Pourquoi est-il important, pour les personnes vivant avec un handicap intellectuel, d’accéder aux services de soutien à l’emploi génériques ?
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Pourquoi est-il important, pour les personnes vivant avec un handicap intellectuel, d’accéder aux services de soutien à l’emploi génériques ?

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Il est essentiel de procéder à l’intégration de cette clientèle au sein des organisations offrant des services de soutien à l’emploi à l’ensemble de la population, plutôt que de les référer à des agences spécialisées. La revue de littérature qui suit a pour objectif de valider ce point de vue.  

Jahoda, Kemp, Riddell & Banks (2008) ont examiné les implications de l’emploi, en particulier pour les personnes handicapées. Les auteurs ont conclu qu’au-delà de l’incitation financière, l’émancipation de la personne, ainsi que ses expériences de vie supplémentaires, de nouveaux objectifs motivants, le fait d’être occupé et affilié à d’autres sur le lieu de travail, constituent le véritable sens du travail (p. 15). Ils ajoutent que l’emploi de longue durée dans la même fonction exprime l’identité personnelle de l’individu (p. 15). L’emploi signifie également fierté, satisfaction et possibilités d’apprentissage pour les personnes handicapées (Lysaght, Ouellette-Kuntz et Morrison, 2009, p. 420). Les personnes vivant avec un handicap intellectuel déclarent que le sentiment d’être utiles et de s’occuper à quelque chose de productif sont des caractéristiques essentielles de leur travail. Accomplir des tâches importantes, avoir un horaire et une structure bien précis, assumer des responsabilités, respecter les délais de travail, investir des efforts pour mener à bien son travail et travailler à un rythme soutenu donnent un sens à leur travail (Freedman et Fesko, 1996, p. 49). Wehman (2011) avance que, peu importe la gravité de leur limitation, la plupart des personnes en situation de handicap sur le plan intellectuel veulent obtenir un emploi (p. 147). C’est avec ces convictions à l’esprit qu’il est possible de croire qu’un soutien à l’emploi adapté peut être offert. Cependant, il serait préférable qu’un tel soutien soit offert à travers des organisations qui desservent l’ensemble de la population et non exclusivement les personnes en situation de handicap. Voici pourquoi, selon certains chercheurs.  

Au sein des organismes spécialisés, l’exclusion implique que les personnes handicapées se distinguent des personnes non handicapées (Barnes et Mercer, 2005, p. 539). Walker & Walkers (1997) définissent l’exclusion sociale comme la non-réalisation de la citoyenneté. Selon Grint et Woolgar (1997, p. 28), la citoyenneté est d’abord et avant tout le fait qu’une personne soit un agent économique actif en accédant aux ressources de la collectivité existantes et en contribuant à l’économie locale. Dans cette perspective, l’inclusion sociale met l’accent sur l’accès aux services génériques disponibles pour tous.

Barnes et Mercer (2005, p. 531) expliquent que les services non traditionnels, à comprendre non génériques, sont contre-productifs dans la réalisation de la citoyenneté, puisqu’ils stigmatisent les gens et contribuent quoiqu’involontaire-ment, à la discrimination des personnes sur la base de leur vulnérabilité.

De plus, les agences spécialisées pour les personnes vivant avec un handicap intellectuel sont un symbole pouvant mener à la dégradation de l’image sociale d’un individu. Cette représentation des différences culturellement perçues comme étant négatives blesse la dignité (Wolfensburger, 2000, p. 106). Les organismes de services spécialisés peuvent refléter des attentes très faibles, sanctionnant ainsi la prédiction d’échec dans un contexte de services d’emploi ordinaire (Pelletier, 1998, p. 12). Une autre préoccupation est que, lorsque les personnes handicapées accèdent aux services des organismes « spécialisés », il y a de plus grands risques que cette clientèle soit accueillie et perçue par d’autres citoyens comme étant des personnes différentes et plus fragiles (Goffman, 1961, p. 31). Goffman explique plus en détail comment les membres de la communauté peuvent agir par pitié plutôt que par convivialité envers les personnes handicapées, ce qui contribue à la dégradation de l’estime de soi et de la dignité. Selon cet auteur, la perception de différenciation pourrait, de plus, accentuer des comportements hors normes chez les personnes vivant avec un handicap intellectuel.  

Plusieurs d’entre elles sont conscientes de la façon dont elles sont différentes de leurs homologues non handicapés dans la communauté (Wehman, 2011, p. 146). Francis (2004) signale que le fait d’être desservies au même titre que le reste de la population compense l’image de débilité à laquelle les personnes handicapées sont malheureusement trop souvent associées (p. 299).

Les milieux ouverts au public en général amoindrissent les différences entre les personnes handicapées et non handicapées (Wiese et Bigby, 2013, p. 46).

Ces mêmes auteurs discutent des avantages des programmes non discriminatoires en fonction de son statut (ex. : femmes, immigrants, personnes handicapées, etc.). Plutôt, en s’appuyant sur cette constatation, les organismes de services d’emploi doivent se concentrer sur l’intensité et la continuité des interventions qui ont un impact plus positif résultant de la quête d’un emploi. Lorsqu’une organisation travaille à atténuer les caractéristiques d’un handicap, Forbes (1980) suggère que cela favorise l’autonomie de la personne (p. 58).  

Non seulement de référer une clientèle vivant avec un handicap intellectuel auprès d’une organisation spécialisée en emploi pour les personnes handicapées n’est pas recommandable, mais il est d’autant plus important qu’un centre local d’emploi générique arbore les attributs d’un organisme de développement économique communautaire. Un centre d’emploi générique collabore ordinairement avec une panoplie d’employeurs. Les conseillers en emploi et en placement peuvent appuyer ces employeurs à se doter de politiques en gestion de ressources humaines ainsi que de pratiques favorables à la gestion efficace d’une main-d’œuvre diversifiée. De telles pratiques peuvent contribuer au succès en milieu de travail, pour les travailleurs vivant en situation de handicap tant que ces derniers procurent un retour sur l’investissement (Konrad, Prasad & Pringle, 2006; Bjornsdottir, Stefansdottir & Stefansd6ttir, 2015, p. 7).  

Pourquoi est-il important, pour les personnes vivant avec un handicap intellectuel, d’accéder aux services de soutien à l’emploi génériques ?

Bien que le développement économique ne s’appuie pas sur la théorie de la valorisation des rôles sociaux, théorie bien connue et appliquée dans les services dits « humains », il est possible de faire des liens assez rapidement entre cette théorie et celles soutenant le développement économique! Ces liens sont l’amoindrissement de la vulnérabilité collective, le rehaussement de l’autonomie, les relations avec les gens d’affaires, le sens de la créativité, l’atténuation de la pauvreté, la résilience et la connectivité communautaire vers le développement régional. Ces caractéristiques sont conformes à celles énumérées par Frutcherman (2011), lequel discute comment les services d’emploi poussés par le développement socioéconomique contribuent à un vaste changement social (p. 47). Un changement social auquel nous aspirons tous ne serait-il pas que les personnes handicapées soient enfin perçues et traitées comme d’autres personnes très ordinaires de notre société?  

 

Barnes, C., & Mercer, G. (2005). Disability, work, and welfare challenging the social exclusion of disabled people. Work, Employment & Society, 19(3), 527-545. Retrieved from http://dx.doi.org/10.1177/0950017005055669 

Björnsdóttir, K., Stefánsdóttir, G. V., & Stefánsdóttir, Á. (2015; 2014). ‘it’s my life’: Autonomy and people with intellectual disabilities. Journal of Intellectual Disabilities: JOID, 19(1), 5. doi:10.1177/1744629514564691 

Forbes, L. (1980). Disabled. “Halifax, NS, CAN”: Formac Press. Retrieved from http://www.ebrary.com  

Freedman, R. I., & Fesko, S. L. (1996). The meaning of work in the lives of people with significant disabilities: Consumer and family perspectives. JOURNAL OF REHABILITATION-WASHINGTON-, 62, 49-55. 

Fruchterman, J. (2011). For love or lucre. Stanford Social Innovation Review.  Retrieved from: http://www.ssireview.org/images/articles/2011SP_Feature_Fruchterman.pdf 

Goffman, E., Kihm, A. (1961). Les rites d’interaction. Espagne: Ed. de Minuit. 

Grint, K., & Woolgar, S. (1997). The machine at work: Technology, work, and organization. Cambridge, Eng: Polity Press. 

Jahoda A,Kemp, J, Riddell, S, Banks, P (2008). Feelings about work: A review of the socio-emotional impact of supported employment on people with intellectual disabilities. J Applied Research in Intellectual Disabilities 21, 1-18. 

Konrad, A. M., Prasad, P., & Pringle, J. K. (2006; 2005). The handbook of workplace diversity. Thousand Oaks [CA]; London; New Delhi: Sage Publications. doi:10.4135/9781848608092 

Lysaght R, Ouellette-Kuntz H, Morrison C (2009). The meaning and value of productivity to adults with intellectualities, Intellectual and Developmental Disabilities 47, 413-424. 

Pelletier, J. (1998). L’intégration au travail des personnes handicapées soutenues par les établissements sociosanitaires, Rapport présenté à l’Office des personnes handicapées du Québec. 

Walker, A. S. (1997). perception of expressive behaviors: Differentiation of multimodal information. Psychological Bulletin, 121(3), 437–456. https://doi.org/10.1037/0033-2909.121.3.437 

Wehman, P. H. (2011). Employment for persons with disabilities: Where are we now and where do we need to go? Journal of Vocational Rehabilitation, 35(3), 145-151. DOI:10.3233/JVR-2011-0562 

Wiese Then, S. N., l Bigby, C., Douglas, J., Carney, T., (2013), British Journal of Social Psychology, 46(1), 1-18. … Wiesbaden GmbH, part of Springer Nature 2020 D. L. Lutz, Support Work Relationships, https://doi.org/10.1007/978-3-658-29690-2  

Wolfensberger, W. (2000). A brief overview of social role valorization. Mental Retardation, 38(2), 105-123. 

Caroline Arcand détient notamment une maîtrise en Administration et Développement communautaire de l’Université de Victoria. Elle a été formée à l’Université de Syracuse, par Dr Wolf Wolfensberger quant aux concepts de la valorisation des rôles sociaux. Récipiendaire de la médaille du Sénat canadien pour ses contributions à l’avancement socioéconomique au Canada, ses champs d’intérêt sont l’évaluation des programmes et l’intégration en emploi des personnes marginalisées. Actuellement directrice du Centre de services à l’emploi de Prescott-Russell, elle a été précédemment cofondatrice ainsi que directrice générale du Groupe Convex, réseau d’entreprises sociales, dans l’est ontarien.
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Caroline Arcand détient notamment une maîtrise en Administration et Développement communautaire de l’Université de Victoria. Elle a été formée à l’Université de Syracuse, par Dr Wolf Wolfensberger quant aux concepts de la valorisation des rôles sociaux. Récipiendaire de la médaille du Sénat canadien pour ses contributions à l’avancement socioéconomique au Canada, ses champs d’intérêt sont l’évaluation des programmes et l’intégration en emploi des personnes marginalisées. Actuellement directrice du Centre de services à l’emploi de Prescott-Russell, elle a été précédemment cofondatrice ainsi que directrice générale du Groupe Convex, réseau d’entreprises sociales, dans l’est ontarien.
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