Une dématérialisation laissant planer un sombre nuage
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Une dématérialisation laissant planer un sombre nuage

Temps de lecture : 3 minutes

Il est souvent dit que l’orientation – et partant le développement de carrière – fait appel à trois grands volets méthodologiques : l’accompagnement-conseil (counseling) individuel ou groupal, la psychométrie et l’information scolaire et professionnelle ou ISEP. Or ces deux derniers volets sont incontournables pour explorer tout particulièrement l’en-soi (psychométrie) et le hors-soi (ISEP) et, à l’heure actuelle, ils bénéficient largement de l’ère informationnelle numérique ou digitale, en particulier de son internet, ce réseau des réseaux.

Un des impacts de cette nouvelle ère est une forme de dématérialisation des supports tels les imprimés donnant ainsi bonne conscience à bon nombre d’usagères et d’usagers – surtout des générations Y et Z – qui croient qu’avec le virtuel ils peuvent réduire significativement leur empreinte écologique. Par exemple, que de colloques, d’expo-carrières ou de salons de l’emploi qui s’annoncent avec fierté comme étant zéro papier!

Or en observant l’ensemble de cette mutation, il faut bien admettre que cet envoûtement est victime d’une large conspiration du silence. Par exemple, les propriétaires de fermes à données (data centers) se font tout ouate voire presqu’angélique en parlant d’un nuage (cloud) alors que dans les faits ces fermes – plusieurs d’entre elles ayant la superficie de 10 terrains de football – sont bien enracinées sur terre et même sous terre, engloutissant des quantités astronomiques d’énergie (± 10 % de l’électricité mondiale) et générant un pourcentage effarant de gaz à effet de serre ou GES.

Ainsi, les experts (Shifting project, 2019; Deville, 2019) estiment entre 3,7 % et 4 % la quantité de gaz à effet de serre générée par l’industrie des technologies de l’information et de la communication ou TIC, soit deux fois plus que le secteur de l’aviation, selon que l’on tient compte de la gestion (serveurs, antennes, fermes de données, etc.), de la consommation (réseautages, vidéo, etc.) et de la fabrication des équipements (terres rares, obsolescence programmée, etc.) À lui seul, le secteur de la vidéoscopie accapare 60 % des données sur internet, soit 20 % du numérique, générant ainsi 300 millions de tonnes de CO2.

Comme mentionné dans un précédent billet la dématérialisation faite par les TIC n’est en vérité qu’une « dévisualisation », une opération encore une fois très énergivore. Il serait donc irresponsable de se faire bonne conscience en prétendant qu’avec la virtualisation de nos données on sauve la planète. Ainsi, une contribution significative et immédiate serait, par exemple, de réduire significativement notre consommation de vidéos (jeux, films, etc.) sur internet. Sur une plus large échelle, Shifting project (2019) va même jusqu’à suggérer une législation réduisant les « designs addictifs » comme les vidéo-pubs qui se déclenchent automatiquement dès que l’on consulte internet.

Il y a donc lieu d’y penser à deux fois avant de dématérialiser systématiquement tous nos documents et, plus globalement, nos centres de documentation scolaire et professionnelle. Au contraire, il y a lieu de les promouvoir et de les rendre on ne peut plus attrayants – surtout lorsqu’ils s’adressent majoritairement aux générations Y et Z – en les affichant, par exemple, comme « tendance » et comme d’excellentes mesures pro-environnementales. En somme, il s’agit d’un choix du même ordre que celui des transports actifs, de l’achat local ou du seconde main voire du végétalisme!

Ceci dit, même ici aussi la modération a bien meilleur goût! Une monographie, un programme ou un prospectus peuvent demeurer très attractifs même s’ils sont physiquement modestes ou produits avec des matières recyclées et recyclables. Quant aux vidéos, elles peuvent être téléchargées sur d’attrayantes clés USB.

À quand des mentions et des prix soulignant pareilles initiatives dignes du 21e siècle?

 

Références

Bobillier-Chaumon, M.-E. (2019) « La mobilisation de la subjectivité dans et par l’usage des technologies ». Grande conférence dans le cadre du Colloque no. 11 ayant pour thème : Regards croisés sur les sens tenue au CNAM-INETOP à Paris en novembre dernier.

Deville, D. (2019). Belgique Express, 25 octobre 2019.

Dugal, M. (2019). Moteur de recherche, Radio-Canada, 29 octobre 2019.

Shifting project (2019). L’insoutenable usage de la vidéo en ligne. (Voir le site de ce Think tank)

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.