Pour une raison vocationnelle au sens premier du terme, je me suis expatrié dans les années 60 à Poughkeepsie, État de New York, pour y compléter un B.A. avec une concentration en psychologie, une immersion anglaise qui me fut fort utile jusqu’à ce jour. Or quelque temps après mon arrivée, j’assistai au défilé du Patriots’Day et quelle ne fut pas ma surprise de constater que la très grande majorité des spectateurs qui affichaient des symboles ostentatoires des USA (vêtements, chapeaux et mini-drapeaux avec étoiles et bandes blanches sur fond rouge) n’était pas visiblement ou auditivement étatsunienne de souche. Durant ces 3 années aux ÉUA, j’eus dans mon cercle d’amis, en plus d’Étatsuniens « pure laine » : un Chinois, quelques Chicanos et un Sri-Lankais.
Deux ans plus tard encore aux ÉUA, j’ai occupé mon été à faire ce qui plus tard sera appelé du travail de rue à Waterbury, une ville du Connecticut alors réputée pour ses conflits raciaux. En fait cette ville, composée très majoritairement de locataires et d’assistés sociaux, se répartissait en 4 ghettos : un 1er regroupant les noirs, un 2e les personnes d’origine ou de descendance italienne et un 3e regroupant les franco-américains (d’où ma présence), ces derniers refusant depuis toujours toute reconnaissance comme minorité officielle par crainte d’être étiquetés et stigmatisés à jamais. Mes collègues et moi avions comme mandat de faciliter les relations interethniques et interculturelles et ainsi de réduire les murs entre ces groupes afin, entre autres, de les aider à se concerter pour des revendications urgentes et justes auprès des propriétaires et politiques cantonnés dans une banlieue cossue, le 4e ghetto!
Quinze ans plus tard, un 2e exil volontaire aux États-Unis cette fois pour y compléter un doctorat professionnel (D. Éd. en counseling). Or, l’un de mes stages était en Minority Counseling et j’avais comme clientèle des adolescents haïtiens venus avec 1 ou 2 parents qui espéraient réaliser leurs rêves américains, surtout ceux du self-made man et d’une rapide ascension sociale indépendamment de ses origines. Conséquemment, encouragés par des parents souvent analphabètes ou ne parlant que le créole, plusieurs de ces ados espéraient entrer à la prestigieuse Université d’Harvard tout près et, dans les faits, plusieurs de leurs compatriotes qui les avaient précédés sur ces mêmes bancs d’école, étaient effectivement à Harvard mais… comme jardiniers et surtout comme concierges, symbole d’une décadence à relents esclavagistes! Quel brusque et humiliant désenchantement générateur de révolte et, pour exprimer celle-ci, certains de ces jeunes glissaient dans une plus ou moins petite délinquance ce qui fait que les French Minority Counselors dont je faisais partie devaient régulièrement aller les chercher au poste de police et payer pour eux la caution!
Toujours en deçà du 49ème parallèle nord, mes amis doctorants craignaient que je me ghettoïse car deux ou trois fois dans l’année, je leur faisais faux bond pour me retrouver avec d’autres Québécois se retrouvant dans la région pour célébrer par exemple Noël, le Jour de l’an ou le 24 juin, et certains de ces mêmes comparses estudiantins furent estomaqués lorsque je leur fis savoir que, tout naturellement, la langue maternelle, d’études et de travail de mes enfants en cet Amérique du nord serait le français sans pour autant négliger l’anglais comme 2e langue. Et la cerise sur le sunday fut sans doute lorsque je refusai un poste à l’université de Boston (offre que tous mes pairs américains de classe souhaitaient en vain recevoir) prétextant que j’avais besoin de retrouver mes racines. Cette attitude fut d’abord qualifiée de « parochial » (signifiant étroite et bornée) par le Directeur du Département mais fut, quelques années plus tard, qualifiée par ce même locuteur de sage et d’identitairement noble!
Alors une interrogation ultime interpellait toutes ces personnes : Qu’est-ce que vous, Québécois, avez d’unique à apporter au monde pour ne pas vouloir vous assimiler? La graine d’un essai ontologique sur Le Génie québécois venait d’être mise en terre.
De retour au Québec, je joins d’abord un groupe de parrainage d’une famille réfugiée de la mer (boat people) puis je cofondai le Collectif de recherche sur les relations interethniques (CRI) pour faire la promotion et l’implantation de l’interculturalisme. Ce collectif comprenait quelques assistants d’origine haïtienne avec lesquels je m’amusais à exorciser des expressions à connotations raciales. Ainsi un « blanc de mémoire » devenait « un noir de mémoire », les « idées noires » se transformaient en « idées jaunes» et je sollicitais régulièrement leur avis sur mes « plans de nègres ». Plus tard, lors d’interventions aux Caraïbes, quelqu’un fit publiquement remarquer, avec une certaine admiration d’ailleurs, que j’avais une manière de penser qui était très créole. Cela me toucha énormément!
Mais, le Canada était alors en pleine implantation du multiculturalisme de sorte que je devins rapidement, comme d’ailleurs d’autres membres du CRI, une caution bilinguistique, voire le Québécois de service. Ainsi, avec un Francophone et un Québécois par surcroît comme cosignataire, tout devenait cachère, halal ou orthodoxe et avait la bénédiction très « catho » des organismes subventionnaires pan-canadians! Mes 2 premières années de recherche-action au CRI me convainquirent que dans le contexte québécois (une minorité majoritaire <-> une majorité minoritaire), une bonne part du problème venait paradoxalement des Québécois de souche, incapables ou gênés de rendre attrayantes leur langue et leur culture auprès des nouveaux arrivants. Ce constat me convainquit encore plus d’écrire Le Génie québécois et le plus beau commentaire que j’ai eu à ce sujet fut celui d’une néoquébécoise d’origine haïtienne qui me dit avoir enfin trouvé dans cet essai les bonnes raisons pour adhérer pleinement aux valeurs québécoises. En revanche ces 2 années au CRI m’ont convaincu de l’importance d’assurer à tous les nouveaux arrivants ainsi qu’à leurs descendants une insertion socioprofessionnelle pleinement réussie et c’est pourquoi, après avoir cédé le CRI à une relève, j’ai créé avec un autre collègue le Groupe Éducation-Chômage.
À l’aide de variantes sur l’expression « romain avec les romains », je résumerai mon expérience au CRI. L’assimilation (melting pot) c’est « romain avec les romains », le multiculturalisme (comparé à une mosaïque), c’est « romain avec les grecs » et l’interculturalisme c’est devenir « gréco-romain »! Si au Canada le multiculturalisme fait de la Nation québécoise une minorité parmi d’autres ce qui, par conséquent, présuppose que la plus nombreuse minorité devient une majorité donc ultimement conduit à un rapport hiérarchique, en contrepartie l’interculturalisme s’appuie sur des relations égalitaires, voire sur des relations de nation à nation. Pour prolonger cette réflexion, je recommande fortement la lecture de L’interculturalisme : un point de vue québécois de G. Bouchard chez Boréal Éditeur.
À suivre…
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