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Cet article fait partie de la série thématique «Promotion du développement de carrière». Restez à l’affût sur OrientAction dans les jours à venir pour plus d’articles thématiques, ou inscrivez-vous à notre infolettre hebdomadaire OrientAction en bref pour recevoir les publications thématiques.
Dans le cadre de cette semaine visant à promouvoir le développement de carrière, OrientAction a sollicité ma contribution s’inspirant « de mon expérience à travers les années et toutes les campagnes que j’ai menées avec divers experts ». Compte tenu du corpus suggéré, ma contribution sera largement subjective.
Transition École-Travail; quand le trait d’union manque
À deux reprises, j’ai fait partie d’une délégation internationale invitée par un consortium d’universités algériennes se questionnant sur les non-transitions entre École et Travail, ces deux « planètes » étaient pour eux deux mondes parallèles repliés sur eux-mêmes avec comme résultats : un très haut taux de diplomation (presque 100 %) et un taux dérisoire d’embauche de leurs diplômés dans leurs spécialités. Il manquait donc entre ces deux référentiels un trait d’union! Alors ma contribution fut de démontrer comment construire ce trait à l’aide d’une succession de stages d’observation, d’exploration et d’application (consolidation des savoirs et de leur transfert dans les réalités du marché du travail) et pourquoi pas, de cliniques universitaires intra et extramuros, voire d’alternances école-travail. Ces suggestions ne sont pas tombées dans des oreilles sourdes.
Deux ou trois catégories de travailleurs; la conséquence
Lors de mes différents déplacements en Europe, je fus étonné de voir qu’un peu partout la population active était divisée en deux catégories : celle de travailleurs et celle des travailleurs séniors. Cela contrastait avec la pratique courante chez nous – fortement influencée par les théories développementales de l’adulte, dont celle de Riverin-Simard – qui divisait cette population active en trois : jeunes travailleurs, travailleurs d’expérience et travailleurs séniors.
Cette différence m’était d’abord apparue anodine jusqu’à ce que je m’engage auprès du Comité aviveur 45+ et découvre que les préjugés envers les travailleurs âgés se manifestaient une bonne décennie plus tard de ce côté-ci de l’Atlantique.
Par ailleurs, les Nord-Américains étant familiers avec les tiers de carrière, il me fut d’autant plus facile de « vendre » un nouveau stade pour tenir compte des années actives supplémentaires (par choix ou par obligation) générées par l’augmentation significative de l’espérance de vie, et de le qualifier de « quatrième tiers de carrière » (Limoges, 2010).
Bilan de compétences
Il y a une vingtaine d’années, la France bouleversa les pratiques en développement de carrière en votant la loi du bilan de compétences, qui mènera à la création de centres interinstitutionnels de bilan (CIBC).
De mémoire, cette loi stipulait qu’un travailleur ou son employeur pouvait se prévaloir d’un tel bilan aux sept ans et sur son temps de travail.
Ce dispositif totalisait entre 12 et 24 heures d’accompagnement réparties généralement sur 6 mois, selon qu’il s’agisse de confirmer, consolider ou concevoir un projet professionnel, lequel pouvant inclure un Projet de formation défrayé par l’entremise du Compte personnel de formation. Cet accompagnement s’articulait sur les trois phases de la résolution de problème, soit l’exploration, la compréhension et l’action (Egan, 2005).
L’interinstitutionnalité a fait en sorte que cette prestation est devenue très psychotechnique et, malheureusement, certaines mesures utilisées ne sont pas encore validées. Le diagnostic prenant ainsi de l’ampleur, la phase action fut souvent escamotée, mais avec les années de rodage il y eut des correctifs comme des instruments plus performants tels que la Validation expérientielle des acquis (VEA) ainsi qu’un suivi six mois plus tard. Derrière ce dispositif se faufilait une lutte à l’obsolescence.
Le financement d’un Bilan étant institutionnellement assuré et cette pratique n’étant pas régie par un ordre professionnel, il y a aujourd’hui une suroffre quelquefois de piètres qualités. Une refonte s’impose.
Évolution professionnelle
Un organisme de formation bien connue en France me demande de prendre au pied levé trois formations continues de deux jours chacune pour des conseillers en évolution professionnelle (CEP), la formatrice attitrée étant dans tous ses états par suite de l’annonce d’un cancer.
Je découvre alors que pour devenir CEP, il suffit d’avoir un baccalauréat, entre autres en psychologie, sociologie ou ressources humaines (13 ans de scolarité ou Bac+3) et selon les descriptions de ce dispositif aucune formation supplémentaire n’est requise1 Néanmoins, l’Association qui encadre les CEP assis devant moi leur a quand même donné une formation initiale de deux jours. Ces CEP sont assignés à un groupe de travailleurs particulier, soit les salariés indépendants du secteur privé, leur objectif étant de les accompagner gratuitement dans la réflexion, la construction et la mise en œuvre de leur projet professionnel, ce qui peut comporter un bilan.
En côtoyant ces 36 stagiaires, majoritairement des femmes, je découvre que ces personnes sont par ailleurs bien formées dans une diversité de disciplines (philosophie, anthropologie, économie, etc.), certaines possédant plusieurs diplômes et de nombreuses expériences interculturelles et ouvrières. Recherchant de nouveaux défis, de meilleures conditions salariales et de travail, mais surtout un contact plus étroit avec les clients, ces personnes furent attirées par ladite fonction. En revanche, côté carriérologique et enjeux d’accompagnement, leur expertise est généralement très limitée (aucun savoir en lien avec le développement de carrière, les transitons, le processus de deuil, l’alliance de travail, etc.), bon nombre d’entre elles se réfugient dans une forme mitigée de coaching, voire d’écoute plus ou moins active. Or, de l’avis de plusieurs d’entre elles, la très grande majorité de leur clientèle montre des indices élevés d’épuisement. Les rencontres se font sur une base individuelle, généralement en présentiel, les clients venant à leur guise. Plusieurs processus s’estompent avec une seule séance. Une comparaison serait à faire avec nos Programmes d’aide aux employés (PAE).
Recommandation
Que les organismes voués au développement de carrière sensibilisent les décideurs (gouvernements, entreprises, syndicats) à l’urgence d’institutionnaliser pour les travailleurs2 l’admissibilité automatique à un bilan des compétences aux sept ans, gratuit et sur le temps de travail. L’expérience des deux mesures françaises mentionnées plus haut (Bilan + CEP) pourrait les guider dans l’élaboration d’une telle loi, par exemple en élargissant les PAE.
[1] Depuis des organismes comme l’AFPA et le CNAM offrent diplômes et certificats en accompagnement en évolution professionnelle [2] Actuellement, seuls les sans-emploi y ont droit.* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.