Comme organisateur de symposiums et de congrès, j’ai eu maintes occasions de côtoyer des personnalités internationalement célèbres. Cette proximité m’a permis à plusieurs reprises d’avoir accès à leurs pré et post propos officiels, que ceux-ci soient de grandes conférences ou des lancements de publications diverses. Certains de ces « pré et post propos » me furent livrés lors d’un tête-à-tête et sont donc marqués du sceau « confidentiel ». Mais d’autres furent exprimés dans un contexte plus large ou moins intimiste et conséquemment me semblent exiger moins de retenue de ma part. Évidemment, mes comptes rendus à ces propos ne reflèteront pas toute leur finesse idiosyncratique que seules les personnes impliquées pourraient transmettre.
Ainsi, j’ai entendu Alexandre Lhotellier parler d’une rencontre fortuite dans un train avec un étranger au teint moribond. Au tiers temps du voyage, ce type sortit un camembert bien à point, ouvrit une demie bouteille d’un grand vin et prit le temps de savourer ce banquet à la bonne franquette. Après coup, il sortit un appareil sophistiqué fait de vases communicants en vue d’assister une heure durant sa respiration défaillante. Or, devant l’enchaînement à peine voilé des étonnements de son compagnon de voyage qu’était Alexandre, il lui mentionna tout bonnement qu’il était en phase terminale avancée et qu’il se rendait mourir sur la tombe de ses aïeux. On devine alors l’échange qui en suivit…
Ailleurs, en guise d’amorce d’une conférence sur l’exclusion, les handicaps et les préjugés, Pierre Tap mentionna un rendez-vous semblable. Sur le quai en attendant un train, il avait noté la présence d’un type qui avait toutes les caractéristiques d’un itinérant ou d’un sans domicile fixe (SDF) et, sans doute pour maintenir une certaine distance, Pierre s’absorbait dans la lecture d’un livre de « haut voltige » donc pour initiés experts seulement. Le train arriva, il y prit place et, à sa grande surprise, le type en question s’assit devant lui. Pierre redoubla de concentration sur sa lecture quand, après un moment, le type en question se mit à discourir sur ce livre, sa teneur et sur son auteur, faisant même des références à d’autres écrits du genre, voire à de grands philosophes. Ce reclus devenait alors un vis-à-vis…
Je pourrais aussi mentionner les quelques rencontres dans le Central Park de New-York de Jane Houston, alors enfant, avec un étranger particulièrement inspirant dit-elle, lequel s’est avéré être par la suite Teilhard Desjardins paléontologue, théologien et philosophe…
Dans les trois exemples cités ci-haut, il est question de rencontres avec des êtres uniques bien incarnés mais, dans d’autres confidences que je ne peux révéler ici, il arrivait qu’il soit question d’êtres et de situations plus subtiles que, dans certaines traditions, on qualifierait de référence à des vies antérieures. Or étonnamment, quand j’attends des Occidentaux récupérer sans trop savoir cette dimension karmique, ces gens se retrouvent le plus souvent dans la lignée de personnages nobles comme une princesse, un grand chevalier ou un quelconque héros!
Or, il en fut tout autrement pour moi dans l’épisode suivant. À vrai dire, dans mon billet intitulé Slav émancipé, j’ai laissé à l’oral (cf. le titre ci-haut) une note quelque peu ésotérique qu’une fois partagée à un confident emballé par ce billet, celui-ci me convainquit dans faire l’écrit. Lors d’une Toussaint un 1er novembre en Guyane, je suis entré dans une sorte de transe devant une paire de chaînes bien ancrée au sol qui jadis retenait un esclave récalcitrant dans le bagne de St-Laurent-du-Maroni. J’entendais des menaces et des cris de douleur ainsi que les bruits de ces chaînes contre le mur et me voyais, attaché à celles-ci, molesté sans retenue par des gardiens désabusés. À ce moment précis, ma tête, mon cœur et tous mes sens étaient sollicités à un tel point que mes deux hôtes durent redoubler d’appels, voire me secouer pour m’extraire de cet état car je les avais complètement oubliés depuis quelques longues minutes déjà. Je suis revenu de cette « transe » qu’à demi avec une certitude viscérale que, dans une vie antérieure, j’avais été esclave et, le soir venu, ce sentiment fut à nouveau réactivé lors d’une visite prolongée au Cimetière de Cayenne…
Le surlendemain, j’ai vaguement fait allusion à cette expérience « hors-corps » à ma vingtaine de stagiaires en formation, sans doute tous descendants de bagnards et d’esclaves (j’étais le seul blanc du groupe) et à partir de ce moment-là, les 3,5 jours de stage qui suivirent prirent une intensité sans précédent car tous les non-dits étaient dits, y compris les références réciproques à l’esclavage sous toutes ses formes! Et lorsqu’on me sollicitait une quelconque modification au contenu ou à l’horaire, je répondais avec complicité et à la blague : “bien sûr, je suis votre esclave”.
Bien évidemment plutôt que de transe et de réincarnation, je pourrais atténuer –pour ne pas dire récupérer– cet autodévoilement passé de l’oral à l’écrit en référant aux cycles complets de gestalt ou d’un centrage (focusing) ou encore à la « pleine conscience », mais ce serait pourquoi et surtout pour qui? Libre à celles et à ceux qui en sentent le besoin de le faire!