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Depuis quelques semaines, les médias québécois rapportent des cas d’entreprises contraintes de se « départir » de leurs travailleurs étrangers temporaires (TET). Ces nouvelles provoquent de l’émotion, soulèvent des questions… mais trop rarement les bonnes.
Car derrière chaque départ forcé, chaque contrat qui ne sera pas renouvelé, il y a plus qu’un enjeu administratif ou économique. Il y a une faille profonde dans notre modèle d’immigration et d’intégration.
Un modèle basé sur la précarité
Depuis quelques années, le Québec multiplie les appels à l’international pour combler ses pénuries de main-d’œuvre. Des milliers de travailleurs étrangers temporaires, souvent venus des Philippines, d’Amérique centrale ou d’Afrique subsaharienne, répondent présents.
Ils arrivent avec courage, dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas toujours, dans une société qu’ils ne connaissent pas, mais qu’ils souhaitent découvrir et intégrer.
Pourtant, le modèle actuel repose sur une idée troublante : celle de main-d’œuvre jetable, renouvelée tous les trois ans, sans garantie de stabilité ni de reconnaissance à long terme.
Derrière chaque travailleur, un rêve d’ancrage
Comme enseignante en francisation, j’ai accompagné des centaines de ces travailleurs dans leur apprentissage du français. Je les ai vus arriver épuisés après leur quart de travail, mais déterminés à apprendre.
Tous avaient un rêve simple : rester.
S’enraciner. Offrir un avenir meilleur à leurs enfants. Contribuer à la société québécoise non pas comme des passants, mais comme des citoyens en devenir.
Certains étaient seuls, logés en dortoir. D’autres vivaient déjà ici avec leur famille. Tous portaient en eux l’espoir d’un nouveau départ.
Apprendre le français pour pouvoir rester
Beaucoup ont suivi des cours de francisation avancés, souvent en soirée ou les fins de semaine. Ils visaient ce fameux niveau 7 en français, seuil minimal pour espérer obtenir la résidence permanente.
Ils ont étudié, persévéré, passé des examens. Je les ai vus s’accrocher avec dignité. Je les ai préparés du mieux que je pouvais à bâtir un projet d’avenir ici.
Et bientôt, à compter de 2028, ils devront aussi obtenir un niveau 4 en français pour simplement renouveler leur permis de travail. Ce changement annoncé confirme l’importance croissante du français dans leur parcours d’intégration… mais aussi le peu de soutien actuellement offert à ceux qui portent cette responsabilité sur leurs épaules.
Un modèle économique à bout de souffle
Pendant ce temps, notre économie s’est installée dans une forme de confort. Pourquoi moderniser nos chaînes de production ou revaloriser nos métiers essentiels quand une main-d’œuvre étrangère, disponible et peu revendicatrice, permet de faire tourner la machine?
On évite les investissements à long terme. On retarde les vraies réformes. On tient pour acquis que d’autres viendront combler les départs.
Mais que se passera-t-il si les pays d’origine offrent bientôt de meilleures conditions? Si ces travailleurs choisissent de ne plus venir ou de repartir plus tôt que prévu? Le Québec ne peut plus se permettre de miser uniquement sur la précarité des autres pour assurer sa prospérité.
Repenser l’accueil et l’intégration
Il est urgent de changer de perspective.
Accueillir, ce n’est pas seulement ouvrir une porte. C’est offrir un chemin viable, un avenir possible. Cela passe par :
- une réforme de nos critères de sélection en immigration permanente,
- un investissement accru en francisation et en reconnaissance des acquis,
- une vision plus humaine de l’intégration en emploi,
- et une modernisation de nos milieux de travail.
Il faut voir ces personnes non pas comme des solutions temporaires, mais comme des partenaires durables dans notre avenir collectif.
Les personnes que j’ai accompagnées ne sont pas des lignes dans un rapport. Ce sont des visages, des voix, des histoires. Elles méritent mieux qu’un simple renouvellement de contrat.
Elles méritent un vrai projet d’intégration.
Et surtout, elles ne devraient pas porter à elles seules le poids de nos incohérences économiques et politiques.
Conclusion – Pour un modèle plus humain… et mieux organisé
Le vrai courage, ce n’est pas de renouveler des permis à la pièce.
C’est de revoir le modèle en profondeur.
C’est de bâtir une société où ceux qui veulent contribuer peuvent le faire pleinement, en français, et avec dignité.
C’est aussi d’aider les entreprises à jouer leur rôle dans cette transformation.
Pour une prospérité durable, inclusive et cohérente, il est temps d’agir autrement.
Cet article a été publié en premier lieu sur Tania Longpré. Cliquer ici pour consulter l’article original.