Résumé : Les diplômés de l’enseignement supérieur forment en fait deux clientèles distinctes, nécessitant une intervention différente. Les diplômés de programmes académiques sont souvent peu formés et doivent donc améliorer leurs compétences pour ENTRER sur le marché du travail. Les diplômés des programmes à caractère professionnel sont souvent peu éduqués et doivent améliorer leurs connaissances et aptitudes générales pour SE MAINTENIR sur le marché du travail.
Le faux débat
Le rôle des collèges et des universités est de nos jours chaudement débattu. D’un côté, plusieurs croient qu’ils doivent surtout transmettre aux jeunes les compétences qui leur permettront de s’insérer rapidement sur le marché du travail. D’autres répondent que le rôle de l’enseignement n’est pas la préparation à l’emploi, mais plutôt celle de la vie en société, ainsi que l’actualisation du potentiel de tous les étudiants.
Si vous êtes un lecteur de ma chronique dans le journal Métro, vous m’associez probablement à la première de ces positions. Le thème principal de ma chronique est la relation entre la formation et l’emploi. J’ai souvent discuté, de façon critique, des difficultés des jeunes diplômés à trouver un emploi à leur mesure. Pourtant, dans les faits, je crois que ce débat est faux. Il y a 100 ans environ, Émile Durkheim, un des tous premiers sociologues de l’éducation, identifiait deux rôles distincts, mais essentiels de l’éducation, soit la préparation du citoyen et celle du travailleur. Comme lui, c’est ma conviction que l’enseignement supérieur n’a pas le loisir de choisir entre ces deux rôles, qui ne sont pas contradictoires d’ailleurs. Il lui faut donc former, ou préparer le travailleur à l’emploi, ainsi qu’éduquer, ou faciliter le développement des capacités nécessaires à la croissance et à la vie citoyenne.
Deux clientèles
En pratique, néanmoins, peu de programmes de formation semblent remplir à la fois ces deux rôles. Certains assument surtout le rôle de former et préparent à une occupation spécifique sur le marché du travail. On pense à la formation technique au collégial et aux nombreux baccalauréats à caractère professionnel (génie, santé, etc.). Bien que ces programmes possèdent souvent une composante de formation générale, dont le rôle est d’éduquer, cette composante est remise en question régulièrement, souvent par les jeunes eux-mêmes.
D’autres programmes ne semblent assumer que le rôle d’éduquer. Ils ne préparent pas à un emploi aisément identifiable, mais transmettent plutôt des savoirs qui permettent de mieux comprendre le monde et l’expérience humaine. Il s’agit de programmes académiques tels que l’histoire, la sociologie, les sciences politiques, la littérature, la philosophie, les sciences pures et les mathématiques.
Pour les praticiens de carrière, il s’agit bien de deux clientèles distinctes dont le déroulement de carrière est différent. En effet, des recherches récentes montrent que, si les diplômés des formations à caractère professionnel trouvent plus facilement leur place sur le marché du travail en début de carrière, cette dernière stagne plus tard. C’est l’inverse pour les diplômés des programmes académiques, dont la carrière tarde à « décoller » mais dont les occasions d’emploi s’améliorent par la suite.
Des déroulements de carrière différents
Cette découverte résulte des travaux du chercheur Ludger Woessmann, de l’Université de Munich. Il désirait identifier lequel des deux types de programmes, professionnel ou académique, préparait mieux les étudiants aux exigences du nouveau marché de l’emploi, caractérisé par la mouvance technologique et les changements profonds au sein des industries et des organisations. Sa recherche n’est pas néanmoins une simple relance des diplômés.
Il voulait savoir comment chacun des deux types de programmes affectait la possibilité d’obtenir et de conserver un emploi durant tout le déroulement de la carrière.
Pour y parvenir, il a utilisé un échantillon de 29 000 adultes, provenant de 16 pays, tous participants au Programme international d’évaluation des compétences des adultes de l’OCDE. Le chercheur a identifié le statut d’emploi de ces adultes par groupe d’âge ainsi que le type de programme collégial ou universitaire qu’ils avaient complété.
Woessmann montre que les programmes à caractère professionnel ne sont pas une garantie d’emploi tout au long de la carrière. Parce que les compétences acquises au sein de ces programmes sont spécifiques à un emploi donné, elles peuvent devenir désuètes lorsque le marché pour cet emploi change et que les possibilités d’embauche diminuent. C’est pourquoi, depuis le début du 21e siècle, le nombre de diplômés des programmes à caractère professionnel qui occupent un emploi diminue dès que ces diplômés atteignent la fin de la quarantaine et continue à diminuer par la suite.
À l’inverse, les diplômés des formations académiques sont plus nombreux que leurs collègues issus de formations plus spécifiques à occuper un emploi dans la quarantaine et la cinquantaine. Ils se maintiennent donc en emploi plus longtemps. Le fait de ne pas être formé pour un emploi spécifique leur nuit en début de carrière, mais leur donne plus de flexibilité par la suite. Si les occasions diminuent pour l’emploi qu’ils occupent, ils peuvent chercher un emploi différent dans un autre secteur d’activité.
Conseil de carrière pour chaque clientèle
Pour se maintenir en emploi plus longtemps, les diplômés des programmes à caractère professionnel ont besoin d’être plus éduqués et d’acquérir une plus grande flexibilité. Avec l’aide d’un intervenant de la carrière, ils peuvent formuler un objectif de développement professionnel et identifier les compétences générales dont ils ont besoin. Aimeraient-ils un jour devenir superviseur, entrepreneur, enseignant ou occuper un poste technique plus qualifié? Quelles sont les compétences en science, en mathématiques, en gestion d’équipe, en relations humaines dont ils ont besoin?
À l’inverse, les diplômés des programmes académiques ont besoin d’être plus formés pour faciliter leur insertion au départ. Quelles compétences concrètes peuvent-ils acquérir aujourd’hui pour améliorer leur candidature pour un poste désiré? S’agit-il de compétences techniques, d’habiletés en marketing ou en communication, en gestion de projets ou d’autres?
Dans la mouvance présente, ce sera un grand défi pour les intervenants de guider leurs clients dans le développement de leurs compétences.
Pour aller plus loin
Émile Durkheim (1922), Éducation et sociologie. Paris: Les Presses universitaires de France, 1968, 121 pages. Première édition: 1922. Disponible à la bibliothèque des Classiques des sciences sociales : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/education_socio/education_socio.html
Brahin Boudarbat et Claude Montmarquette. Surqualification chez les diplômes des collèges et des universités : comparaison Québec-Canada. Observatoire compétences-emploi (UQAM), 8 (1), 2 pages, juin 2017. Disponible à http://ww.oce.uqam.ca/article/surqualification-diplômes-quebec-canada
Mario Charette. Le diplôme universitaire est-il un gage de richesse? Journal Métro, 4 juillet 2018. Disponible à https://journalmetro.com/plus/carrieres/1655322/le-diplome-universitaire-est-il-un-gage-de-richesse/
Ludger Woessman. Facing the Life-Cycle Trade-off Between Vocational and General Education, dans Journal for Educational Research Online, 11 (1), 31-46. Disponible à http://www.j-e-r-o.com/index.php/jero/article/view/875