Je ne me souviens pas du jour où mes parents m’ont demandé ce que je voulais faire plus tard. En fait, je crois même que ce n’est jamais arrivé. Ils exigeaient tout simplement que leurs enfants réussissent bien à l’école et espéraient qu’ils trouvent une bonne profession comme bien des parents. Permettez-moi d’apporter une petite précision : je suis issue de parents immigrants. Plusieurs études ont démontré que le niveau de diplomation universitaire des immigrants montréalais est plus élevé que celui des personnes natives de cette région. Derrière cette réalité, il y a des familles qui se sont établies ici, qui ont dû recommencer à zéro et gravir les échelons un à un en donnant le meilleur d’eux-mêmes afin de pouvoir offrir ce qu’ils n’avaient pas eu à leurs enfants. Ce fut loin d’être facile. Pour certains, il y avait la barrière de la langue, pour d’autres, l’urgence de subvenir aux besoins d’une grosse famille ou la difficulté à trouver un emploi dans certains domaines. Où je veux en venir avec tout ça? J’y arrive…
En fait, cette réalité a fait en sorte que certaines communautés se sont dirigées vers des domaines plus faciles d’accès, où «les orienteurs, orientateurs», « le type qui te dit dans quoi aller» les encourageaient à se diriger, où les perspectives d’emploi étaient bonnes pour les immigrants, diront-ils. Il y avait en quelque sorte une mentalité de survie.
Il ne s’agissait pas de savoir ce que tu aimais, mais plutôt de savoir quel milieu d’emploi te permettrait de subvenir aux besoins de ta famille et où il serait facile d’entrer en tant qu’immigrant.
Une fois ce raisonnement ancré dans les mentalités, vous comprendrez que les attentes pour la prochaine génération étaient assez fortes et les mentalités fermées à certains domaines. Il m’est arrivé plusieurs fois d’entendre des commentaires négatifs de parents tels que : « Pompier?! Il veut devenir pompier? As-tu déjà vu un pompier noir? Journaliste? Pourquoi tu ne vas pas infirmière, tu vas trouver de la job, c’est mieux ». Certains te diront « Ah, c’est bien », mais avec le regard incertain. Alors, certains jeunes ont plié, plusieurs même. Pourtant, bien des choses ont changé, il y a Dominique Anglade, Yolande James, Régine Laurent, Françoise Abanda, Linda Malo. Ces femmes sont des exemples du changement à mes yeux.
Je retrouve trois de mes cousines en mode exploration qui ont décidé de laisser leur emploi d’infirmière bachelière et qui constatent aujourd’hui dans la trentaine que ça n’avait jamais été leur premier choix. Elles veulent autre chose pour leur avenir. Et puis, il y a moi avec tous mes diplômes et mes domaines différents: Art, lettres et communication, infirmière auxiliaire puis conseillère en information scolaire et professionnelle (la bonne cette fois). Ouf! Dans mon cas, il y avait aussi un manque de connaissance de soi, mais je comprends maintenant que certaines mentalités peuvent aussi vous empêcher de vous épanouir dans le domaine qui vous correspond le mieux. On recherche l’approbation de ses parents, on écoute les commentaires négatifs sur le peu de minorités visibles dans certains métiers. Jamais on ne s’est dit « oui, je n’ai jamais vu de gens comme moi dans ce métier-là, mais pourquoi pas moi? Je pourrais peut-être être la première ». Trop peu de gens encouragent ce type de raisonnement.
Évidemment, il y a aussi un problème d’ouverture à la diversité dans certaines professions et on ne peut pas le cacher.
Il y a aussi la réticence de la nouvelle génération à s’y aventurer à cause des blessures du passé quand on sait que les portes de leurs parents, grands-parents et même arrière-grands-parents ne se sont jamais ouvertes, voire impossible d’y penser pour certains.
Aujourd’hui, la diversité prend sa place, lentement, mais sûrement. Il est temps de démystifier ces anciennes croyances chez certains jeunes, de promouvoir la persévérance et surtout d’encourager les jeunes de toutes les cultures à explorer les métiers et professions, et ce même lorsqu’on n’a pas le modèle qui nous ressemble. En tant que professionnel dans le milieu de l’orientation, il reste important pour nous de comprendre et d’être à l’affût de ces mentalités. Pour ce qui est des portes fermées à la diversité dans plusieurs milieux, je crois qu’il est important d’encourager les jeunes à foncer, malgré ce type d’embûches. D’après mon expérience et ma persévérance… à force de cogner à la porte quelqu’un finit toujours par ouvrir. De plus, la diversité dans différents milieux et carrières créent d’autres modèles, pour d’autres générations.