Seul l’arbre qui a subi les assauts du vent est vraiment vigoureux, car c’est dans cette lutte que ses racines, mises à l’épreuve, se fortifient. (Sénèque, 4 av. J.-C.)
Accompagner la croissance
Nos métiers d’aide nous motivent à apprendre tout au long de la vie, que nous soyons un professionnel passionné ou qu’un ordre professionnel nous y oblige. Dans le rétroviseur s’alignent les perfectionnements qui contribuent, avec l’expérience et les bilans, à construire notre expertise. La professionnalisation, c’est un peu ça.
Dans ce billet, il sera question de l’Arbre de vie. L’essor de la préoccupation envers l’équité, la diversité et l’inclusion (ÉDI) en a motivé la rédaction. L’arbre exprime tout l’être, il aide à s’orienter, à faire le point, à trouver un sens. C’est une technique utile dans un très grand nombre de contextes : en orientation pour dresser un bilan de compétences, en insertion, en réadaptation médicale et en entreprise.
Quelques mots sur l’ÉDI
L’équité, la diversité et l’inclusion en milieu de travail (ÉDI) revêt une importance cruciale. Elle comporte toutefois des défis de taille pour les organisations (Saba & Dolan, 2021), a fortiori au moment de recruter et d’accueillir de nouveaux personnels. Outre le cadre législatif et les programmes organisationnels d’ÉDI, le « vivre ensemble » se construit grâce à diverses mesures, dont l’accompagnement des personnes et des équipes. C’est dans ce contexte qu’il sera question de « l’Arbre de vie » dans ce billet.
La différence et la justice sociale : les racines de mon intervention
Il importe d’aligner mes interventions avec mes valeurs fondamentales. La justice sociale et le respect des différences sont au nombre de mes valeurs. Depuis plusieurs années déjà mes travaux de recherche se fondent sur l’idéal de justice. De plus, je collabore aux interventions favorables à l’ÉDI porté par mon ami Hubert Makwanda (celui qui rassemble). Mentionner son influence positive va de soi dans ce billet.
Quelques mots sur la thèse du philosophe John Rawls (1921-2002)
Le controversé Rawls soutenait des principes que je résume à grands traits : 1. Tous devraient avoir également accès au système le plus étendu de libertés fondamentales (liberté d’expression, de réunion, de pensée et de conscience, l’habeas corpus, etc.). 2. Les institutions devraient garantir l’égalité des chances pour tous. Personne ne devrait être discriminé en raison de sa situation sociale, de ses origines, de ses croyances, de son sexe, etc. 3. Les inégalités socio-économiques devraient être organisées de façon à favoriser d’abord les moins nantis de la société. Ces principes motivent mon intervention en faveur de l’ÉDI.
L’Arbre de vie : métaphore intuitive et apaisante
Pour résumer, la technique repose sur une métaphore qui fait appel aux différentes parties de l’arbre pour représenter les différents aspects de nos vies. C’est un outil puissant pour accompagner les personnes et même les groupes, notamment pour aplanir les différences, pour redonner du sens à un parcours professionnel ou pour apaiser des équipes en souffrance durant une période de transition, de remobilisation. Aux fins de ce billet, il sera question d’insertion socioprofessionnelle.
Protocole simplifié
Contexte d’intervention. Je résumerai le protocole au regard d’une intervention récente qui visait à accompagner l’insertion d’une recrue dans une équipe où la gestion de la diversité est un défi. Le gestionnaire MC a embauché ÉD sur la base de ses acquis. L’intervention auprès de MC et ÉD visait à favoriser la socialisation et la réflexivité. L’Arbre de vie semblait indiqué pour améliorer leur compréhension mutuelle, réduire les écarts de perception et mettre en lumière l’apport de chacun à l’équipe et à la mission de l’entreprise. L’intervention s’est déroulée en trois temps, soit TEMPS 1 : avec la recrue ÉD, TEMPS 2 : avec le gestionnaire MC, TEMPS 3 : avec MC et ÉD ensemble.
Aperçu du protocole
TEMPS 1 : Individuellement avec la recrue ÉD
- Je remets une première feuille blanche à ÉD et l’invite à y dessiner un chemin sinueux, au milieu duquel il dessinera un grand cercle. À gauche du cercle, c’est le chemin parcouru (p.ex., obstacles surmontées), à droite c’est le chemin à parcourir. L’autoréflexion s’amorce. Puis, je l’invite à dessiner une valise au centre du cercle afin d’y déposer les ressources qui émergent de son autoréflexion.
- Puis, je remets une seconde feuille à ÉD pour qu’il dessine son arbre. Des crayons de couleur sont aussi fournis. Certains ont des élans artistiques!
La tâche est de dessiner « son » arbre en parcourant ces étapes :
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- ÉMOTIONS – Quelles émotions ressentez-vous? Pourquoi, à votre avis, en êtes-vous arrivé là? Que voudriez-vous changer?
- LACUNES et FORCES – Au regard de la route parcourue, quels sont vos forces? Quoi apprendre pour poursuivre?
- SOUHAIT – Tout ce qui vient à l’esprit sans chercher à changer quiconque. Que voulez-vous créer, quels objectifs pourraient être atteints, à court et à long terme?
- SE PROJETER – Que se passe-t-il une fois ces buts atteints? Qui sont les personnes importantes à vos côtés? (Conjoint, etc.)
- DESSINER – Commencez par les racines (notez les émotions, atouts, ressources à disposition), puis le tronc (notez les actions à entreprendre, vos compétences et acquis), puis les grandes branches (souhaits) et les petites branches (intentions futures), puis la cime (ce qui se passe une fois les souhaits réalisés).
TEMPS 2 : Individuellement avec le gestionnaire MC
Mêmes consignes déjà décrites à la recrue ÉD.
TEMPS 3 : Avec la recrue ÉD et le gestionnaire MC, ensemble
ÉD et MC ont en mains leur arbre respectif ainsi que la feuille avec leur chemin sinueux et les informations qui y sont notées, les ressources, les réflexions, etc.
- J’invite ÉD à demander à MC de lui parler de son arbre…
- J’invite MC à demander à ÉD de lui parler de son arbre…
Des échanges de cœur à cœur s’ensuivirent.
Je n’ai pas eu à intervenir davantage sauf pour clore la rencontre :
« Ces arbres partagent le même sol et poursuivent leur croissance ensemble. »
J’en retiens principalement cette affirmation du gestionnaire MC : « Je comprends que l’arbre de ÉD est déraciné, que ses racines font partie de son histoire et qu’elles cherchent une place dans cette nouvelle terre. »
Mon arbre me dirait de me tenir droite et fière, de bien laisser mes branches s’épanouir, de boire beaucoup d’eau, de me souvenir de mes racines, d’être satisfaite de ma beauté naturelle et de profiter de la vue!
L’herbe est-elle toujours plus verte chez le voisin? Au regard des concepts de différence et de justice sociale, prenons conscience de nos acquis et de notre singularité afin de s’écrier, tel Sénèque : De n’importe où on peut s’élancer vers le ciel!
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références principales
D’Ortun, F., Dufour-Poirier, M. (2021). Analyse critique du rôle des délégués sociaux de la FTQ dans de la prise en charge de la souffrance mentale au travail en temps de crise pandémique majeure, Congrès de l’Association canadienne des relations industrielles (ACRI), 26-28 mai 2021.
D’Ortun, F. (2016). Comment on se fait du bien depuis 6000 ans sans comprendre comment ça marche. Ouvrage scientifique.
D’Ortun, F. (2016). Relation d’aide. Documentation du cours enseigné à l’Université.
Gestion (2021). Dossier. Les vrais défis de la diversité, p.46-67, Gestion HEC Montréal, 46(3), Automne.
Leblanc, M. (2011). « John Rawls et la pensée égalitariste-libérale », Le Devoir : Le devoir de philo, éd. 19 mars 2011.
Maréchal, J.-P. (2003). « L’éthique économique de John Rawls », L’Économie politique, 2003/1 (no 17), p.94-112.
Saba, T., Dolan, S. (2021). Chapitre 16. La gestion de l’équité, de la diversité et de l’inclusion, p.558-577, La Gestion des ressources humaines, 6e éd., ERPI.
Scherrer, D. (2018). Accompagner avec l’arbre de vie, InterÉditions.
Vinay, A. (2020). Chapitre 5. Le dessin de l’arbre, p.115-139 dans Le dessin dans l’examen psychologique de l’enfant et de l’adolescent, Dunod.