Au cours des dernières années, le système québécois de l’éducation a été significativement ébranlé : déséquilibre en contexte pandémique, pénurie et roulement de personnel, épuisement et stress chronique chez un vaste nombre d’acteurs éducatifs et difficultés d’adaptation grandissantes d’une panoplie d’élèves. Ces quelques éléments sont de solides arguments pour qu’un nombre trop élevé d’enseignants et d’intervenants aient l’envie tout à fait légitime de modifier leur trajectoire professionnelle. Ces arguments sont également repris par plusieurs étudiants universitaires en enseignement qui remettent en question leur choix d’avenir. Lorsqu’un professionnel du développement de carrière reçoit une de ces personnes dans son bureau, comment peut-il réagir pour un accompagnement optimal? Voici quelques pistes :
1. Évaluer le niveau d’épuisement de la personne
Travailler dans le monde de l’éducation est généralement très exigeant, surtout si la personne est particulièrement dévouée à l’égard de son travail. Lorsque le niveau d’énergie diminue significativement, c’est généralement une question de temps avant que la qualité de présence de l’acteur éducatif diminue proportionnellement. C’est alors que la patience, la sensibilité envers les élèves et la créativité peuvent laisser leur place à l’impulsivité, l’irritabilité et la confusion. Normalement, les élèves sont facilement touchés par ces changements d’attitude et à leur tour, ils peuvent devenir moins réceptifs et moins motivés à collaborer. Le contexte peut devenir de plus en plus difficile pour l’acteur éducatif, ce qui a tendance à l’épuiser davantage. Le cercle vicieux est enclenché, le cynisme et l’impuissance prennent de plus en plus de place. Sensibiliser la personne à l’importance de prendre soin d’elle pourrait alors être essentiel. Il n’est pas si rare qu’un enseignant arrive à modifier quelques éléments dans sa façon d’aborder son travail et sa vie, et que sa vitalité refasse surface. Lorsque cela se produit, le plaisir d’enseigner et le sentiment de compétence ont beaucoup plus de facilité à reprendre leur place, naturellement.
2. Accompagner la personne dans l’établissement de ses limites
Lorsqu’on travaille dans le monde l’éducation, on pourrait TOUJOURS en faire plus. Plus de planification, plus de développement, plus d’implication auprès des élèves en difficultés ou des parents, plus d’investissement dans différents comités, etc. Pour arriver à trouver un équilibre, il est primordial d’établir des limites personnalisées qui sont cohérentes avec son propre niveau d’énergie (et non celui de ses collègues). Plusieurs cultures organisationnelles valorisent implicitement ou explicitement le dépassement de soi en continue.
Faire plus avec moins, donner son 110 %, la réussite de l’élève à tout prix ne sont que quelques formulations qui peuvent inciter à manquer de respect envers ses propres ressources.
Rappeler à la personne que l’établissement de ses limites personnelles et la préservation de son énergie est un droit fondamental plutôt qu’un privilège peut être un bon point de départ. Ensuite, accompagner la personne à se connaître pour bien cerner ses limites peut être un défi important. Enfin, la partie la plus intimidante peut être d’assumer et d’actualiser ses limites dans le rythme effréné du quotidien. C’est alors qu’il peut être pertinent de sensibiliser la personne au fait que c’est un processus qui peut demander du temps. Ralentir le rythme, doser son énergie, être capable de décliner une demande de sa direction ou de son équipe, autant de situations pouvant s’avérer particulièrement difficiles pour certaines personnes. J’aime bien rappeler aux acteurs éducatifs qui ont de la difficulté à établir des limites claires que c’est en y arrivant qu’ils pourront préserver leur énergie ainsi que le plaisir d’être avec leurs élèves.
3. Cibler un moment exceptionnel
Lorsque le cynisme et l’impuissance envahissent l’acteur éducatif, il peut être intéressant de revenir à la source en renouant avec l’essence qui lui a permis de choisir cette profession. Quand des expressions comme « Rien ne fonctionne », « Ce n’est plus comme avant » ou « On dirait que je ne l’ai plus » se présentent au cours de votre échange avec la personne que vous accompagnez, vous pourriez lui demander de nommer un moment exceptionnel qui est à l’opposé de ce qu’elle vient d’exprimer. Par exemple, elle pourrait penser à une journée, une période, une activité ou même une interaction avec un élève où ça s’est particulièrement bien passé. Un moment où le plaisir et le sens ont refait surface. Non seulement la trouvaille de ce moment exceptionnel peut créer une brèche dans la perception de la situation de la personne, mais il peut aussi être une piste à approfondir pour générer de l’espoir et un sentiment de pouvoir. En effet, une fois que la lumière a été mise sur le précieux moment, il peut être très utile pour la personne d’être accompagnée dans l’exploration de celui-ci afin de mettre le doigt sur des ingrédients ou des conditions qui lui ont permis de se produire.
Prenons le cas d’une enseignante qui arrive dans votre bureau et qui vous mentionne qu’elle n’a plus de plaisir à être en présence de ses élèves. Après l’avoir écoutée pendant un moment, vous lui proposez de trouver un moment d’exception relativement récent où elle a eu du plaisir avec ses élèves. Après avoir accepté de se prêter au jeu, l’enseignante se rappelle une activité dans laquelle elle a beaucoup ri avec ses élèves. Lorsque vous lui proposez d’explorer ce qui était caché derrière ce moment exceptionnel, elle réalise qu’elle s’est permise de « sortir de la boîte » et donc de surprendre ses élèves par sa spontanéité, sa créativité et sa légèreté. C’est alors que, par elle-même, elle réalise que ces ingrédients sont à la base de son plaisir d’enseigner. Du même coup, elle prend conscience qu’elle a mis de côté ces éléments depuis trop longtemps. Ce processus lui permet de se souvenir d’une panoplie de moments où elle s’accordait ce droit à l’aventure et aux brins de folies avec ses élèves en début de carrière. À la fin de la rencontre, elle sort de votre bureau avec la ferme intention de renouer avec cette partie de sa personnalité d’enseignante et… avec un sourire aux lèvres!
Pour aller plus loin dans l’idée de renouer avec le plaisir d’enseigner, vous pouvez lire le livre Ces enseignantes aux super pouvoirs.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.