9e année
Après l’avoir perdu de vue durant 62 ans, je viens de retrouver mon ancien professeur de français de 9e année, le Frère Louis-Marie. C’était un maitre au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire à la fois un être multitalent et un modèle. Le programme de 9e de français comprenait la rédaction de compositions (une ou deux par mois, deux ou trois pages manuscrites chaque fois) et le retour des copies avec note, correction et quelques commentaires. À cette occasion, Fr. Louis-Marie lisait avec la juste intonation quelques extraits des meilleurs textes, et généralement les miens en faisaient partie. Ces petites marques d’attention suffirent à me donner confiance et à me convaincre d’écrire davantage même si des fautes se glissaient ici et là. Germa alors en moi le goût de devenir un écrivain, d’abord en herbe, rédigeant des historiettes ou courtes nouvelles, des textes élogieux à mettre sur des cartes ou des adresses à l’intention de telle ou telle personne ainsi que quelques pièces de théâtre.
L’année suivante, la situation fut diamétralement opposée. Ainsi, dès la remise de ma toute première composition de l’année, mon nouveau professeur de français insinua avec une certaine arrogance (ah, ah, je t’ai bien eu!) que, compte tenue de la maturité du propos et de son traitement, j’avais sans aucun doute plagié des extraits d’un grand auteur et, en guise de repentir, m’invita à dévoiler cet auteur. Or, bien au contraire, je revendiquai tout de go la paternité de l’entièreté de ce texte de A à Z. Alors, devant ce qu’il considérait comme de l’orgueil, voire de l’entêtement, de ma part, il me fit venir devant de classe et mettre face au mur m’invitant à réfléchir son mon attitude. Après une bonne trentaine de minutes à poireauter et afin de mettre un terme à cette humiliation, je profitai d’un moment où mes compagnons de classe étaient affairés à effectuer un exercice papier-crayon pour m’approcher du bureau du professeur et lui chuchoter d’un air contrit que lesdits extraits étaient tirés de Pieds nus dans l’aube de Félix Leclerc, ce qui, évidemment, n’était pas du tout le cas. Alors, visiblement ravi de ma contrition, il demanda l’attention de tous mes pairs, fit part de mon autodévoilement, félicita ma fructueuse réflexion et mon repentir. Retournant à ma place, je décidai alors que pour le reste de l’année mes compositions seraient plus que banales afin d’éviter que cet épisode ne se reproduise.
En fait, cette décision fut maintenue pendant au moins cinq années, c’est-à-dire jusqu’à ce que je suive deux cours intensifs sur les Méthodes créatives. J’appris alors que la mobilisation de tous les sens, les analogies, les métaphores, les focalisations externes et autres techniques de ce genre étaient l’apanage des personnes créatives, entre autres des grands auteurs. Durant ces cours, le professeur m’exempta des séances portant sur la pensée divergente, prétextant, avec une complicité certaine et une vague référence à Obélix (un autre Fr. Louis-Marie, quoi!), que je faisais déjà de la haute voltige avec ce mode de pensée.
À vrai dire, c’est à la suite de cette immersion en créativité que je donnai libre cours à mon crayon et plus tard à mon clavier. Pour reprendre une terminologie mise de l’avant à l’Union des écrivains du Québec, la tournure des choses, en particulier ma carrière comme professeur-chercheur, a fait que je suis devenu davantage un écrivant¹ qu’un écrivain quoique la rédaction de billets comme celui-ci me donne de plus en plus l’occasion de me rattraper à ce chapitre. Pour ce qui est de mon talent en arts plastiques, il est toujours en jachère bien que toujours bien présent.
Jacques, de quelle couleur est le ciel ?
2e et 6e année
En y pensant bien, si ce faux statut de plagiaire me marqua tellement, c’est peut-être qu’il me reconnectait avec un scénario similaire, cette fois en 2e année alors que j’avais participé à un concours visant à créer un macaron (en ces temps-là on disait Tag Day) pour un événement quelconque. Je gagnai le prix pour ma cohorte d’âge et à la remise de ce prix, l’animatrice me demanda gentiment, mais devant l’auditoire : « Qui t’a aidé à réaliser ce chef-d’œuvre, ton papa ou ta maman? » Alors, presque honteux, j’avouai l’avoir fait seul!
Jamais deux sans trois, quoique toujours dans le domaine des arts plastiques. À l’occasion d’un camp d’été fin primaire, l’animateur attisa la risée du groupe parce que j’avais peint un ciel rouge sur un moulage représentant un chevreuil à l’orée d’un bois, voulant ainsi représenter un coucher de soleil. Or, cet animateur, pointant de la main le ciel, me demanda à quelques reprises : « Jacques, de quelle couleur est le ciel ?²»
Or, quand j’ai repris contact avec mon vieux maitre de 9e, quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il a mentionné que j’étais également doué en arts plastiques, en particulier en dessin, soucieux de savoir si j’avais poursuivi le développement de cet autre talent.
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Si j’ai écrit ce billet, c’est d’abord et avant tout pour rendre un chaleureux hommage au Frère Louis-Marie qui, grâce à la lecture publique de quelques citations tirées de mes compositions juvéniles, a fait naitre en moi l’écrivant, entre autres d’une vingtaine le livres. Et ce processus de « Paroles et écrits marquants » est heureusement encore bien vivant comme j’ai pu le constater au cours de la dernière Nuit de la poésie à Saint-Venant, où des dizaines et des dizaines de jeunes marginalisés – quelquefois avec leur propre complicité – ont utilisé la poésie le plus souvent pour se nommer et normaliser leur identité en dépit de traits ingrats ou hors-normes. Or, plusieurs de ces poètes en herbe ont mentionné avoir pris le risque d’écrire de la poésie grâce à une parole de David GOUDREAULT, un travailleur social, poète chevronné.
C’est ensuite pour nous rappeler, conseillères et conseillers, l’importance d’être évocateur des potentiels des personnes qui nous consultent ou qui nous sont confiées, surtout en cette ère où le récit de vie sous toutes ses formes³ constitue un mode privilégié d’introspection et de conscientisation.
C’est d’ailleurs, en lisant Leçons d’un siècle d’Edgar MORIN (2021) que m’est venue l’idée d’écrire ce billet.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
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¹ L’écrivant reflète des réalités (phénomènes humains, conceptualisation et théorisation à partir de faits et de données, etc.) alors que l’écrivain par des romans, poèmes, nouvelles et autres scénarios crée des réalités.
² Ayant eu vent de cette anecdote, les organisateurs de la cérémonie de mon investiture comme ambassadeur de la Faculté d’éducation, me remirent une lithographie encadrée sur laquelle le ciel avait été rougi à la main pour représenter un magnifique coucher de soleil.
³ Expression générique regroupant ce qui est appelé en anglais life history, life story ou life narrative.