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Marie est infirmière depuis seulement trois ans. Pourtant, elle est assise devant vous, déprimée, se questionnant à propos de sa carrière et de ses objectifs de vie. Cette situation n’est plus inhabituelle depuis les dernières années. Effectivement, en 2021, le journal La Presse révélait que 4000 infirmières québécoises avaient quitté leur emploi, entre mars et décembre de l’année précédente, notamment pour aller joindre les rangs du secteur privé. Or, parmi celles-ci, plusieurs sont pourtant de nouvelles recrues. D’ailleurs, Faubert (2023) mentionne que chaque année environ 40 % des nouvelles recrues de moins de 35 ans quittent non seulement le secteur public, mais la profession. Il est cependant important de savoir que la cinquième année constitue la période charnière.
Effectivement, au Québec, on note une rétention d’environ 90 % chez les nouvelles arrivantes après cinq ans d’appartenance à la profession (OIIQ, 2020).
Afin de bien accompagner Marie et d’intervenir efficacement, il est important de comprendre ce qu’elle vit.
Parmi les éléments souvent répertoriés, la surcharge de travail, la rémunération considérée insuffisante ainsi que les mauvaises conditions de travail sont quelques-unes des raisons permettant d’expliquer ce départ massif et précoce du domaine de la santé par les nouvelles infirmières (Faubert, 2023). Qui plus est, dans ce contexte difficile de soins, plusieurs novices en viennent à éprouver une déception professionnelle, un sentiment de désillusion quant au choix de carrière (Zullo, 2023). La personne vivant ce type de sentiment perçoit alors une disparité entre la vision qu’elle avait de la profession durant ses études et la réalité de la pratique lorsqu’elle arrive en tant qu’infirmière dans les milieux de soins. Malheureusement, cette désillusion ainsi que tout le contexte professionnel vécu peuvent en venir également à causer un épuisement professionnel, même parmi les nouvelles recrues. D’ailleurs, la charge de travail est considérée comme étant l’une des principales raisons incitant les infirmières novices québécoises à quitter la profession (Lavoie-Tremblay, O’Brien-Pallas et al., 2008). De plus, les heures supplémentaires effectuées contribuent au sentiment d’épuisement professionnel (Bougie & Cara, 2008). Une étude effectuée auprès d’infirmières ontariennes ayant moins de trois ans de pratique a également fait ressortir que 66 % d’entre elles démontraient des signes d’épuisement professionnel au moment de cette étude (Cho, Laschinger & Wong, 2006). Cela démontre bien l’impact de ces facteurs sur les taux de rétention des nouvelles graduées.
Rappelons que l’épuisement professionnel comprend trois composantes : l’épuisement émotionnel (difficulté à faire face à une émotion), la perte du sens de l’accomplissement de soi au travail (démotivation et doute quant aux compétences) ainsi que la déshumanisation de la relation à l’autre (mode de défense psychologique afin de se protéger) (Maslach & Jackson, 1986). Malgré le fait que l’épuisement professionnel ne soit pas exclusif au domaine de la santé, notons qu’il n’y a que dans les professions d’aide que la dernière caractéristique a un impact aussi important (Canoui, 2003).
Ainsi, différentes interventions seraient à prôner au cours d’un processus d’orientation. Tout d’abord, avant de commencer tout processus, s’il y a apparence de symptômes d’épuisement professionnel, il serait important de référer la personne à son médecin de famille afin de faire évaluer sa condition et d’effectuer le suivi approprié. Ainsi, il ne serait peut-être pas optimal de réaliser des tests psychométriques et un processus d’orientation complet si les symptômes dépressifs causés par un épuisement professionnel sont présents, venant ainsi fausser plusieurs données que le professionnel en orientation récolterait.
Dans un deuxième temps, il importe d’explorer le contexte (comme les facteurs énumérés précédemment) faisant en sorte que l’infirmière vient nous rencontrer. C’est à partir de cela que nous pourrons mieux explorer la situation et les intérêts de la personne devant nous. Par exemple, pour l’infirmière qui adhère encore aux valeurs de la profession, mais qui songe à changer de carrière en raison du contexte de travail, il pourrait être pertinent d’explorer les autres possibilités d’emploi dans le domaine infirmier, selon ses intérêts. Ainsi, l’infirmière pourrait réfléchir à un emploi dans un autre département ou un autre hôpital où les tâches et la gestion administrative pourraient être différentes et mieux lui convenir. De plus, il faut prendre en considération que les milieux d’emploi ne se limitent pas au système de santé public et au système de santé privé. Nous retrouvons également des infirmières travaillant pour des compagnies d’assurances, pour des entreprises privées en tant que consultantes, dans les milieux de l’enseignement, etc. L’infirmière ne doit donc pas limiter ses réflexions aux milieux de soins traditionnels. De plus, si l’infirmière songe à un retour aux études, certains acquis pourraient être transférables à d’autres contextes de « prendre soins », par exemple en allant effectuer une formation universitaire dans un domaine connexe comme les sciences humaines et sociales. Pour d’autres ayant une personnalité de leader, un rôle de gestionnaire pourrait également être une option envisageable. Il est possible aussi que le domaine de la santé ne soit plus un centre d’intérêt pour la personne et qu’elle désire maintenant explorer un autre domaine. Bref, peu importe la situation, il sera important de déterminer les centres d’intérêts professionnels de l’infirmière devant nous, afin de la coacher dans ses réflexions et de l’accompagner dans la recherche d’information. D’ailleurs, toute transition demande réflexion et accompagnement. Pour effectuer un tel accompagnement, des entretiens motivationnels seraient tout indiqués et guideraient la réflexion dans cette prise de décision occupationnelle.
Ainsi, les infirmières en quête de réflexion sur leur carrière font maintenant partie d’une clientèle de plus en plus présente en contexte d’orientation. Il importe donc de prendre en considération certains éléments spécifiques à leur réalité de travail afin d’optimiser notre accompagnement, entre autres par des entretiens motivationnels.
Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références :
Bougie, M. & Cara, C. (2008). Temps supplémentaire obligatoire. Une première étude phénoménologique sur les perceptions d’infirmières. Sept thèmes se dégagent de leurs propos. Perspective infirmière, 5 (8) : 32-40.
Canouï, P. (2003). La souffrance des soignants: un risque humain, des enjeux éthiques. Revue internationale de soins palliatifs, 18(2), 101-104.
Cho, J., Laschinger, H. S., & Wong, C. (2006). Workplace empowerment, work engagement and organizational commitment of new graduate nurses. Nursing Research, 19(3), 43.
Duchaine, G., Touzin, C., Bilodeau, E. & Lacoursière, A. (2021). Fuite vers le privé. La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/covid-19/2021-02-08/infirmieres/fuite-vers-le-prive.php
Faubert, E.B. (2023). La pénurie de personnel infirmier au Québec : Améliorer la flexibilité et les conditions de travail. Les notes économiques. Octobre. Institut économique de Montréal.
Lavoie-Tremblay, M., O’Brien-Pallas L., Gélinas C., Desforges, N. & Marchionni C. (2008). Addressing the turnover issue among new nurses from a generational viewpoint. Journal of nursing management, 16(6): 724-733.
Maslach, C., & Jackson, S. E. (1986). Maslach burnout inventory: manual. Palo Alto, Californie. Consulting Psychologists Press.
Miller, W.R. & Rollnick, S. (2019) L’entretien motivationnel. Aider la personne à engager le changement. Interéditions: États-Unis.
OIIQ (2020). Portrait de la relève infirmière 2019-2020. https://www.oiiq.org/documents/20147/9565847/Portrait-releve-2019-2020.pdf
Zullo, J. (2023). Questions et réponses : Quels conseils donneriez-vous aux membres du personnel infirmier qui ont subi de la violence verbale? L’infirmière canadienne. https://www.infirmiere-canadienne.com/blogs/ic-contenu/2023/06/28/conseils-personnel-infirmier-violence-verbale