J’ai appris à suggérer aux clientes et clients un plan B par prudence. Mais est-ce vraiment pertinent?
La théorie de l’autoconcordance montre que les objectifs alignés sur le soi sont particulièrement susceptibles d’être atteints en étant associés à une satisfaction émotionnelle (Paquet, p. 60). Quels indices et quelles techniques pourraient aider Hugo à choisir un objectif en harmonie avec sa personnalité profonde? Comment évaluer l’accord entre Hugo et un objectif? Comment intervenir sur cet accord? Quelle est la validité de ce modèle de l’autoconcordance (Sheldon, 2002) au Québec et en France? Comment le counseling de carrière soutient-il l’autoconcordance des choix de carrière et quels sont les bienfaits que ce modèle pourrait apporter dans un counseling de carrière?
Hugo s’interroge sur son choix de formation après le lycée (après le cégep). Il se dit perdu et le répète à maintes reprises. Préparant un diplôme en arts, il envisage une demande d’admission en école d’arts. Cependant sa mimique indique qu’il n’est pas en harmonie avec cette idée. Hugo exprime deux catégories d’indices de non concordance entre cette demande d’admission en école d’arts et qui il est réellement, personnellement, profondément. Il parle d’une poursuite d’études rationnellement cohérente en ajoutant qu’il se sent perdu. Autrement dit, il signifie verbalement et émotionnellement qu’il se perd lui-même de vue avec cette idée de poursuite d’études en arts. Deuxième faisceau d’indices : son visage se ferme, son front se plisse, ses sourcils se froncent, ses mâchoires se serrent. Son expression somatique confirme que cette idée d’études en arts ne lui convient pas.
Qu’est-ce qui lui plaît vraiment? Jean-Philippe Michel pourrait lui demander « Dans quels domaines aimerais-tu trouver des solutions? » ou encore « Quels types de problèmes voudrais-tu résoudre? ». Ce qui lui plaît vraiment : le sport! Il pratique comme il respire. Il ne se pose pas la question. Le sport est intégré dans son agenda interne, dans son hygiène de vie, dans son corps, dans sa tête. Ce n’est pas une passion mais le sport est l’activité qui lui ressemble le plus en termes d’envie, de plaisir, d’intérêt, de valeur, de motivation. Pourtant Hugo formule un « mais ». Les études de sport ne sont pas envisageables. L’ennui qu’il ressent à l’école devient de plus en plus insoutenable. Il a besoin d’action, d’autonomie et de diversité pédagogique. Au moment où il se sent en appétit et ouvert à une exploration en dehors des écoles d’arts, l’exploration des formations non universitaires en alternance avec le milieu de travail peut être proposée (bon moment psychologique). Au cours de cette exploration parsemée de doutes, d’incertitude et de peurs sont abordés notamment la durée de la formation, les possibilités d’insertion après la formation, le revenu sur lequel il sera possible de compter, le choix d’un style de vie qui convient à l’activité sportive en question et l’idée de s’autoriser le choix d’une formation réellement motivante parce que simplement elle lui correspond.
Cette phase d’exploration suivie d’une phase de clarification a été vécue, du moins de mon côté, comme une marche à deux dans le désert du doute, de l’incertitude et des peurs jusqu’à ce que son discours et sa mimique nous informent cette fois-ci qu’il se sent en harmonie avec cette idée de formation en alternance hors université dans un métier du sport, une simple idée… son futur objectif professionnel peut-être. Hugo se donne le temps d’y réfléchir avant de prendre sa décision et d’agir.
Parmi les nombreuses techniques possibles Sheldon suggère d’utiliser la visualisation d’objectif focalisée sur l’émotion formalisée par Job et Brandstätter (2009). Cette technique consiste à s’imaginer en train de poursuivre ou d’atteindre un objectif en se focalisant sur les émotions. Elle peut être complétée par exemple par la technique des intentions de mise en œuvre élaborée par Gollwitzer et Sheeran (2008). Cette technique conduit à fixer le moment de la journée et le contexte dans lesquels initier les actions liées à l’objectif, ensuite quand les interrompre puis enfin à identifier et mobiliser en phase Action les ressources face aux obstacles à la concrétisation de l’objectif.
Explorer le ressenti par rapport à l’objectif permet d’évaluer l’accord entre objectif et individu. Intervenir sur cet accord signifie réaliser ensemble des allers-retours cœur-tête-corps durant les phases d’intervention. Les évaluations du ressenti et de l’objectif peuvent se dérouler bien sûr après que l’objectif soit atteint mais, et c’est tout l’intérêt de ce modèle, surtout avant le choix de l’objectif. Aussi, l’autoconcordance de l’objectif fournit l’énergie nécessaire à sa poursuite. Fixer un objectif correspondant à notre personnalité profonde permet non seulement d’augmenter les chances de l’atteindre mais aussi d’en être émotionnellement et profondément satisfait.
Un plan A aligné implique de cheminer, lorsqu’il est inévitable, dans le désert du doute, de l’incertitude, des peurs (de faire le mauvais choix, d’être pauvre, d’être malheureux, de déplaire aux autres, de l’inconnu, etc.) jusqu’à se sentir et pouvoir se dire en harmonie profonde avec son objectif de carrière. Commence alors une orientation et un développement de carrière sur le chemin de l’autoconcordance…
Le modèle de l’autoconcordance, étudié dans 4 pays, s’appuie sur la théorie de l’autodétermination. Les individus autoconcordants ressentent un bien-être plus élevé quel que soit le contexte culturel. La poursuite d’un objectif qui correspond à notre personnalité profonde semble importante pour tous les êtres humains.
Références
Sheldon, K. M., Holliday, G., Titeva, L and Benson, C. (2019). Comparing Holland and Self-Determination Theory Measures of Career preference as predictors of Career Choice. Journal of Career Assessment, 1-15. (article prochainement traduit en français) https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1069072718823003
Sheldon, K. M. (2014). Becoming oneself. The central role of self-concordant goal selection (Devenir soi-même. Le rôle central du choix d’un objectif autoconcordant). Personality and Social Psychology Rewiew, 18, 349-365 (article prochainement traduit en français) https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1088868314538549
Sheldon, K. M., Elliot, A. J., Ryan, R. M., Chirkov, V., Kim, Y., Wu, C., Demir, M., et Sun, Z. (2004). Self-concordance and subjective well-being in four cultures (Auto-concordance et bien-être dans quatre cultures). Journal of Cross-Cultural Psychology, 35(2), 209-223