Une personne qui est devant deux chemins et qui doit atteindre une cible.
Éducation

Double touché!

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Premier touché 

Après trois ans à Boston et Montréal à compléter un doctorat, j’ai repris mes fonctions de professeur-chercheur à l’Université de Sherbrooke (UdeS) et fis quelques demandes de subvention et, le cas échéant, amorçables l’année suivante. Donc, avec un horaire peu chargé et enseignant déjà un cours sur le développement psychologique des adolescents et jeunes adultes (DPAJA), je fus approché par le responsable d’un programme de certification pour de nouveaux enseignants du collégial surtout professionnel qui avaient été embauchés pour leurs diplômes et compétences dans divers domaines comme la biologie, l’électricité, mécanique, la philosophie, la physique et les sciences infirmières. En fait, ces « étudiants » avaient déjà un 1er ou 2e cycle. 

Ayant à faire à des adultes, j’ai immédiatement pensé qu’une approche andragogique didactique expérientielle était de mise, soit avoir recours à des expériences vécues ou à des activités expérimentées in situ en classe pour induire les diverses notions théoriques. Comme la « matière » était le DPAJA soit un objectif terminal dit extrapersonnel (Limoges, 2014) , la didactique de ce cours devait essentiellement être de l’ordre du savoir avec évidemment son incidence sur le savoir-faire en importance et en temps. Il restait un bon tiers du temps pour l’expérientiel en proposant une ou deux activités de savoir-être par séance de 180 minutes. Chacune de ces activités impliquait des périodes de partage et de restitution conformément aux trois étapes proposées en ADVP : expérimenter, verbaliser et symboliser (Pelletier, 1974). 

Or, il y avait dans cette cohorte d’une trentaine d’apprenants un scientifique brillant à l’accent français qui, somme toute, jouait « bon enfant », mais à presque chaque restitution il y allait d’un commentaire tel : « Ce fut un exercice intéressant, mais qui a duré 37 minutes. Si votre objectif était de nous démontrer que nos collégiens sont tiraillés entre deux appartenances (parents ↔ pairs), vous auriez pu nous faire un exposé d’une dizaine de minutes et profiter du temps restant pour aborder d’autres aspects. »

Ces commentaires me sidéraient mais, convaincu de ma décision, je tenais bon. 

Éventuellement, je fis faire au groupe l’exercice de La ligne de vie : placer horizontalement un feuillet 8 ½ X 14; le diviser verticalement en quatre sections égales; mettre en ordonnée une gradation allant de haut en bas de +++, ++, +, 0, -, — et — avec comme critère d’évaluation : être en contrôle. Je justifiai ensuite la pertinence de tracer à partir du point 0 cette ligne les yeux fermés; un point gras servant à marquer la fin d’une section.  Après quoi, cette fois yeux ouverts, je leur demandai d’annoter les monts et vaux sur leur ligne, puis de faire un premier partage en binôme.  

Suivit alors un partage en plénière. Après un certain nombre de volontaires, notre scientifique brillant à l’accent français leva sa feuille la montrant à tous, et commença à commenter ses monts et ses vaux, se limitant alors au factuel, mais lorsqu’il amorça sa 3e section, un motton lui monta à la gorge et sa voix chancela.

Il devint inaudible et des larmes coulèrent de ses yeux.

Je le remerciai pour son témoignage et soulignai son courage. Je l’invitai ensuite à simplement rester en contact avec ce ressenti. Il acquiesça et resta coi le reste de la période. Avant la fin de celle-ci, je vérifiai s’il était à l’aise avec le fait de laisser porter ce qu’il venait de vivre. Il fit oui. 

Dans les dernières séances qui suivirent, jamais il ne refit allusions aux « pertes de temps » dues aux expérientiels. 

Deuxième touché 

Plusieurs mois plus tard, j’ai dû me rendre à une institution bancaire autre que la mienne afin de convertir une somme en devise étrangère. Après avoir rempli le bordereau à cet effet, je me présentai à la première caissière disponible. En lisant mon nom en lettres moulées au bas dudit formulaire, elle eut une montée d’émotion, me regarda, puis me demanda si elle pouvait me poser une question indiscrète. Oui, fut ma réponse. Elle désirait savoir si j’étais prof à l’UdS. Nouvel acquiescement. Alors elle devint visiblement émue m’avouant que grâce à moi son mari avait fait un changement radical dans sa vie. Durant mon cours, il était devenu résolument attentif à ses émotions ainsi qu’aux siennes, ce qui enclencha un renouveau dans leur couple. Elle me remercia chaleureusement d’avoir sauvé leur couple.  

*** 

J’ai souvenance d’avoir abordé cet événement dans un précédent billet sur ce blogue. Cependant, ce billet (comme tous ceux de la première version de ce blogue) aurait été perdu lorsque OrientAction fut transféré sur la plus récente plateforme du CERIC. Si je le reprends aujourd’hui, c’est que, 46 ans plus tard, je viens d’échanger avec un autre apprenant de ce cours qui m’a mentionné en conserver un excellent souvenir. Ingénieur en électricité, il avoua que ce cours l’avait sensibilisé à toute la dimension psychologique des relations.  

L’électronique rendrait-il caduc le proverbe disant : « Les paroles s’envolent, mais les écrits restent »? 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.