La psychologie évolutionniste et la neurobiologie délivrent de nouvelles informations sur le fonctionnement de l’être humain, notamment dans le rapport entre son psychisme, son cerveau et son corps. Les mécanismes archaïques de survie sont toujours présents. L’humain porte encore en lui différents programmes de préservation de la vie. Si ces programmes n’ont pas encore évolué, nos contextes ont, quant à eux, grandement changé et ils poursuivent inexorablement leur évolution. Comment interagir avec un environnement contemporain qui bouge sans cesse et, qui plus est, rapidement, alors que nos mécanismes de survie n’ont pas évolué aussi vite, voire pas évolué du tout depuis des milliers d’années? Quelle est l’utilité de ces informations pour un aidant mais aussi pour un client ou une cliente? Quels sont ces mécanismes? Comment gérer, adapter ces mécanismes préhistoriques au XXIe siècle?
Le programme de fuite, dont Henri Laborit faisait l’éloge, était tout aussi nécessaire pour survivre dans une nature parfois hostile, face à des animaux ou des adversaires plus forts que nous. Et maintenant? Ce mécanisme est utile pour éviter les agressions, notamment psychiques, pour préserver son intégrité physique et mentale, pour découvrir de nouveaux territoires ou de nouvelles solutions, pour découvrir nos peurs et notre besoin de sécurité, pour mieux se connaître, pour faire face à notre vulnérabilité, pour déconflictualiser une situation, pour aller vers des choses plus importantes que le combat, pour développer son humilité et son autonomie, pour prendre soin de soi, voire prendre soin de soi et d’autrui.
Le programme d’inhibition était salutaire pour se figer et se rendre invisible face aux prédateurs et ennemis.
Aujourd’hui, ce mécanisme est bénéfique pour nous comme pour nos clients et clientes lorsqu’il est nécessaire de ralentir, de nous isoler, de nous camoufler, de nous reposer, de revenir sur nous-même, de nous rassurer, de prendre un temps d’introspection, de faire un deuil, de revisiter nos priorités, de hiérarchiser nos valeurs, de nous recentrer, de rester à l’écoute, de laisser passer des occasions qui ne représentent pas de réelles possibilités pour nous, d’attendre, de développer notre patience.
Le programme de bien-être était utile pour se relier aux membres du clan, se détendre, discerner les amis des ennemis, attirer un ou une partenaire, se sentir en sécurité, éprouver du plaisir, explorer l’inconnu, attirer de nouvelles ressources et les partager avec les membres de son clan, vivre de la joie, célébrer la vie. Maintenant ce mécanisme peut nous être utile pour nous ouvrir sur le monde et sur notre expérience du monde, explorer différents univers, découvrir et partager des ressources avec notre entourage, voire avec une large communauté. Nos clients et clientes peuvent éprouver le besoin et l’envie d’explorer leur monde intérieur et l’environnement, de partager leurs découvertes, leur enthousiasme et leur nouvelle situation plus en adéquation avec eux-mêmes et elles-mêmes, de développer de nouveaux projets, de nouvelles relations, de nouvelles compétences ou encore de l’estime de soi. Diverses techniques neuro-organiques peuvent stimuler ce programme (EMDR, TRE, EFT, etc.).
Accompagner une expérience incarnée d’orientation et de développement de carrière implique une prise en compte de la dimension corporelle. Psychisme et corps sont indissociables. Antonio Damasio précise que c’est principalement notre corps qui informe notre cerveau, et non l’inverse. Notre cerveau reflète notre état corporel instant après instant. Lorsque nos clients et clientes sont amenés à faire un choix, nous pouvons les aider à prendre conscience de leurs états corporels en leur demandant de prendre ou reprendre contact avec leur corps et pas seulement avec leurs émotions.
Pour le moment, nous ne pouvons pas nous affranchir de nos programmes biologiques de survie. Le plus souvent nous les subissons et, parfois, il est possible de les utiliser pour les adapter à notre contexte.
Ces mécanismes issus du passé ne sont pas toujours adaptés au monde actuel. Pourtant ces informations corporelles d’ordre psychophysiologique nous donnent la possibilité de mieux nous connaître.
Elles nous rappellent que notre corps est notre meilleur ami et qu’il peut nous permettre de développer une meilleure conscience de nous-mêmes. Conrad Lecomte dirait que la conscience de soi en action est notre meilleur outil. Peut-être que les clients et clientes disposent, eux aussi, de leur meilleur outil : eux-mêmes et elles-mêmes. La conscience de leur corps et l’utilisation adaptée d’un mécanisme de survie peuvent contribuer au processus de choix de carrière. Carl Rogers parlait de processus de valorisation organismique capable d’identifier le bien-être et de nous aider à reconnaître le meilleur choix à faire à un instant t pour notre bien et pour le bien de la société. Ainsi est-il possible d’informer nos clients et clientes qu’il est parfois faisable et souhaitable de choisir avec souplesse nos réponses à nos réactions biologiques interagissant avec l’environnement. Alors, que dit votre corps à présent? Quel mécanisme fonctionne actuellement? Que raconte celui de votre client ou cliente? Quel programme serait-il intéressant de conscientiser, voire de stimuler?
Du même auteur : Jongler avec trois cerveaux : connaissances ou croyances?