Cet article, composé de deux parties, aborde le rôle, l’influence et possiblement l’impact parfois négatif du besoin de contrôle sur nos trajectoires de vie (professionnelles). Dans la continuité, la seconde partie présente la notion d’acceptation comme levier utile pour sortir de cet « agenda du contrôle » et de manière à réaligner nos vies professionnelles en phase avec nos valeurs.
Lorsqu’ils songent à leur avenir, par exemple à l’occasion d’une démarche de réorientation de carrière, les individus sont spontanément orientés vers l’atteinte de buts qu’ils se fixent alors (Martin-Krumm et Tarquino, 2011). Pour y parvenir, le besoin de contrôle est essentiel et s’exprime comme un désir de maîtrise sur le résultat de leurs actions (Dubois, 1987; Schulz, 1976; Morin, 2010). Le besoin de contrôle semble donc être inhérent et fondamental à la condition humaine. À cet égard, une littérature foisonnante témoigne du désir humain de contrôle du résultat de ses propres actions (Giddens, 1991), en tant que pouvoir d’agir, l’identité elle-même et son développement se construisant par le contrôle (Piaget, 1956 ; Berzonsky, 1988). À ce sujet, il est autant question du besoin de contrôle effectif que du sentiment de contrôle (Dubois, 1987). Wallston (1987) précise qu’il est tout aussi important de se savoir capable de trouver les réponses adaptées pour contrôler une situation (p. ex., atteindre un objectif professionnel qu’on s’est fixé) que d’avoir à y recourir réellement. Il est alors question du besoin de « contrôle perçu », (Lazarus et Folkman, 1987).
À l’inverse, le fait de se savoir incapable de contrôler le résultat de ses actions ou de croire en la possibilité d’y parvenir, peut conduire à vivre de l’anxiété, de la détresse psychologique et à développer des problèmes de santé mentale, tels que de la dépression (Maier et Seligman, 1976 ; Courty, Bouisson et Compagnone, 2004). Au niveau professionnel et face à des difficultés pouvant se traduire, par exemple, par de l’ennui, de la perte de sens ou du plafonnement de carrière, la perte ou la privation de contrôle qui peut être ressentie, s’accompagne, en particulier, d’un sentiment d’impuissance (Lhuillier, 2006) et de désespoir (Maier et Seligman, 1976).
Face à des difficultés, notamment d’ordre professionnel (perte d’emploi ou démarche de réorientation de carrière subie à la suite d’un accident du travail), les individus cherchent alors et avant tout à restaurer leur contrôle.
Pour y parvenir, ils ont souvent tendance à surévaluer leurs possibilités de maîtrise sur leur environnement, leurs possibilités, refusant parfois d’admettre que des facteurs qui leur apparaissent comme incontrôlables puissent expliquer ce qui leur arrive et déterminer leurs options (Dubois et Leyens 1994).
Dans ces conditions, ils sont susceptibles d’entretenir une forme d’illusion quant au pouvoir, exagéré, qu’ils croient avoir sur leur environnement, mais aussi sur les comportements qu’ils adoptent de manière à pouvoir tenter de maîtriser à nouveau le résultat de leurs actions (Langer et al., 1983). Dans ce contexte, le postulat du contrôle semble poser problème puisqu’il inciterait les individus à tenter de gérer à la fois leurs actions, leurs comportements, mais aussi les pensées et les émotions qui les accompagnent. Cependant, de telles tentatives semblent avoir un effet notoirement nuisible au niveau de leur santé psychologique : de nombreuses études soulignent en effet l’effet paradoxal du contrôle des pensées et des émotions et de son impact négatif sur le plan psychologique (Wilson et Murrell, 2004). Ainsi, plus les individus cherchent à contrôler et faire taire les pensées et les émotions pénibles associées à une difficulté, plus leur fréquence d’apparition et leur intensité risquent d’augmenter (Monestès, Villatte et Loas, 2009; Wegner et Erber, 1992).
L’approche d’acceptation et d’engagement (ACT) propose une alternative intéressante pour sortir de cette tendance au contrôle (Hayes et al., 2012).
Selon l’ACT et puisque le fait « d’accepter plutôt que lutter, d’observer avec distance plutôt que croire nos pensées difficiles est plus efficace que de tenter de s’en débarrasser » (Monestès, Villatte, 2011, p.2), le travail sur l’acceptation cherche donc à limiter l’influence de ses pensées et de ses émotions sur ses comportements (Butler et Ciarrochi, 2007). Hayes et al., (2012) précisent que l’acceptation consiste non pas à se résigner, mais plutôt à demeurer ouvert et bienveillant à l’égard de ce qui se passe en soi, dans le moment présent et sans chercher à modifier ses ressentis, même lorsqu’ils sont négatifs et douloureux.
Sur le plan empirique, et tandis que le fait de ne pas accepter ses pensées est associé à plus de pensées intrusives et d’obsessions, plusieurs études soulignent en quoi une attitude d’acceptation envers ses pensées et ses émotions négatives quand elles surviennent aurait pour effet d’en diminuer la fréquence et l’intensité (Shallcross, Troy, Boland, et al., 2010 ; Wolgast, Lundh, et Viborg, 2011), l’acceptation de ses émotions négatives contribuant même au développement de la santé psychologique (Ford, Lam, John et al., 2017).
Nous verrons dans un prochain article, comment mettre en pratique cette notion d’acceptation auprès des personnes.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références
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