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Avez-vous déjà entendu votre parent ou grand-parent vous lancer cette phrase suppliante en espérant que vous cesseriez d’enquiquiner votre ennemi juré : votre fratrie?
Dans la vie en général, et ce, dès l’enfance, on nous apprend à partager nos jouets, à faire des compromis pour nous entendre avec les autres. Coexister en harmonie avec notre environnement extérieur demande toujours un peu d’adaptation et d’accepter de mettre de côté certaines de nos envies, tout en étant capable d’établir nos limites.
Alors pourquoi espère-t-on tant que ce soit différent avec notre environnement intérieur?
C’est exactement ce que l’on se demande à soi-même lorsque l’on tente de réprimer nos émotions négatives. Ou lorsque l’on attend de n’avoir que des certitudes ou de l’enthousiasme par rapport à une situation, sans vivre aussi de la peur et des appréhensions pour prendre une décision!
Évidemment, personne n’aime vivre des émotions négatives. Mon texte ne changera pas cela. Mon but aujourd’hui est plutôt d’expliquer que les émotions positives et les émotions négatives ne sont pas sur le même continuum. Ce sont deux entités séparées, ce qui veut donc dire qu’elles peuvent coexister. Il est tout à fait possible et normal de vivre des moments où l’on ressent à la fois de la joie et de la tristesse ou de l’enthousiasme et de la peur.
Généralement, nous acceptons assez bien le continuum des émotions positives. Nous les accueillons même à bras ouverts. Nous sommes toutefois nettement moins accueillants de nos émotions négatives. Mais il est assez bien démontré dans la littérature scientifique en psychologie que l’absence d’émotions négatives n’amène pas pour autant davantage d’émotions positives. Corey Keyes, un chercheur américain, a notamment beaucoup travaillé sur cette idée. Déjà en 2002, il suggérait que le bien-être n’est pas le contraire du mal-être, mais que ce sont deux concepts différents qui fonctionnent avec des mécanismes différents.
Il y a certainement des situations où le fait de ne plus ressentir une émotion négative permet de laisser de l’espace pour une émotion plus positive. Le point important à retenir est surtout que d’essayer à tout prix d’éviter ou de minimiser les émotions négatives n’amène pas nécessairement à davantage d’émotions positives.
Si l’on considère que les émotions positives et négatives sont deux continuums distincts, alors il est tout à fait possible qu’ils coexistent au même moment chez une personne. Je trouvais utile d’apporter cette idée, car je vois souvent des gens demeurer paralysés devant une décision importante à prendre parce qu’ils espèrent qu’éventuellement, ils n’auront plus peur ou qu’un peu plus d’informations ou de temps apaisera leurs appréhensions. Il y a bien sûr une part de vrai dans cette idée, et il est crucial de bien se préparer et de réfléchir avant de prendre des décisions déterminantes. Mais il y a aussi un équilibre à considérer. Amorcer des changements importants implique forcément des émotions positives comme l’espoir, la curiosité, l’excitation ou l’enthousiasme. Il n’est pas étrange non plus que ces changements viennent AUSSI avec des inquiétudes, des appréhensions ou des doutes.
Il est sain d’essayer de se préparer le mieux possible au changement. Il est tout aussi sain d’accepter que certaines émotions négatives peuvent coexister avec les émotions positives que le changement suscite. Comme deux membres de la même fratrie qui veulent l’attention de leurs parents en même temps! En bon chef d’orchestre de votre environnement intérieur, vous pouvez choisir de donner son moment de gloire à chacune de vos émotions pour les laisser coexister. Vous pourrez ainsi ressortir toutes les informations qu’elles essaient de vous transmettre sur cette expérience que vous êtes en train de vivre!
En effet, vos émotions ne sont, au final, que des informations sur l’expérience que vous vivez. Aucune émotion, qu’elle soit positive ou négative, ne détient une vérité à elle seule sur ce que vous devriez faire ou ce qui serait le mieux pour vous. Elles vous apportent toutes une petite pièce d’un casse-tête complexe qui représente votre perception d’une situation. Plus le casse-tête est complet, plus vous avez une vision claire de la situation et de vos enjeux et aspirations par rapport à cette situation.
Cela peut sembler très théorique, mais prendre conscience de cette coexistence de vos émotions peut déjà vous donner des outils pour vous auto-réguler devant des décisions importantes à prendre. Supposons que vous envisagiez de prendre un congé sabbatique, mais vous hésitez. La première pensée qui émerge en y pensant pourrait être : « Comment vais-je faire pour arriver financièrement? » Vous pouvez alors nommer l’émotion qui vient avec cette pensée : la peur. La prochaine étape pourrait consister à recenser et noter toutes les autres pensées qui vous viennent par rapport à ce projet et trouver l’émotion associée à chacune de ces pensées. Il se peut que certaines émotions reviennent plusieurs fois. Cette émotion essaie peut-être de vous communiquer plusieurs informations! 😉
Après avoir noté vos pensées et les émotions associées, vous aurez un portrait plus global de ce que vous ressentez par rapport au projet en question, ce qui vous permettra de faire votre bilan émotionnel en compilant toutes les émotions positives et négatives qui coexistent chez vous par rapport à ce projet. Peut-être que vous ressentez davantage d’émotions positives à l’idée de prendre une année sabbatique, mais qu’il y a aussi des émotions négatives importantes. Vous pouvez alors détecter les pensées ou les points sur lesquels vous avez du contrôle pour améliorer ce bilan émotionnel. Finalement, vous pouvez vous fixer un ratio d’émotions positives et négatives qui sera satisfaisant et acceptable pour vous aider à prendre une décision.
Attendre que le bilan émotionnel soit parfaitement composé d’émotions positives pourrait faire en sorte qu’aucune décision ne sera jamais prise.
En somme, les émotions positives ne s’opposent pas aux émotions négatives, elles sont deux membres distincts, quoique de la même fratrie, de votre vie intérieure. En donnant un peu de votre considération à ces deux enfants intérieurs qui essaient d’attirer votre attention, vous allez chercher une plus grande source d’informations pour vous positionner par rapport à vos prises de décisions.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références
Keyes, C. L. M. (2005). «Mental illness and/or mental health? Investigating axioms of the complete state model of health.» Journal of Consulting and Clinical Psychology, 73(3), 539–548. https://doi.org/10.1037/0022-006X.73.3.539
Keyes, C. L. M., & Lopez, S. J. (2002). Toward a science of mental health: Positive directions in diagnosis and interventions. In S. J. Lopez (Ed.), Handbook of positive psychology (pp. 45–59).
Ce texte a initialement été publié le : 28 août 2023