L’anxiété en situation de choix de carrière : La parole aux jeunes!
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L’anxiété en situation de choix de carrière : La parole aux jeunes!

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  1. Introduction

L’anxiété à l’adolescence n’est pas une problématique nouvelle, mais son augmentation au cours des dernières années (Therriault et al., 2022) signifie que les personnes professionnelles de l’orientation la côtoient de plus en plus fréquemment dans leur pratique. Cette anxiété peut avoir des effets délétères sur les jeunes, notamment une augmentation de l’absentéisme, une diminution des résultats scolaires et l’évitement de comportements qui pourraient les aider à réaliser un choix de carrière, par exemple la consultation en orientation professionnelle (Germeijs et al., 2006; Turgeon et Gosselin, 2015).

Un élément pouvant contribuer à l’anxiété chez les jeunes est la réalisation d’un premier choix de carrière (Cournoyer et al., 2016), qui est selon plusieurs écrits un des choix les plus importants d’un parcours vocationnel (Gati et Tal, 2008).

Des études démontrent que l’anxiété en situation de choix de carrière émerge alors que l’élève est amené à faire un choix à un moment socialement normé, sans nécessairement posséder les instruments pour le faire (Dupuis, 2022). Elle peut être alimentée par le fait que la société actuelle donne en grande partie cette responsabilité à l’élève (Guichard, 2012), par la nature du système scolaire québécois (Kamanzi et Pilote, 2016) et par l’insuffisance des ressources en orientation en milieu scolaire (Dionne et al., 2018).

Des pistes sont ainsi avancées pour expliquer ce phénomène, mais assez peu d’études interrogent directement les jeunes sur ce qui alimente leur anxiété en situation de choix de carrière. Dans le cadre de l’évaluation de l’implantation d’un programme de counseling de carrière groupal (HORS-PISTE Orientation) développé pour prévenir – et intervenir sur – l’anxiété en situation de choix de carrière, il a été possible de dégager ce que les jeunes ont à dire concernant ce qui se cache derrière cette anxiété. Plusieurs facteurs contribuant à l’anxiété en situation de choix de carrière ont ainsi pu être identifiés.

  1. Les facteurs contribuants

2.1. Le rôle de l’entourage

Autant la famille, les amis et amies que les membres du personnel scolaire jouent un rôle dans l’anxiété en situation de choix de carrière ressentie par les jeunes. Les parents, notamment, semblent occuper une place centrale en ce sens. Certains élèves rapportent que le peu d’appui que leur offrent leurs parents relativement à leur choix est anxiogène, alors qu’ils ne se sentent pas soutenus, ou qu’ils devront faire des choix en conséquence des choix de leurs parents : « Mes parents me disent qu’ils vont me mettre dehors. À 18 ans, je pense que je [vais devoir] trouver un emploi pour vivre. » – Olivier. À l’inverse, d’autres élèves rapportent que leurs parents leur ajoutent une pression à l’égard du choix à faire :

« Mes parents, parce qu’ils ont beaucoup, beaucoup d’influence. Bien, c’est plus eux qui me mettent de la pression, genre, choisir un bon métier, tu sais, ils me disent tout le temps “tu as le potentiel de”. Donc là, on dirait que ça te met un peu de pression de faire quelque chose… Tu sais, ce n’est pas nécessairement parce que j’ai de bonnes notes en math, puis en sciences, que je veux nécessairement faire ça. Puis eux autres sont comme  ‟mais tu as le potentiel, donc vas-y” ». – Clara

Certains élèves rapportent des situations similaires, alors que leurs parents, très concernés, semblent souhaiter les voir se diriger dans un domaine particulier. À l’opposé, d’autres rapportent que leurs parents sont un soutien important dans la réalisation de leur choix et qu’ils contribuent à diminuer l’anxiété ressentie.

La fratrie peut aussi jouer un rôle dans l’anxiété, alors que des élèves indiquent que les choix réalisés par leurs frères et sœurs plus âgés les influencent :

« Ma sœur veut devenir médecin, elle fait ses études à l’université pour devenir médecin. Puis […] on dirait que ça me met, je me mets moi-même la barre haute des attentes, un peu. Comme si je ne deviens pas médecin, je fais quoi alors? » – Léonie

L’inverse est encore vrai ici, alors que quelques jeunes rapportent que les choix réalisés par la fratrie et considérés négativement par la famille peuvent créer une pression de faire un « bon choix » pour rendre leurs parents fiers.

Les camarades et les membres du personnel scolaire sont aussi nommés comme facteurs anxiogènes par certains jeunes, en leur servant souvent de rappel sur la nécessité de réaliser un choix de carrière et peuvent donner l’impression au jeune d’être en retard à ce sujet :

« Cette peur-là, c’est plus… je la vois dans mes profs surtout : “Ah, tu es en secondaire quatre, tu devrais commencer à penser si tu vas au cégep, si tu vas à l’université”. Puis dans ma tête c’est : ouin… mais j’ai juste 16 ans! » – Naïma

L’entourage de l’élève semble ainsi jouer un rôle déterminant dans l’anxiété en situation de choix de carrière, bien que chaque jeune semble vivre l’influence de son entourage différemment.

2.2. La vision sociale de la réussite

Au-delà de l’entourage immédiat de l’élève, la société plus généralement peut aussi contribuer à l’anxiété en situation de choix de carrière. Certains jeunes rapportent que l’omniprésence des réseaux sociaux dans leur vie peut introduire une vision biaisée de ce qu’est la réussite :

« On est peut-être plus exposés à la performance, puis je pense qu’on est plus exposés justement à cause des réseaux sociaux […] De voir des gens réussir à un bas âge comme… ça donne du stress. Pourquoi moi genre… moi je ne fais pas ça, moi je ne suis pas comme ça? » – Delphine

Les jeunes indiquent que les modèles qui leur sont montrés leur présentent une vision où la réussite est associée à la performance, ou à certaines professions en particulier :

« Il y a la société, je trouve que ça, ça nous [influence] beaucoup dans ce qu’on peut penser des métiers, puis dans nos décisions. Qu’un certain métier soit bien vu, qu’un autre non, je trouve que ça peut mettre quand même un poids sur beaucoup de gens. » – Zoé

Le fait que certains métiers soient davantage valorisés que d’autres peut contribuer à l’anxiété en situation de choix de carrière. Que les jeunes le veuillent ou non – et en soient conscients ou non – la vision sociale de la réussite à laquelle ils sont exposés peut influer sur leur choix de carrière, mais également alimenter l’anxiété qu’ils ressentent face à cette décision.

Plusieurs jeunes s’entendent sur le fait que la société occidentale actuelle est axée sur la réussite et la performance, une vision qui s’étend également en milieu scolaire et qui peut avoir une influence sur les choix de carrières qui s’offrent à eux :

« L’école, je dirais plus les notes… admettons que tu veuilles devenir […] je vais prendre moi comme exemple, je veux devenir médecin. Mais admettons que je voyais que mes notes là, c’est vraiment comme pas beau. Bien là je serais comme : “ peut-être que je vais laisser faire”. » – Emma

La société actuelle, notamment par le biais du contingentement académique associé à plusieurs programmes d’études, contribue ainsi à l’anxiété en situation de choix de carrière de certains jeunes qui se doivent d’avoir de bonnes notes pour pouvoir entrer dans le programme convoité.

2.3. La projection dans un futur incertain

Le fait que la réussite soit associée à la performance amène certains jeunes à questionner leurs propres capacités quand vient le moment d’un choix de carrière, qui implique nécessairement de se projeter dans un futur incertain. Pour quelques-uns, le fait de ne pas pouvoir réaliser un choix de carrière en ayant l’assurance qu’il s’agit réellement du « bon choix » représente un obstacle important qui peut susciter de l’anxiété.

« Justement, tu ne peux pas prévoir le futur, fait que d’après moi, ce qui fait peur à la plupart des gens, c’est de ne pas savoir. Fait que si tu ne sais pas, bien… tu ne sais pas où t’enligner, tu ne sais pas quoi faire, fait que c’est comme si tu te lançais dans le vide genre, en ne sachant pas où. » – Livia

Plusieurs élèves expriment une crainte quant au fait de changer de choix de carrière en cours de parcours, ce qui implique de prendre du retard sur leurs pairs et de ne pas avoir le parcours « droit, parfait, qui marche » – Zoé. Mais pour d’autres, le fait de changer d’idée est aussi associé à un enjeu économique, alors que les dettes peuvent s’accumuler en cas de changement de programme et d’allongement des études.

L’aspect économique du choix est difficile à considérer pour certains élèves, qui ne savent pas précisément ce qu’est le salaire moyen ou ce que la « vie d’adulte » exige en termes financiers. Plusieurs jeunes accordent une forte importance aux salaires des métiers envisagés afin d’avoir un train de vie confortable. Pour d’autres, il s’agit d’un enjeu lié aux études, lesquelles peuvent représenter un coût significatif :

« Le fait qu’à 16 ans je m’en vais étudier dans une autre ville, je veux pouvoir être capable de me nourrir, être capable de payer mes études. Puis, tu sais, ce n’est pas toutes les mêmes affaires qui coûtent la même chose là, dépendamment où tu t’en vas, fait que des fois tu es comme : “ Ouin! Je veux faire ça, mais, ah, ça coûte trop cher!” . Bien… c’est stressant. » – Amélia

Ainsi pour plusieurs jeunes, la réalisation d’un choix de carrière nécessite de se projeter dans un futur qui est incertain, mais également un futur difficile à se représenter compte tenu de leurs connaissances ou de leurs circonstances actuelles. Le choix de carrière suppose nécessairement une part d’incertitude et pour certains élèves, cette incertitude peut être associée à de l’anxiété.

  1. Discussion et conclusion

Donc, que retenir de tout cela? Ce billet avait pour objectif de mettre de l’avant certains des facteurs contribuant à l’anxiété en situation de choix de carrière des jeunes, tels que nommés par eux. Trois grandes catégories ont été identifiées, mais il semble nécessaire de considérer que l’anxiété en situation de choix de carrière chez les jeunes est associée à de multiples facteurs et que ceux-ci varient d’une personne à l’autre. Même pour les jeunes qui parlent d’un même facteur – par exemple, les parents – les actions des parents ne sont pas vécues de la même façon par tous. De fait, la situation de chaque jeune est unique et doit être abordée de cette façon par les spécialistes de l’orientation.

Il existe encore assez peu de ressources pour l’intervention en orientation auprès des jeunes anxieux, mais l’identification des facteurs contribuants représente un pas en avant intéressant.

Comme une participante au groupe l’a indiqué : « Je pense que si tu as à régler un problème, bien, c’est mieux de savoir la source. […] parce que j’ai l’impression que tant que tu n’es pas remontée à la source, ça va revenir. » – Alexia. La recherche se poursuit sur ce thème, ainsi que sur le programme HORS-PISTE Orientation.

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.  

 

Références

Cournoyer, L., Lachance, L. et Samson, A. (2016). « L’action décisionnelle de carrière: processus en deux dimensions, quatre tensions ». Dans J. Masdonati, M. Bangali et L. Cournoyer (dir.), Éducation et vie au travail: perspectives contemporaines sur les parcours et l’orientation des jeunes (p. 119-145). Presses de l’Université Laval.

Dionne, P., Viviers, S., Picard, F. et Supeno, E. (2018). « Orientation pour tous au secondaire public: mythe ou réalité au Québec ». Revue de l’éducation de la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, 5(3), 2-7.

Dupuis, A. (2022). « Les processus favorisant le développement de la maîtrise de l’anxiété dans une situation de choix de carrière au sein d’un groupe de counseling lors de l’adolescence » [thèse de doctorat inédite]. Université de Sherbrooke.

Germeijs, V., Verschueren, K. et Soenens, B. (2006). « Indecisiveness and high school students’ career decision-making process: Longitudinal associations and the mediational role of anxiety ». Journal of Counseling Psychology, 53(4), 397-410.

Guichard, J. (2012). « L’organisation de l’école et la structuration des intentions d’avenir des jeunes ». Dans F. Picard et J. Masdonati (dir.), Les parcours d’orientation des jeunes: Dynamiques institutionnelles et identitaires (p. 15-50). Presses de l’Université Laval.

Kamanzi, P. C. et Pilote, A. (2016). « Parcours scolaires et reproduction sociale au Québec ». Dans J. Masdonati, M. Bangali et L. Cournoyer (dir.), Éducation et vie au travail: perspectives contemporaines sur les parcours et l’orientation des jeunes (p. 9-45). Presses de l’Université Laval.

Therriault, D., Houle, A.-A., Lane, J., Smith, J., Gosselin, P., Roberge, P. et Dupuis, A. (2022). « L’anxiété généralisée chez les adolescents et les adolescentes du Québec : portrait des élèves du secondaire ». Santé mentale au Québec, 47(1), 263-287. https://doi.org/10.7202/1094154ar

Turgeon, L. et Gosselin, M.-J. (2015). « Les programmes préventifs en milieu scolaire auprès des enfants et des adolescents présentant de l’anxiété ». Éducation et Francophonie, 43(2), 30-49. https://doi.org/10.7202/1034484ar

Audrey Dupuis est professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton. Aussi conseillère d’orientation, ses recherches portent notamment sur la santé mentale des jeunes, les transitions scolaires et professionnelles, l’évaluation de programmes et le counseling de carrière groupal.

 

Zachary Rancourt-Tremblay est étudiant au doctorat en psychologie au cheminement en psychologie clinique de l’enfant, de l’adolescent et des parents de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts de recherche s’orientent sur la santé mentale des jeunes, les transitions scolaires et professionnelles, l’intervention par la nature et l’aventure et l’engagement.

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Audrey Dupuis est professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton. Aussi conseillère d’orientation, ses recherches portent notamment sur la santé mentale des jeunes, les transitions scolaires et professionnelles, l’évaluation de programmes et le counseling de carrière groupal.

 

Zachary Rancourt-Tremblay est étudiant au doctorat en psychologie au cheminement en psychologie clinique de l’enfant, de l’adolescent et des parents de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts de recherche s’orientent sur la santé mentale des jeunes, les transitions scolaires et professionnelles, l’intervention par la nature et l’aventure et l’engagement.

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