Crise écologique et travail : les expériences vécues par les personnes qui choisissent de travailler un nombre d’heures réduit dans une perspective de décroissance
Marché du travail

Crise écologique et travail 

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Les expériences vécues par les personnes qui choisissent de travailler un nombre d’heures réduit dans une perspective de décroissance

 

À l’heure où la société (pour ne pas dire la planète) est confrontée à des défis majeurs tels que l’épuisement des ressources naturelles, la dégradation de l’environnement et les inégalités sociales croissantes, le mouvement de la décroissance émerge comme une alternative. Celui-ci remet en question les possibilités de croissance infinie et propose une réorientation des priorités économiques, sociales et culturelles. Dans le cadre de mon rapport de projet d’intervention à la maîtrise en sciences de l’orientation, à l’Université Laval, je me suis intéressée aux projets de vie personnels et professionnels tenant compte de la crise écologique. Plus précisément, j’ai mené des entrevues auprès de personnes qui ont choisi de travailler un nombre d’heures réduit (32 heures et moins par semaine) dans une perspective de décroissance, afin de comprendre leur vécu.

Les participants et participantes avec qui j’ai interagi remettent en question le modèle économique, et le système capitaliste actuel, qui pousse à produire et à acheter à outrance. Ceux-ci croient nécessaire de rompre avec ce modèle et de repenser leurs priorités afin de tenir compte de l’environnement dans leurs choix de vie.

Leur conception partagée est qu’il est fondamental d’adopter des modes de vie axés davantage sur les relations sociales, les communs1 et d’adopter une consommation responsable.

On précise que la réduction des heures de travail leur permet de disposer de plus de temps libre, lequel est perçu de façon unanime comme une ressource rare dans la société actuelle. De plus, cette flexibilité dans leur organisation du temps leur permet de moins viser l’efficacité, de faire concorder leurs actions avec leurs valeurs et de faire des choix qui les représentent. Les conséquences favorables liées au temps libre augmenté se répercutent entre autres dans les sphères du transport, des relations et de la communauté, de l’apprentissage et du faire soi-même, lesquelles sphères seront présentées dans les paragraphes suivants.

Se transporter autrement

Selon plusieurs, le temps supplémentaire lié à la diminution des heures de travail favorise l’utilisation des moyens de transport alternatifs à la voiture, tels que les transports actifs, comme la marche et le vélo, ainsi que les transports en commun. Ces options peuvent nécessiter plus de temps pour se déplacer, mais engendrent des avantages non négligeables au niveau financier et environnemental. De plus, le temps supplémentaire stimule également le covoiturage. En effet, la flexibilité dans ses heures de départ permet à une participante de s’adapter pour transporter d’autres personnes avec elle. De ce fait, elle économise de l’argent, car elle peut partager le prix de l’essence avec les gens avec qui elle fait du covoiturage.

Faire davantage de place aux relations, à la communauté

Disposer de temps supplémentaire en travaillant un nombre d’heures réduit permet de consacrer davantage de temps aux relations sociales, aux engagements dans la communauté. Plusieurs mentionnent faire du bénévolat pour différents organismes. Les participants et participantes réinvestissent ce temps pour développer et enrichir des amitiés et entretenir des liens significatifs avec leur partenaire de vie, leur famille et leur communauté.

On affirme aussi que le développement et la présence d’un lien avec le voisinage a des répercussions positives, comme la possibilité d’échanger des biens matériels entre proches. L’emprunt de matériel économise du temps, puisqu’il n’est pas nécessaire de se déplacer à un point de vente et de dépenser une somme d’argent qui a demandé du temps à être gagnée.

Apprendre et faire soi-même

Plusieurs participants et participantes insistent sur le fait que travailler un nombre d’heures réduit leur fait consacrer plus de temps à des loisirs. On souligne que l’espace temporel libéré leur permet de se consacrer davantage à des activités déjà appréciées, mais aussi de développer de nouvelles occupations, d’explorer et d’apprendre de nouveaux loisirs.

D’autres occupations sont considérées comme une façon de réduire l’empreinte écologique. Par exemple, le jardinage et le fait de prendre le temps de cuisiner leur font, de plus, économiser de l’argent.

Plusieurs ont dit que le temps libéré par la diminution de leurs heures de travail les aide à apprendre à réparer des objets. Par exemple, une participante discute de son intérêt pour la couture et des avantages qu’elle y trouve sur les plans financier et environnemental.

Aspects financiers : un choix réaliste

Une participante mentionne qu’elle s’était questionnée à savoir si elle allait dépenser plus, puisqu’ elle avait davantage de temps libre. Cependant, elle a déterminé que ce n’était pas le cas et que la flexibilité qu’elle avait gagnée l’aide à faire des choix qui la font économiser.

Selon un participant, à première vue, l’aspect financier peut être une limite à la réduction des heures de travail. Cependant, il croit qu’il est possible d’adapter ses comportements en conséquence. Pour l’entièreté des personnes interrogées, il semble possible de s’adapter à la diminution de revenus qu’occasionne la réduction des heures de travail, par exemple en concevant un plan financier et en mettant en place des stratégies pour être cohérent avec son revenu.

En somme, les expériences partagées par les personnes participantes s’inscrivent en continuité avec les travaux qui révèlent que la réduction des heures de travail dans une perspective de décroissance est perçue comme une solution pour faire face à la crise environnementale (Coote et al., 2021; Posca, 2023; Abraham, 2019).

En ce sens, il apparaît pertinent de comprendre le vécu de gens qui ont adopté ce mode de vie.
Avec l’augmentation continuelle des conséquences liées aux changements climatiques et la prise de conscience graduelle qu’il est nécessaire d’agir pour y faire face, de changer des comportements, de plus en plus de personnes consultant en counseling et en orientation prendront en compte ces aspects pour réfléchir à leurs projets professionnels et personnels. Il semble ainsi important que les personnes intervenantes en relation d’aide, dont les conseillères et conseillers d’orientation, soient outillées pour les accompagner.

 

[1] Les communs sont des ensembles de pratiques sociales ancrés dans des collectivités autodéterminées et des formes de communalisation. Ils répondent à différents besoins et aspirations à travers des valeurs de partage, de soin, de participation, d’inclusion, de soutenabilité et de convivialité. Promouvant le droit d’usage et le devoir de responsabilité, les communs préfigurent une alternative à la propriété privée et constituent un processus d’apprentissage collectif  (Collectif de recherche sur les initiatives, transformations et institutions des communs (CRITIC), 2024, paragr. 3)

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.  

Mégane Drouin

Mégane est maître en sciences de l’orientation et auxiliaire de recherche dans le même domaine. Ses intérêts de recherche portent sur les projets de vie personnels et professionnels tenant compte de la crise écologique. 

 

Émilie Giguère

Émilie Giguère est professeure à l’école de counseling et d’orientation de l’Université Laval. Ses intérêts de recherche portent notamment sur le travail et l’intégration professionnelle.

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Mégane Drouin

Mégane est maître en sciences de l’orientation et auxiliaire de recherche dans le même domaine. Ses intérêts de recherche portent sur les projets de vie personnels et professionnels tenant compte de la crise écologique. 

 

Émilie Giguère

Émilie Giguère est professeure à l’école de counseling et d’orientation de l’Université Laval. Ses intérêts de recherche portent notamment sur le travail et l’intégration professionnelle.

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