Marché du travailRessources et formations

Épuisement professionnel chez les infirmières : facteurs individuels, contextuels et impacts

Getting your Trinity Audio player ready...
Mise en contexte 

L’épuisement professionnel ou burnout est considéré comme le mal psychique des temps modernes (Papineau, 2005). Il n’est pas officiellement considéré comme un trouble de santé mentale, mais est plutôt défini comme un phénomène professionnel résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été géré avec succès (OMS, 2019). Une étude québécoise effectuée auprès de 300 travailleurs de la santé, dont des infirmières, avançaient que 52 % des participants souffraient d’épuisement professionnel (Cyr, Marcil, Marin, Tardif et al., 2021). Ainsi, la littérature abonde depuis déjà plusieurs années concernant l’épuisement professionnel chez les infirmières et les recherches à ce sujet sont toujours d’actualité. Ce phénomène est malheureusement courant en début de carrière et est constamment cité comme source d’inquiétude majeure chez les infirmières du Canada (McGillis Hall & Visekruna, 2020; Statistique Canada, 2005). Les prochaines lignes mettent en lumière certains éléments spécifiques à cette profession.  

Facteurs contribuant à l’épuisement professionnel 

Facteurs personnels 

On reconnaît généralement que les facteurs prédisposant à l’épuisement professionnel proviennent à la fois de l’individu et de l’organisation (Maslach, Schaufeli et Leiter, 2001). Il serait cependant impossible de lister tous les facteurs individuels ou organisationnels pouvant influer sur le développement d’un épuisement professionnel.  

En ce qui concerne l’infirmière elle-même, certaines études ont montré que la prévalence de l’épuisement professionnel chez les infirmières peut être reliée au genre, au statut marital ainsi qu’à l’âge (Cañadas-Dela Fuente et al., 2015). D’ailleurs, concernant l’âge, Leiter et Maslach (2009) mentionnent, par exemple, que les cohortes d’infirmières issues, entre autres, de la génération X (personnes nées entre 1965 et 1980), semblent plus enclines à l’épuisement professionnel. Il en est de même pour les nouvelles infirmières graduées, où une étude québécoise démontrait que 43,4 % des infirmières novices présentent un niveau de détresse psychologique élevé (Lavoie-Tremblay et al., 2008). Notons qu’un niveau de détresse élevé est relié au risque d’épuisement professionnel et peut également évoluer vers l’apparition de troubles mentaux tels que des troubles liés à l’anxiété ou des troubles dépressifs.

Certains traits de la personnalité peuvent également prédisposer l’infirmière à un épuisement professionnel.

Par exemple, c’est le cas d’une personne « trop » disciplinée à son travail et qui a tendance à se dévouer à celui-ci tout en mettant ses activités personnelles (loisirs, sport, famille) de côté (Munroe & Brunette, 2001). D’autres facteurs personnels, reliés à la personnalité contribuent également à la présence d’épuisement professionnel, notamment une faible estime de soi, le perfectionnisme, l’idéalisme, la pression de performance, la prédisposition à l’anxiété, une difficulté de l’affirmation de soi ainsi qu’une difficulté dans la gestion du stress (Fauteux, 2003). 

Facteurs reliés au contexte de travail 

Au-delà des facteurs individuels de l’infirmière pouvant la prédisposer au burnout, certains autres facteurs relèvent du contexte de travail. Notons tout d’abord la conciliation entre les exigences professionnelles et familiales qui sont régulièrement mises en évidence (Boivin-Desroches & Alderson, 2014). À ce propos, certains auteurs avancent d’ailleurs que les gestionnaires devraient être davantage sensibilisés à cette conciliation auprès de cette catégorie de professionnels (Tremblay & Larivière, 2009). Or, la nature et les conditions dans lesquelles s’exercent les activités des professionnels de la santé, particulièrement des infirmières, affectent négativement leur santé et leur moral au travail (Gershon et al., 2007; Shields et Wilkins, 2006). Ainsi, la charge de travail excessive semble être également un facteur important contribuant à l’épuisement professionnel des infirmières (Berry & Curry, 2012; Boivin-Desroches & Alderson, 2014). Il en est de même avec les heures supplémentaires effectuées qui contribuent également au phénomène (Bougie & Cara, 2008). Divers autres éléments peuvent également influer sur l’apparition de l’épuisement professionnel. Notons, entre autres, la pression venant des patients et des collègues visant à accentuer la performance; la pression reliée au risque de mauvaises décisions pouvant conduire à l’aggravation de la maladie, de la souffrance, voire à la mort; le risque d’être accusés de négligence ou de faute professionnelle; la difficulté de prévenir les risques d’infection et de contamination patient-soignant, les risques d’agression et de blessures, le sommeil de mauvaise qualité à cause des horaires irréguliers; l’adaptation aux changements technologiques, la charge et l’organisation du travail, l’instabilité des horaires de travail, la faible communication organisationnelle, le sentiment de manque de contrôle sur le travail ainsi que le manque de reconnaissance des efforts des employés par l’organisation (Brooks Carthon et al., 2021; Cañadas-De la Fuente et coll., 2015; Chirico et al., 2020; Firth-Cozens & Payne, 2000; HAS, 2017; INSPQ, 2011; Laeeque et al., 2019; Lin et al., 2019; Molina-Praena et al., 2018; Pradas-Hernández & Ariza, 2018; Tawfik et coll., 2017; Wei et coll., 2017; Zhang et al., 2018). Tous ces facteurs, qu’ils soient issus de l’individu lui-même ou en lien avec le contexte de travail influeront donc sur le développement de l’épuisement professionnel chez certaines infirmières.  

Impact d’un épuisement chez l’infirmière toujours en fonction 

Or, l’épuisement professionnel amène son lot de conséquences pour l’infirmière qui continue de travailler, malgré son épuisement. Tout comme pour les facteurs contribuant à l’épuisement professionnel, il serait difficile de répertorier tous les impacts de ce phénomène chez l’infirmière aux prises avec cet épuisement. Notons, en premier lieu, que cela aura une répercussion sur la performance et la satisfaction personnelle de l’infirmière par rapport au travail qu’elle a effectué et la perception de sa compétence (Berry & Curry, 2012; Boivin-Desroches & Alderson, 2014; Canoui, 2003).

D’ailleurs, l’insatisfaction au travail est une conséquence majeure du burnout (Vandenberghe, Stordeur & D’hoore, 2009). 

De plus, pour « tenir le coup », la personne peut être amenée à faire l’usage de substances telles que l’alcool, les drogues ou d’autres psychotropes afin d’obtenir un état de détente (Canoui, 2003). Parmi les autres conséquences sur la santé, notons, entre autres, les signes et symptômes, somatiques et comportementaux, suivants : les troubles du sommeil, gastro-intestinaux (par exemple, difficulté avec la digestion), dermatologiques (par exemple, psoriasis), sexuels (diminution de la libido), un caractère plus irritable ainsi qu’une labilité émotionnelle (Canoui, 2003; Dyrbye et al., 2019; Parent-Lamarche, 2016). On constate également que le taux d’absentéisme des infirmières en épuisement professionnel, mais toujours au travail, augmente dans ce contexte (Berry & Curry, 2012; Bekker et al., 2005; Boivin-Desroches & Alderson, 2014; Borritz et al., 2006). 

Un rôle de vigilance 

Les facteurs individuels et contextuels contribuant à un épuisement professionnel chez les infirmières sont donc nombreux, tout comme les impacts du phénomène pour elles. Les conseillers et conseillères en orientation sont dans une position clé pour détecter et prévenir les épuisements professionnels. D’ailleurs, (…) évaluer le fonctionnement psychologique, les ressources personnelles et les conditions du milieu, intervenir sur l’identité ainsi que développer et maintenir des stratégies actives d’adaptation dans le but de permettre des choix personnels et professionnels tout au long de la vie, de rétablir l’autonomie socioprofessionnelle et de réaliser des projets de carrière chez l’être humain en interaction avec son environnement (…) fait partie du champ d’exercice de cette profession.1 

Ainsi, les professionnels en développement de carrière rencontrant des infirmières doivent porter attention à certains facteurs, tel que ceux mentionnés précédemment, pouvant indiquer qu’elles sont soit à risque d’épuisement professionnel ou qu’elles vivent actuellement cette situation. Il ne faut pas hésiter à ouvrir la discussion auprès d’elles et à les référer à un professionnel pouvant évaluer la possibilité d’un arrêt de travail avant que des conséquences majeures sur la santé physique et psychosociale de l’infirmière apparaissent. Ainsi, il ne serait peut-être pas optimal de réaliser des tests psychométriques et un processus d’orientation complet si les symptômes dépressifs causés par un épuisement professionnel sont présents, venant ainsi fausser plusieurs données que le professionnel en orientation récolterait.2

Cependant, de manière complémentaire, le conseiller ou la conseillère en orientation pourra aider l’infirmière, entre autres, à retrouver son estime de soi et à communiquer ses limites.3 

 

 Références web

1- La santé mentale au cœur de la pratique des conseillers et conseillères d’orientation (Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec, 2022)

2- La réalité des soins infirmiers et le développement de carrière (OrientAction, 2023)

3- Comment un conseiller ou une conseillère d’orientation peut m’accompagner (OrientAction, 2024)


Références bibliographiques

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.    

 

 

Titulaire d’un DESS en santé mentale ainsi que d’une maîtrise en sciences infirmières portant sur la santé mentale positive auprès d’une clientèle anxieuse, il complète actuellement une maîtrise en sciences de l’orientation dont le sujet concerne les stratégies organisationnelles mises en place dans les milieux de soins pour prévenir l’épuisement professionnel des infirmières. Il a travaillé durant 13 ans dans les milieux cliniques de psychiatrie (unités de soins, urgence, clinique externe) et il est actuellement chargé d’enseignement à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, de même que chargé de cours au département des sciences de la santé de l’UQAR depuis plus de 7 ans. Ses champs d’intérêt sont reliés au bien-être des intervenants, à la présence de comorbidité chez la clientèle ayant une problématique de santé mentale ainsi qu’aux approches d’interventions auprès de la clientèle.
×
Titulaire d’un DESS en santé mentale ainsi que d’une maîtrise en sciences infirmières portant sur la santé mentale positive auprès d’une clientèle anxieuse, il complète actuellement une maîtrise en sciences de l’orientation dont le sujet concerne les stratégies organisationnelles mises en place dans les milieux de soins pour prévenir l’épuisement professionnel des infirmières. Il a travaillé durant 13 ans dans les milieux cliniques de psychiatrie (unités de soins, urgence, clinique externe) et il est actuellement chargé d’enseignement à la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, de même que chargé de cours au département des sciences de la santé de l’UQAR depuis plus de 7 ans. Ses champs d’intérêt sont reliés au bien-être des intervenants, à la présence de comorbidité chez la clientèle ayant une problématique de santé mentale ainsi qu’aux approches d’interventions auprès de la clientèle.
Latest Posts
  • L’épuisement professionnel ou burnout est considéré comme le mal psychique des temps modernes (Papineau, 2005).
  • La réalité des soins infirmiers et le développement de carrière.