Comment aider adéquatement une personne à identifier une voie professionnelle qui lui soit durablement satisfaisante sans pour autant, dans le même temps, l’aider à « apprivoiser » certains affects négatifs (stress, anxiété, découragement) paralysants, qui sont directement associés à son insatisfaction professionnelle pour laquelle elle nous consulte?
D’évidence, il apparaît qu’il devient nécessaire pour un conseiller d’orientation d’intervenir à la fois sur les aspects psychologiques sous-jacents tout autant que sur ce qui pourrait contribuer à accroître sa satisfaction au travail. Pourtant, il semble que ce ne soit pas nécessairement toujours le cas.
Bon nombre d’individus qui consultent en orientation professionnelle expriment la croyance selon laquelle leur « détresse » psychologique liée, par exemple, à leur situation d’insatisfaction professionnelle actuelle disparaîtra d’elle-même dès qu’ils auront trouvé une nouvelle voie à leur carrière. Peut-être même LA voie, unique et taillée sur mesure, qui engloberait leur personnalité dans son ensemble au point qu’ils se sentiraient alors enfin reliés à leur « être profond, unique et intime ».
Face à cette « tendance » de la part de certains de nos clients à vouloir « se faire prendre en charge en se faisant dire quoi faire », il me semble que nous évitons difficilement les deux écueils suivants :
1er nous ne ciblons pas prioritairement les affects négatifs (anxiété, stress, découragement) qui sont susceptibles d’être pourtant fortement ressentis lorsqu’une personne vit, par exemple, une situation de profonde insatisfaction sur le plan professionnel. Dès lors, peut-être ne prenons-nous pas toute la mesure de l’influence de ces affects sur les comportements que cette dernière adopte alors pour tenter (ou pas) de trouver des solutions.
2e nous demeurons focalisés sur une approche essentiellement introspective (Ibarra, 2004) qui privilégie la découverte d’une personnalité de manière à faire ressortir la vraie nature d’un individu, de façon à ce qu’ensuite puissent surgir des métiers qui lui correspondraient et vis-à-vis desquels il se retrouverait alors pleinement. En un sens, cette perspective cultive le mythe du soi profond tapissé en soi et qu’il faudrait alors faire ressortir… Pari audacieux à l’époque où tout n’est qu’instabilité et changement…
Pourtant et depuis la révision du champ d’exercice de notre profession (OCCOQ, 2010), la notion d’évaluation est modernisée : il nous est clairement demandé d’aller au-delà de l’évaluation des caractéristiques de la personne (par exemple ses intérêts et ses traits de personnalité) afin d’être plus global et de prêter une attention plus particulière à ses croyances, ses émotions, ses pensées et ses comportements ainsi qu’à leurs conséquences au niveau, notamment, des stratégies qu’elle met en place pour s’adapter et s’autoréguler.
Ne serait-il alors pas temps de prendre « toute notre place?! ».
À cet égard et en réponse (tentative de) aux écueils exposés précédemment, je souhaiterais en exposer deux.
Sans entrer dans le détail ici, il m’apparaît qu’il existe en dehors du champ de l’orientation des approches psychologiques qui ciblent en priorité les affects négatifs, non pas dans le but de modifier le contenu des pensées en cherchant à exercer un contrôle sur ces dernières, mais plutôt de changer la relation que les individus entretiennent avec celles-ci (leurs pensées et émotions douloureuses et qui sont associées à leurs difficultés). En effet, c’est précisément cette relation qui est à l’origine de leur souffrance et qui les empêche de se mettre en mouvement pour trouver des solutions.
Ainsi, la thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT) s’inscrit dans ce cadre avec en particulier le recours à la matrice qui permet aux individus de mieux comprendre de quelle manière leur fonctionnement psychologique les empêche de poser des gestes qui sont en accord avec leurs valeurs et cela contrairement à ce que parfois ils pourraient croire.
Un exemple : solliciter un c.o. pour être aidé à faire face à ses difficultés de carrière peut tout autant représenter une action qui s’inscrit dans une véritable recherche de solutions, qu’une action d’évitement qui répond avant tout à un besoin d’éloignement d’une souffrance générée par sa situation d’insatisfaction professionnelle. L’important ici est que le client le comprenne pour devenir ainsi plus sensible aux effets de ses comportements. Il y a donc dans l’utilisation de la matrice la possibilité d’intervenir directement sur ce qui paralyse l’individu (lui apprendre à faire de la place à ce qu’il ressent comme douloureux et sans que cela ne le paralyse) et de le soutenir en direction d’un changement positif pour lui. En ce sens, ce modèle s’avère complémentaire des approches classiques auxquelles nous pouvons avoir recours en orientation.
En second point et pour sortir d’une approche basée sur la planification et l’implémentation qui découle du mythe du soi profond tel qu’évoqué précédemment, Ibarra (2004) propose un modèle alternatif : celui du test et de l’apprentissage. En orientation, cela ne nous est pas inconnu : il s’agit d’inciter la personne à envisager puis explorer (en testant via l’expérimentation) différents soi possibles plutôt qu’un seul et qui sauraient prétendument répondre à toutes ses attentes. Pour plus d’infos, lire à ce sujet : Ibarra. M (2004) « working identities ».
Cet article est paru à l’origine sur le site Orientaction.ca le 28 novembre 2016.