Pour Aristote (384-322 av. J.-C.) : Le commencement est beaucoup plus que la moitié de l’objectif.
Commencez par commencer… Se fixer un but est un moyen naturel pour satisfaire nos besoins et effectuer des modifications dans une direction voulue. Les conseillers connaissent l’importance cruciale d’un but, pour traduire une motivation vague en objectif. En effet, sans objectif tangible, comment orienter l’énergie? Dans ces courts billets, je partage quelques stupéfiantes techniques (re)découvertes à l’occasion de ma quête de réponses à : Comment se fait-on du bien depuis 6000 ans, sans comprendre comment ça marche? Mes précédents billets abordaient le recadrage selon Épictète et l’accompagnement à faire face selon Marc-Aurèle. Cette fois-ci, Aristote s’invite dans la formulation d’objectifs.
Un objectif est la terminaison normale de la délibération dans un acte volontaire. Décider est la conclusion, ou une des étapes menant vers quelque chose. Il n’y a pas de formule unique pour accompagner la formulation d’objectifs, et l’énoncé d’objectifs ne se résume pas à une question de syntaxe. Il importe de mettre en lumière les finalités d’accomplissements, de comportements et les bénéfices escomptés, davantage qu’énoncer une liste d’activités.
En quoi la métaphysique d’Aristote, mort il y a 2500 ans, est utile pour clarifier les objectifs d’un client? Les objectifs sont l’expression tangible des besoins et des aspirations du client, ses objectifs doivent présenter des caractéristiques précises, et nous devons ces caractéristiques à Aristote. Un objectif, est-ce une liste de caractéristiques à laquelle nous ajoutons une procédure? Remontons le temps.
Aristote : classifications et acte volontaire
On doit à Aristote les critères et les classifications utiles aujourd’hui, tels que : genres, substances, qualités, quantités, positions et catégories de questions : qu’est-ce? où est-ce? quand est-ce? combien? etc. On lui doit ce qui sert à préciser les caractéristiques, les étapes et la finalité d’un but. Gratitude Aristote!
De plus, l’éclectique et influent Aristote est un des premiers empiristes; il cherchait les principes qui gouvernent le réel, en observant les enseignements de l’expérience. Pour lui, c’est la forme qui fait qu’une chose est ce qu’elle est. Prenons l’exemple de la statue de Zeus. Sa matière est un bloc de marbre, qui a été sculpté. Sa forme est l’ensemble de ses caractéristiques et des mouvements du sculpteur : le résultat d’un changement. Cet immense bloc de marbre aurait pu devenir autre chose… ou rien du tout. La statue du dieu Zeus est une œuvre achevée, elle existe, elle résulte d’un acte volontaire, tel l’a observé et décrit Aristote.
Il n’y a pas de bon vent pour celui qui ne sait où il va. (Sénèque, 1-65 apr. J.-C.)
Accompagner la formulation d’objectifs est un Art qui requiert un grand nombre de compétences en relation d’aide. Bien que ce court texte ne rende pas justice à l’Art de formuler un objectif, en revisiter l’origine va de soi dans nos métiers qui incitent à apprendre tout au long de la vie. Dans le rétroviseur s’alignent nombre d’écrits dédiés à la formulation d’objectifs, dont ceux de Nuttin, de Deci et Ryan, de Super, de Dupont, de Bouffard, de Seligman et Csikszentmihalyi, etc. Les curieux reliront avec plaisir ces écrits.
Accompagner la formulation d’objectifs suppose de reconnaître que ce client est doté de raison, de valeurs, de volonté et de structure, prédispositions qu’Aristote avait observées et décrites il y a 2500 ans. Qui plus est, l’atteinte d’un objectif dépend de sa planification. De nos jours, les conseillers sont familiers avec certains critères qui influencent positivement les probabilités de réussite d’un projet. Pensons à l’acronyme FORME (Faisable, Organisé dans le temps, Réaliste, Mesurable, Explicite) ou à celui plus courant : SMART (Spécifique, Mesurable, Atteignable, Réaliste, Temporel).
Se fixer un objectif provoque souvent une profonde et brusque prise de contrôle. (Walter Elias Disney, 1901-1966)
Protocole simplifié
Un objectif SMART est structuré de manière à ce que toute personne qui le lise, saisisse ce qui souhaité et sache pourquoi, comment et quand il sera atteint. Un but smart est Spécifique (clair, simple à comprendre et précis), Mesurable (de façon à suivre et à quantifier les progrès effectués), Atteignable (selon les ressources disponibles telles que le temps, l’argent, les dispositions personnelles, etc.), Réalisable (but général déconstruit en plusieurs sous-étapes) et s’inscrit dans un Temps déterminé (échéancier avec date de fin pour chaque sous-étape).
Exemple : Delphine
-Le conseiller pourrait demander : «Delphine, à quoi ressemblera ta vie dans un an? Plus précisément? Et encore? Autre chose?» Ou, par ex. : «Que veux-tu précisément? Quels résultats espères-tu atteindre? Quels sont les activités que tu réalises et les moyens dont tu disposes pour les atteindre? De combien de temps disposes-tu pour atteindre tes objectifs? Risque-t-il d’y avoir des difficultés en cours de route? Que ferais-tu? Quels sont tes critères pour apprécier les résultats?»
-Delphine réfléchit et pourrait dire : «Voici le calendrier des étapes vers mon but! Dans un an, je me vois 8 kg en moins, j’aurai fait passer mon indice de masse corporelle (IMC) de 27 à 24, je me sens respirer à fond, j’ai le teint clair, je suis fière de moi, j’ai relevé le défi Pierre Lavoie avec ma chum Sylvie qui l’avait déjà réussi en 2018 (…).»
Dans nos sociétés, une conception répandue du bonheur réside dans la réalisation de notre plein potentiel et le fait d’avoir une vie pleine de sens. Un moyen de ressentir cet état tant prisé de bonheur est la réalisation de nos rêves. L’implantation d’intentions est une des stratégies cognitives qui a fait ses preuves.
Somme toute, pour atteindre ses buts, il importe de questionner, seul ou avec un conseiller bienveillant, ce que nous voulons réellement, de nommer ses buts au regard de ses valeurs fondamentales, de découper les objectifs en étapes… et commencer par commencer, en avançant un pas à la fois.
Conclusion
L’atteinte d’un but n’est pas le fait de travailler plus fort, mais plus efficacement. Comme Aristote l’a figuré dans Éthique à Nicomaque : «Ne devrions-nous pas, comme les archers qui ont une marque à viser, être plus susceptibles de frapper sur ce que nous devrions? Si c’est le cas, nous devons au moins essayer de déterminer de quoi il s’agit.» Somme toute, accompagner la formulation d’objectifs, c’est amener le client à projeter son intention, à détailler ses stratégies et ses ressources… à créer ce futur dont il est le héros afin qu’il s’écrie, tel le victorieux Jules César (47 av. J.-C.) : Veni, vidi, vici!
Références principales
-Deci, E. et R.M. Ryan (2000). The « what » and « why » of goal pursuits: Human needs and the self-determination of behavior. Psychological Inquiry, 11(4), 227-268.
-d’Ortun, F. (2016). Comment on se fait du bien depuis 6,000 ans sans comprendre comment ça marche. Manuel scientifique.
-d’Ortun, F. (2016). Relation d’aide. Documentation du cours enseigné à l’Université.
-Julió, L. (2017). Processus de réalisation des buts personnels et bien-être subjectif. Revue québécoise de psychologie, 38(2), 81–99.
-Tricot, J. (2014). Aristote. Éthique à Nicomaque. Trad., Les Échos du Maquis (p.61-67 : Acte volontaire).
Crédit photo : Pixabay.com