« Tu n’aurais jamais dû postuler pour ce poste. » « Tu es stupide. » On ne rêverait jamais de dire ces phrases à notre meilleur ami. Pourtant, plusieurs d’entre nous répétons ces paroles lorsque nous commettons une erreur ou qu’une situation ne se déroule pas comme on le voudrait. On se retrouve souvent à être beaucoup plus critique envers soi-même qu’envers les autres. On croit que ça va nous aider, que ça va nous motiver à réussir. Or, c’est tout le contraire. Les recherches scientifiques à ce sujet démontrent que s’autocritiquer est associé à une moins bonne progression dans l’atteinte de ses buts, à une motivation de moins bonne qualité et à plus d’émotions négatives.
Mais qu’est-ce que l’autocompassion, ce concept dont on entend parler de plus en plus ces jours-ci? C’est plus que le simple fait de prendre soin de soi. Selon Kristin Neff, pionnière mondiale dans la recherche à ce sujet, l’autocompassion comporte trois éléments : 1) la bienveillance envers soi – être gentil et compréhensif envers soi-même lorsqu’on se sent en échec, ou inadéquat plutôt que d’être autocritique, 2) la reconnaissance de notre humanité commune – percevoir ses expériences difficiles comme faisant partie de l’expérience humaine plutôt que comme quelque chose qui nous isole et nous sépare des autres et 3) la présence attentive (aussi appelée « pleine conscience ») – observer ses pensées, ses sensations et ses émotions, sans jugement de valeur, et leur donner la permission d’exister, sans trop s’y attacher pour autant.
Je vois déjà arriver les sceptiques. Je comprends. Avant d’en apprendre plus, j’avais plusieurs croyances, telles que « les gens qui ont beaucoup d’autocompassion s’aiment trop, ne se préoccupent pas des autres et sont égoïstes », « ils sont paresseux et n’ont pas assez d’ambition », « ils ne prennent pas leur place et se laissent faire », etc. Celles-ci représentent les différents mythes sur l’autocompassion et ont tous été démentis par les résultats de recherches.
En fait, plus d’un millier d’études démontrent que le fait d’avoir de la compassion pour soi-même peut nous aider à être plus résilient lors de situations stressantes (par exemple une transition scolaire, un divorce, un problème de santé chronique), à persévérer lorsque nous faisons face à des obstacles dans l’atteinte de nos buts, à nous motiver à améliorer nos compétences, à gérer des émotions difficiles et à améliorer notre santé psychologique et physique.
Autocompassion, carrière et bien-être
Cela est d’autant plus pertinent en ce moment, alors que la pandémie de COVID-19 est venue poser des obstacles à la carrière de plusieurs d’entre nous. Pertes d’emploi, insécurité financière, difficultés conciliation travail-famille, manque de possibilités d’emploi, retour aux études, réorientation, remises en question, épuisement… Ce sont tous des problèmes que vivent la plupart des clients qui consultent actuellement des professionnels du développement de carrière et qui peuvent générer des émotions douloureuses et du stress.
L’autocompassion représente un outil important qui peut aider à ne pas rajouter de la souffrance à celle que l’on vit déjà, mais à se soutenir plutôt que de s’autocritiquer.
En tant que professionnel en développement de carrière, on peut travailler avec ses clients afin qu’ils puissent se soutenir eux-mêmes et se donner le temps de s’en remettre pour ensuite pouvoir se recentrer sur leur prochain objectif de carrière. Trois études menées par ma doctorante, Ariane-Sophie Marion-Jetten, ont démontré que la présence attentive (une dimension de l’autocompassion) aidait les étudiants universitaires ainsi que les travailleurs en poste de gestion à mieux réguler leurs émotions et à faire face à des impasses décisionnelles moins importantes dans leur carrière. D’autres recherches démontrent que plus une personne a de l’autocompassion, moins elle est vulnérable lorsqu’elle rencontre des obstacles dans la poursuite de son objectif de carrière.
L’autocompassion, une pratique…
Comment cultiver l’autocompassion? Un des exercices les plus communs est de s’asseoir en silence, de porter attention à sa respiration de façon affectueuse et de se souhaiter d’être bien, d’être en bonne santé, en sécurité et en paix. Pour certains, cela peut être plus difficile que d’envoyer ces souhaits à un être cher. En revanche, en pratiquant cet exercice régulièrement, cela peut devenir plus facile et moins inconfortable, presque automatique même.
Ce qui est intéressant, c’est que l’autocompassion peut aussi se pratiquer dans l’action – au moment exact où on en a besoin. Pensons à une enseignante, se voyant tout d’un coup prise de colère envers un élève. Elle ne peut sortir de la classe pour aller méditer sur l’autocompassion. Que peut-elle faire? Selon un des exercices de Kristin Neff, la pause en autocompassion, l’enseignante pourrait prendre une grande respiration, s’observer dans le moment présent, reconnaître qu’elle est en colère, ressentir cette colère dans son corps et l’accepter sans jugement (présence attentive). Elle pourrait ensuite se dire que plusieurs autres personnes ont vécu ces émotions difficiles – qu’elle n’est pas seule dans sa souffrance (humanité commune). Finalement, elle pourrait s’offrir des mots bienveillants qu’elle offrirait à un ami dans la même situation (bienveillance). Par exemple : « que je sois bienveillante et patiente envers moi-même » ou « que je m’accepte comme je suis ». Cela peut être fait en l’espace de quelques instants, sans que les autres s’en rendent compte.
En conclusion, l’autocompassion représente un outil nous permettant d’être plus résilient dans les moments difficiles, lorsqu’on fait face à des obstacles en lien avec notre carrière. C’est une pratique qui peut facilement s’intégrer à notre quotidien, sans devenir une tâche de plus sur notre liste de choses à faire.
Il y a plus de 2000 ans, un certain prophète proclamait : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Pour augmenter sa résilience et gérer les hauts et les bas de sa carrière, il faudrait plutôt commencer par s’aimer soi-même comme on aime si souvent son prochain.