La pyramide dite de Maslow stipule qu'il est nécessaire de satisfaire nos besoins primaires avant de monter dans la hiérarchie de nos besoins.
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Une pyramide de Champagne?

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La pyramide dite de Maslow stipule qu’il est nécessaire de satisfaire nos besoins primaires avant de monter dans la hiérarchie de nos besoins. Bien sûr,  je dois pouvoir respirer et avoir un minimum de santé pour vivre. 

Il va de soi qu’aller se former ou aller travailler sans boire ni manger ne nous mènera pas loin. Vivre dans un stress permanent n’est pas mieux. Essayez de faire monter du champagne dans une fontaine de Champagne en commençant par le bas de la pyramide! La créativité peut avoir des limites. Si j’ai adopté la croyance selon laquelle il faut commencer par le bas, je risque d’abandonner ce projet ou procrastiner ou bien passer du temps à chercher des stratégies pour réaliser un projet pour lequel les dés semblent pipés dès le départ.  

Si je transpose cette croyance en orientation et en développement de carrière, je risque fort de réduire l’efficacité de mon intervention auprès des jeunes, des adultes et de tout client insécure, ce que j’ai fait au tout début de ma carrière.

Nos croyances ont un impact considérable sur nos évaluations et interventions.  

Dans une rue de Montpellier, j’observe depuis quelques jours des jeunes qui passent la nuit dans une voiture et parfois à côté du véhicule. Leur besoin primaire d’avoir un abri est-il satisfait? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne sont pas engourdis par le confort. La violence sociale et psychologique engendrée par cette situation ne comble pas entièrement leur besoin de sécurité. Du moins, certainement pas de la manière la plus souhaitable par eux et par les observateurs de cette situation. Selon le modèle de la pyramide des besoins, ces jeunes n’ont pas accès à des besoins situés plus haut sur l’échelle des besoins. En est-on si sûr?  

À mon avis, cette idée alimente une certaine vision de l’être humain qui ne me semble pas correspondre à celle que défendait Maslow. Ce modèle de hiérarchie des besoins laisse penser que nous devons satisfaire notre besoin de sécurité avant d’avoir accès à des besoins plus élevés dans la pyramide des besoins. J’en doute. S’intéresser à la singularité de chaque personne, de chaque situation et même de chaque organisation n’a pas d’équivalent. Cette démarche d’accueil et de compréhension de la singularité de l’individu n’exclut pas la sociologie ni les sciences de l’orientation. Bien au contraire, la sociologie, la psychologie, les sciences de l’éducation et les sciences de l’orientation s’enrichissent mutuellement. Les modèles font office de lunettes.

Parfois, les lunettes nous aident à voir plus clair dans une situation ou des situations qui se répètent. 

Cependant, aucun modèle ne peut remplacer l’observation et l’écoute de nos clients. Il suffit d’aller leur poser la question. Je doute de ce modèle depuis 25 ans. Auriez-vous déjà repéré ce modèle dit de Maslow dans le discours de certains clients? À La Cité des métiers de Marseille, j’ai reçu en entrevue des publics en situation de grande précarité. La pyramide dite de Maslow ne s’appliquait pas à la plupart d’entre eux. Ressentir un besoin d’accomplissement ne serait pas accessible à ces personnes qui dorment dehors et par extension à nos clients vivant dans l’insécurité. Qu’est-ce qui nous permet d’appuyer une telle affirmation extrêmement répandue dans la société en général et dans nos milieux de travail en particulier?  

Au début de ma carrière, j’ai eu la chance d’être exposé à une idée radicalement différente. Cette idée remettait en cause cette hiérarchie des besoins et l’idée même de hiérarchie des besoins psychologiques. Elle remettait en cause ce que j’avais appris durant ma scolarité et ma confiance dans mon apprentissage initial.  

Certains auteurs francophones suggèrent plus ou moins consciemment, donc plus ou moins explicitement, d’inverser cette pyramide des besoins (que cette pyramide soit de Maslow ou non n’a pas d’importance ici). 

J’ai été exposé à cette idée pour la première fois à l’occasion d’un séminaire animé par Paul Dewandre, ancien dirigeant d’une compagnie aérienne belge. Ce fut un choc suivi d’une remise en question de ma vision des besoins et un renversement de mon approche en counseling de carrière. Puis j’ai oublié (intégré) cette idée. 

Récemment, à la lecture du livre de l’ancien actuaire québécois Pierre-Luc Racine, j’ai immédiatement reconnu la pyramide inversée des besoins. Elle n’est pas explicitement nommée dans son livre. Elle apparaît en filigrane dans certains chapitres. Par contre, les conséquences de l’inversion de la dite pyramide des besoins sur la vie d’une personne souhaitant se reconvertir professionnellement sont clairement décrites.  

Lorsque nous faisons ce que nous aimons, la vie n’est pas plus facile, mais nous prenons naturellement mieux soin de notre santé, de notre travail, de notre formation, de notre vie. Nous sommes un meilleur citoyen, un meilleur collaborateur, un meilleur apprenant. Nous savons pourquoi nous nous levons le matin. Nous trouvons plus facilement l’énergie pour résoudre les inévitables problèmes de la vie professionnelle.  

Lorsque nous choisissons une activité qui nous permet de nous accomplir, l’énergie coule du haut vers le bas de la pyramide de Champagne. L’énergie et la motivation affluent et nous prenons bien soin de nos besoins.  

Cette vision de la pyramide inversée est revenue grâce à la lecture de l’ouvrage très drôle de Pierre-Luc Racine. Curieuse association Pauvreté/Champagne, n’est-ce pas? L’image de la pyramide de Champagne n’est pas venue en observant des jeunes passer la nuit dans une voiture mais dans le processus d’écriture. 

C’est en accomplissant qu’on s’accomplit. Quand c’est utile en counseling de carrière, inversons la pyramide des besoins psychologiques en ouvrant un chemin du besoin d’accomplissement vers le besoin de sécurité. 

 

Références 

Les chiffres-clés de la pauvreté en France. Observatoire des inégalités

Silence aux pauvres! Henri Guillemin

L’olympien au bureau. La préparation mentale des grands athlètes transposée au monde du travail. François Ménard 

Comment lâcher sa job de bouette et (essayer de) vivre de ses rêves. Tout ce que j’aurais aimé savoir avant de faire le grand saut. Pierre-Luc Racine 

 

P.S. Je n’ai pas conflit d’intérêts avec les Maisons de Champagne et ne reçois pas de caisses de champagne. 

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.    

Depuis 25 ans, Laurent pratique le conseil en orientation en France dans un CIO (Centre d’Information et d’Orientation). Un CIO est un service public, gratuit et ouvert à toute personne en recherche de solutions pour son orientation. Il a exercé pendant 8 ans en qualité de conseiller à la Cité des métiers de Marseille et animé le pôle orientation/reconversion. Après sa formation à l’Université de Sherbrooke, il a été formateur en counseling de carrière en France.
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Depuis 25 ans, Laurent pratique le conseil en orientation en France dans un CIO (Centre d’Information et d’Orientation). Un CIO est un service public, gratuit et ouvert à toute personne en recherche de solutions pour son orientation. Il a exercé pendant 8 ans en qualité de conseiller à la Cité des métiers de Marseille et animé le pôle orientation/reconversion. Après sa formation à l’Université de Sherbrooke, il a été formateur en counseling de carrière en France.
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