enseignante a-t-il été résolu? » Cette question ouvrirait la porte à une réflexion sur les différentes dimensions du comportement humain. Découlant de la culture du « quick fix », l’approche scolaire actuelle serait de minimiser, voire d’éliminer les comportements indésirables ou inacceptables. Et ce, le plus efficacement possible, tout en court-circuitant toute dialectique et réflexion profonde. C’est bien le simplisme à la base duquel ces dernières années ont vu surgir dans les écoles de l’Ontario, le concept des « comportements attendus ». 

En antidote de ce simplisme, il serait nécessaire de réfléchir aux questions suivantes : C’est quoi un comportement désirable ou indésirable, acceptable ou inacceptable? Un comportement jugé inacceptable serait-il important? Dans quel contexte un comportement indésirable devient-il désirable, ou l’inverse?

Que gagnons-nous et que perdons-nous lorsqu’un enfant apprend à « contrôler » son comportement?

Pour tenter de réfléchir à ces questions, le domaine médical et ensuite celui de la mécanique seraient en analogie avec le monde de l’éducation. 

Dans le domaine médical, le duo symptôme-maladie serait analogue à celui du comportement-besoin du domaine de l’éducation. Lorsqu’un patient se présente à une clinique, le professionnel de la santé ne limite pas ses pratiques à diminuer les symptômes, mais à diagnostiquer et fournir un traitement pour les causes profondes de ce syndrome. En deuxième analogie, sur le tableau de bord d’une auto, le duo « voyant lumineux-problème mécanique » serait également analogue au duo « comportement-besoin » en éducation. 

Que se passerait-il si on arrêtait le voyant lumineux de l’auto ou les symptômes d’un individu, sans se soucier de corriger le problème mécanique ou de santé? En fait, un bon opérateur de véhicule trouvera le voyant lumineux nécessaire pour l’informer de ce qui a besoin d’attention dans le système.

Ces deux exemples seraient analogues à un professionnel de l’éducation qui apprécierait un «  », puisque c’est un signal qui informe d’un malaise, d’une inquiétude, d’une anxiété, d’un problème familial ou d’un besoin que cet élève essaye d’exprimer. Dans une approche dialectique, un comportement, désirable ou moins désirable, serait un signe de vie, plutôt qu’un signe à combattre. L’élève exprime un besoin, souvent incapable de verbaliser, voire de reconnaître. 

Lorsqu’une personne écoute le terme « comportement attendu », elle perçoit et interprète potentiellement le message selon lequel son attitude est plus importante que son besoin. Maintenant que le comportement est ajusté aux normes, le besoin est caché, refoulé, voire coupé de la conscience. Cette dynamique intrapersonnelle va dans un sens opposé à la santé mentale.

Pour un bon pourcentage des élèves vulnérables, le comportement indésirable était le seul moyen de s’exprimer.

Souvent, ces élèves réussissent à afficher le comportement attendu. Motivé par le behaviorisme du bâton (au sens figuré) et de la carotte, la personne refoule ses émotions, ses désirs et son malaise, pour éviter les approches punitives déguisées sous forme de conséquences. Quelles seraient les conséquences à moyen et à long terme si les gens qui forment notre société étaient issus d’un système scolaire qui prône le refoulement des besoins et des émotions? 

Dans nos écoles, il est certain que le personnel enseignant est souvent sollicité pour remplir des formulaires d’observation aux fins de diagnostic psycho-médical ou psycho-éducationnel. Beaucomportements coup d’élèves se retrouvent avec des plans d’enseignement individualisés (PEI) nécessitant des adaptations qui répondraient à leur besoin spécifique, recommandés par des professionnels de la santé. Il est donc nécessaire de reconnaître que nous parlons ici de besoin. Cependant, vu que les professionnels de l’éducation se font dire que leur mandat ne devrait pas dépasser certaines limites, la culture des besoins spéciaux est donc bien établie dans un contexte très structuré, avec une dimension juridique qui rend l’exercice de la profession enseignante susceptible de robotisation. En effet, l’élève en difficulté a une liste d’adaptations qu’il faudrait cocher, particulièrement aux évaluations. En ce qui concerne les besoins de nature non scolaire, la culture des comportements attendus prend le dessus et empêche les approches pédagogiques axées sur les besoins.  

Prenons l’exemple suivant : Un élève ne suit pas les consignes. Une réponse simpliste de l’adulte serait que suivre les consignes est un comportement attendu. Lorsque l’élève ne se conforme pas, il y a des conséquences que l’élève potentiellement interprète comme une punition. L’élève « modèle » répondrait à cette approche en ajustant son comportement. L’adulte le félicitera et le problème est résolu. Voici un exemple parfait de l’exercice simpliste, court-circuité, de l’exercice de la profession. L’extrapolation de cette approche serait la discipline progressive, celle qui adopte l’intensification des conséquences dans la mesure où l’élève résiste à l’ajustement de son comportement. Durant ce processus, la communication avec les parents, qui ne sont pas censés être plus pédagogues, est une étape indispensable. Ces derniers exerceront davantage de pression pour que le jeune ajuste son comportement, comme le priver de son téléphone cellulaire pendant la fin de semaine. Je me demande où se trouve le besoin de l’élève dans tout cela? Y a-t-il eu dans toute cette chaine quelqu’un qui s’est posé la question : « Pourquoi l’élève ne suit-il pas les consignes? » Cette approche, moins simpliste, est très délicate, voire nécessitant beaucoup de courage, puisqu’elle nous met face à nous-mêmes en tant qu’adultes. Nous pouvons découvrir nos limites personnelles autant que celles du système. 

Revenons à l’élève diagnostiqué ADHD. Nous pouvons penser que le médicament prescrit a satisfait au besoin de l’élève. En fait, le médicament a juste enlevé les symptômes. Les raisons des comportements reliés à ce diagnostic sont potentiellement refoulées. L’élève « calme » reçoit maintenant du renforcement positif de la part des adultes qui l’entourent, qui ont réussi à transformer une situation difficile à gérer en une situation sous contrôle. L’élève a maintenant intégré le refoulement des émotions et l’ajustement des comportements pour s’adapter à un monde qui le contrôle, qui l’identifie et qui le cerne. La flamme de l’expression et de la créativité est maintenant éteinte, parfois à jamais, et nous avons perdu un génie qui avait un message important à nous transmettre sous forme d’un comportement attendu. Heureusement que certains individus comme Galilée, Copernic et bien d’autres ont marqué l’histoire parce qu’ils ont eu le courage de ne pas se conformer aux limites de leur époque. Dans quelle mesure l’humanité sera-t-elle capable de prendre des leçons de l’histoire en mettant en doute les étiquettes définissant ce qui n’est pas conforme aux besoins des personnes qui pensent qu’elles détiennent la vérité? En attendant que ce jour arrive, nous continuerons à prôner les identités fermées. 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.

Emad Awadalla Author
Émad Zaki Awadalla a 32 ans d’expérience en éducation au Canada et à l’international. Il est conseiller en orientation, conseiller pédagogique et enseignant de chimie et de biologie. En plus de son intérêt aux sciences, Émad s’intéresse surtout à l’approche holistique de l’éducation qui intègre la santé mentale au delà de son utilisation pour la performance scolaire. Il prône une révision de l’utilisation du terme éducation, en le distinguant de l’instruction et de l’apprentissage. 
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Emad Awadalla Author
Émad Zaki Awadalla a 32 ans d’expérience en éducation au Canada et à l’international. Il est conseiller en orientation, conseiller pédagogique et enseignant de chimie et de biologie. En plus de son intérêt aux sciences, Émad s’intéresse surtout à l’approche holistique de l’éducation qui intègre la santé mentale au delà de son utilisation pour la performance scolaire. Il prône une révision de l’utilisation du terme éducation, en le distinguant de l’instruction et de l’apprentissage. 
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