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Les personnes intervenantes en développement de carrière jouent un rôle clé auprès des personnes vivant des transitions majeures, par exemple à la suite d’une perte d’emploi, d’une réorientation de carrière, d’une intégration sur le marché du travail ou pour s’adapter à des changements économiques et sociaux. Des difficultés liées à ses transitions entraînent souvent des situations de vulnérabilité et de souffrance psychologique. Pour les personnes intervenantes en développement de carrière, s’engager dans un processus de relation d’aide avec une personne en difficulté, voire en souffrance, peut être à la fois une source de satisfaction et de croissance, mais également une source d’épuisement et de fatigue de compassion (Stamm, 2010).
La fatigue de compassion : un enjeu important
Les personnes intervenantes doivent souvent composer avec des situations complexes telles que d’aider de nouveaux arrivants rencontrant des obstacles d’intégration, de jeunes diplômés vivant différentes situations stressantes et des craintes face aux conditions économiques actuelles, ou encore d’aider des personnes en emploi expérimentées à s’adapter à une réorientation non choisie. Ainsi, confrontées à l’écoute répétée de récits de difficultés, de stress ou d’échecs professionnels, les personnes intervenantes peuvent éprouver de la fatigue de compassion et de l’épuisement, ce qui peut limiter leur capacité empathique et leur disponibilité émotionnelle. Cette exposition indirecte à la souffrance d’autrui peut diminuer la capacité à reconnaître et à répondre efficacement aux besoins des personnes clientes, et ainsi influencer la qualité de l’accompagnement et la prise de décision clinique (Figley, 1995 ; 2002).
L’autocompassion : un facteur de protection et de croissance
La recherche en psychologie et en counseling démontre que l’autocompassion est un puissant levier pour prévenir la fatigue de compassion et l’épuisement professionnel, ainsi que pour améliorer la qualité de la relation d’aide. Selon Kristin Neff (2003), l’autocompassion est la capacité à accueillir sa propre souffrance, à reconnaître ses limites sans jugement, et à considérer ses expériences dans une perspective humaine commune.
L’autocompassion comprend trois dimensions qui peuvent soutenir les personnes intervenantes :
- L’autobienveillance implique de se traiter avec gentillesse et compréhension dans les moments difficiles, plutôt que de se critiquer. Cela permet de maintenir la motivation et la résilience face aux défis quotidiens dans la pratique de la relation d’aide.
- La pleine conscience implique d’être présent à ses émotions et pensées, les observer sans s’y identifier. Cette approche favorise l’équilibre émotionnel et aide à mieux gérer le stress inhérent à la pratique professionnelle.
- La commune humanité implique de reconnaître que la souffrance, l’erreur et le doute font partie de l’expérience humaine partagée. Cette perspective réduit le sentiment d’isolement et favorise la connectivité entre personnes professionnelles et clientes.
Les bénéfices de l’autocompassion pour les personnes intervenantes
L’autocompassion joue un rôle de protection contre la fatigue de compassion en permettant aux personnes intervenantes de prendre du recul face à leurs propres réactions émotionnelles et de se ressourcer activement (voir Boellinghaus et al., 2014). L’autocompassion ne consiste pas seulement à réduire ses activités ou ses engagements, elle incite à faire preuve de lucidité bienveillante envers soi-même. Les personnes intervenantes qui la cultivent sont plus aptes à reconnaître leurs propres limites, à réguler leurs émotions et à éviter l’autocritique en cas de difficultés professionnelles (Conversano et al., 2020; Rushforth et al., 2023).
La pratique de l’autocompassion a également des bénéfices importants pour l’intervention. Des recherches suggèrent qu’elle contribue au sentiment de compassion pour les autres, à la qualité de présence à soi et à l’autre, à la conscience de soi et à l’empathie (p. ex. Brien et al., 2023 ; Dorian & Killebrew, 2014 ).
Pour les personnes intervenantes en développement de carrière, l’intégration d’outils d’autocompassion dans son quotidien est une manière de prendre de soi pour prendre soin des autres. Cela peut inclure la méditation de pleine conscience, l’écriture réflexive, le partage en groupe de pairs, ou la participation à des formations sur le bien-être émotionnel et la gestion du stress.
Dans l’exercice de la relation d’aide, il est important de normaliser l’expérience de fatigue de compassion et d’épuisement, ainsi que de promouvoir des espaces de soutien et d’échange.
Conclusion : prendre soin de soi pour mieux accompagner les autres
Les personnes intervenantes en développement de carrière sont des actrices essentielles pour soutenir les personnes clientes dans leur cheminement professionnel, souvent dans des contextes de vulnérabilité et d’incertitude.
Pour continuer à offrir une aide de qualité, il est crucial qu’elles arrivent à prendre soin de leur propre bien-être psychologique.
L’autocompassion apparaît comme un levier précieux pour prévenir la fatigue de compassion et l’épuisement, favoriser la conscience réflexive et maintenir une présence empathique, considérant la diversité des personnes clientes. En reconnaissant et en accueillant leurs propres vulnérabilités, les personnes intervenantes en développement de carrière créent un espace propice à la croissance et à la transformation, tant pour elles-mêmes que pour les personnes qu’elles accompagnent. Cultiver l’autocompassion, c’est investir dans une pratique professionnelle réflexive durable tout en considérant son humanité.
Cynthia Bilodeau sera co-conférencière à l’atelier : « Développer les compétences en développement de carrière par la supervision« au congrès canadien Cannexus26 du CERIC, qui aura lieu en mode hybride (en virtuel et en présentiel) et ce, à Ottawa du 26 au 28 janvier 2026. Pour en savoir davantage et/ou pour vous inscrire : cannexus.ceric.ca
Références
Boellinghaus, I., Jones, F.W. & Hutton J. (2014). The role of indfulness and loving-kindness meditation in cultivating self-compassion and other-focused concern in health care professionals. Mindfulness, 5(2), 129-38. https://doi.org/10.1007/s12671-012-0158-6.
Brien, A., Dionne, P., Savard, R., & Bilodeau, C. (2023). Experiences of the supervisory alliance and self-compassion in counseling and psychotherapy students. Journal of Counselor Preparation and Supervision, 17(3), 7. Retrieved from https://research.library.kutztown.edu/jcps/vol17/iss3/7
Conversano, C., Ciacchini, R., Orrù, G., Di Giuseppe, M., Gemignani, A., & Poli, A. (2020). Mindfulness, compassion, and self-compassion among health care professionals: What’s new? A systematic review. Frontiers in psychology, 11, 1683. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2020.01683
Dorian, M. & Killebrew, J.E. (2014). A study of mindfulness and self-care: A path to self-compassion for female therapists in training. Women & Therapy, 37(1-2), 155-63. https:// doi.org/10.1080/02703149.2014.850345.
Figley, C.R. (réd.) (1995). Compassion fatigue: Coping with secondary traumatic stress disorder in those who treat the traumatized. Brunner/Mazel.
Figley, C.R. (2002). Compassion fatigue: Psychotherapists chronic lack of self care ». Journal of Clinical Psychology, 58, 1433-41. https://doi.org/10.1002/jclp.10090
Gale, C., Schröder, T. & Gilbert, P. (2017). Do you practice what you preach? A qualitative exploration of therapists’ personal practice of Compassion Focused Therapy. Clinical Psychology & Psychotherapy, 24(1), 171-85. https://doi.org/10.1002/cpp.1993.
McCollum, E.E. & Gehart, D.R. (2010). Using mindfulness meditation to teach beginning therapists therapeutic presence: A qualitative study. Journal of Marital and Family Therapy, 36(3), 347-60. https://doi.org/10.1111/j.1752- 0606.2010.00214.x.
Neff, K.D. (2003b). Self-Compassion: An alternative conceptualization of a healthy attitude toward oneself. Self and Identity, 2(2), 85-101. https://doi. org/10.1080/15298860309032.
Rushforth, A., Durk, M., Rothwell-Blake, G. A., Kirkman, A., Ng, F., & Kotera, Y. (2023). Self-compassion interventions to target secondary traumatic stress in healthcare workers: A systematic review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 20(12), 6109. https://doi.org/10.3390/ijerph20126109
Schure, M.B., Christopher, J. & Christopher, S. (2008). Mind-body medicine and the art of self-care: Teaching mindfulness to counseling students through yoga, meditation, and qigong . Journal of Counseling & Development, 86(1), 47-56. https://doi.org/10.1002/j.1556-6678.2008.tb00625.x.
Stamm, B.H. (2010). The Concise ProQOL Manual, (2e éd.). Eastwoods. https://img1.wsimg.com/blobby/go/dfc1e1a0- a1db-4456-9391-18746725179b/downloads/ProQOL%20Manual.pdf?ver=1622839353725.
Cynthia Bilodeau, Ph.D., est professeure titulaire à l’École de counseling, de psychothérapie et de spiritualité de l’Université Saint-Paul. Elle est reconnue pour ses recherches et son expertise en supervision clinique, en développement de carrière, ainsi que pour l’intégration de la psychologie positive et de l’autocompassion dans la formation et la pratique du counseling.
Alexandre Brien, Ph.D., est Professeur à l’UQAM, c.o et superviseur. Ses recherches portent principalement sur le rôle de l’autocompassion et de l’alliance de travail en supervision en formation initiale, ainsi que sur le counseling de carrière
Réginald Savard, Ph.D., c.o., psychothérapeute, est professeur titulaire et directeur de programmes de 1er cycle en développement de carrière et directeur de la Clinique Carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il enseigne le counseling de carrière depuis plusieurs années. Son expertise de recherche porte sur la supervision, sur le développement des compétences et l’efficacité du counseling. Il a contribué à former plusieurs personnes professionnelles à la pratique de la supervision à partir d’un modèle intégratif dont il est le co-auteur.
Cynthia Bilodeau, Ph.D., est professeure titulaire à l’École de counseling, de psychothérapie et de spiritualité de l’Université Saint-Paul. Elle est reconnue pour ses recherches et son expertise en supervision clinique, en développement de carrière, ainsi que pour l’intégration de la psychologie positive et de l’autocompassion dans la formation et la pratique du counseling.
Alexandre Brien, Ph.D., est Professeur à l’UQAM, c.o et superviseur. Ses recherches portent principalement sur le rôle de l’autocompassion et de l’alliance de travail en supervision en formation initiale, ainsi que sur le counseling de carrière
Réginald Savard, Ph.D., c.o., psychothérapeute, est professeur titulaire et directeur de programmes de 1er cycle en développement de carrière et directeur de la Clinique Carrière à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il enseigne le counseling de carrière depuis plusieurs années. Son expertise de recherche porte sur la supervision, sur le développement des compétences et l’efficacité du counseling. Il a contribué à former plusieurs personnes professionnelles à la pratique de la supervision à partir d’un modèle intégratif dont il est le co-auteur.

