Récemment, j’ai eu le plaisir de revisiter des concepts et des auteurs que j’estimais beaucoup à l’époque des bancs d’école. Je me suis attardée plus spécifiquement à la connaissance de soi et à l’identité. Au fil de mes lectures, je reprenais conscience qu’à quel point se connaître est une expérience complexe. En effet, il semblerait que bien que nous souhaiterions nous connaître, nous sommes habités de contradictions et de paradoxes qui rendraient cette démarche presque illusoire.
Parfois, le nez collé à la pratique, on peut perdre de vue la couleur profondément existentielle de notre travail et c’est l’angle que j’ai privilégié dans cet article. Je vous propose de vous partager des auteurs qui m’ont particulièrement rejointe dans l’intention de susciter une réflexion, d’abord personnelle, et qui par la suite pourrait enrichir notre pratique.
La fluidité de l’être : le mouvement
Il serait rassurant de pouvoir se baser sur une identité stable et prévisible pour faire des choix et avancer dans la vie. Malheureusement, cette attente est irréaliste et va à l’encontre de notre nature profonde. En effet, bien que nous souhaiterions nous connaître, c’est la vie qui nous apprend qui nous sommes au fur et à mesure que nous l’expérimentons.
C’est d’ailleurs le cœur des propos de l’Arc-en-soi, de Denis Pelletier. Je dois admettre que bien que son œuvre date de plus de 30 ans, j’ai été frappée par la richesse des idées. Cet extrait m’inspire particulièrement :
« L’homme est un projet libre qui n’est pas donné à l’avance et qui apprend son devenir en même temps qu’il devient. Il n’a pas à décider une fois pour toutes de ce qu’il va être. Il le découvre au fur et à mesure qu’il avance. C’est en risquant telle action donnée, c’est en portant attention à telle préférence, c’est en faisant tel choix que ses intentions tacites deviennent plus évidentes. Il est un projet dans lequel il se surprend. »
Cette citation met en lumière le caractère improvisé et continu du devenir humain. Ce point de vue invite à voir la connaissance de soi non pas comme une finalité, mais comme une matière en constant mouvement qui demande à être observée et sentie. Ce mouvement se fait parfois à notre insu et cela comporte le risque de se perdre dans une représentation de soi statique et étroite, nous privant ainsi d’une grande vitalité. Porter attention à ce qui est vivant en nous et adopter une posture réflexive semblent des conditions favorables pour développer un contact authentique et intime avec soi.
Entrevoir cette fluidité de l’être ouvre sur l’idée qu’il y a en nous une part de mystère à découvrir. C’est dans cet espace inconnu que peuvent se révéler des ressources souvent insoupçonnées. La pandémie, par exemple, est un contexte souffrant dans lequel peuvent émerger des réponses, des intuitions ou des besoins dont nous n’avions pas conscience auparavant et c’est en ce sens que la conscience de soi se construit à rebours.
Ce mouvement de l’être m’a aussi amenée à me questionner sur l’essence même de notre identité. Et si elle était composée de sentis et d’intuition, avant d’être réfléchie? Et si nous étions en mesure de nous laisser davantage surprendre par notre nature profonde pour y trouver des repères! En fin de carrière, Janine partage ce questionnement :
« Pourquoi devient-on ce que l’on devient! Répondre à cette question, c’est essayer de rendre claire et logique une trajectoire dont les contours ne se dessinent qu’après coup, c’est avancer un ensemble d’explications de soi dans un milieu donné où les choix de vie furent souvent d’ordre intuitif, même si ces derniers furent rarement sans réflexion. » (Boulanger et Gagnon-Corbeil, 2014, p. 62)
Le désir et la peur de se connaître
Entrevoir la part de mystère qui nous habite, expérimenter sa vie et suivre ses intuitions profondes est un travail fort exigeant qui ne se fait pas sans résistance. Effectivement, entrer en relation avec soi implique le risque et la richesse de se voir tel que nous sommes réellement. Cela demande le courage d’oser plonger dans nos zones de vulnérabilités et aussi de se voir dans ce que nous avons de plus beau. Maslow, dans Le désir de connaître et la peur de savoir (1972), soulève les forces qui s’opposent lorsque l’on tente de s’apprivoiser. La peur de se connaître et d’entrer intimement en contact avec nous-même active nos défenses pour protéger notre amour-propre. Naturellement, nous tenterons d’éviter d’amener à notre conscience nos faiblesses, nos zones grises et les aspects de nous-même les plus souffrants. D’un autre côté, il est aussi difficile de voir et de reconnaître nos forces. Cela met en lumière des possibilités de développement et un autre type de résistance : celui du « refus du meilleur de nous-même ». Selon l’auteur, être en contact avec nos potentialités éveille la peur, l’angoisse, un sentiment de faiblesse et d’incapacité.
Freud souligne toute la complexité qui réside dans notre tentative de nous connaître lorsqu’il affirme qu’« être tout à fait honnête avec soi-même est le plus bel effort qu’un homme puisse faire » (Maslow, 1972). Il constate par ailleurs que la plupart des causes des difficultés psychiques relèvent de cette peur fondamentale.
Être avec
Un autre élément qui peut nous éloigner de notre essence est notre tendance, lorsque nous vivons des émotions douloureuses, à nous engager dans la recherche de solutions souvent extérieures à nous-même pour répondre à un besoin de contrôle. Cette posture peut potentiellement nous déposséder de nos propres moyens et de nos intuitions en nous privant du temps d’arrêt et de l’ambigüité nécessaire pour laisser émerger des réponses qui pourraient nous surprendre.
« Einstein rapporte que les choses ont changé pour lui quand il a cessé de vouloir imposer son ordre au chaos de l’univers et qu’il a plutôt laissé l’univers mettre de l’ordre dans le chaos de son esprit. » (Pelletier, 1981, p. 117)
Cette idée suggère une posture de lâcher-prise et d’acceptation vis-à-vis de la nature incontrôlable et imprévisible de la vie. J’y vois aussi une invitation à se laisser travailler par la vie, non pas de manière passive, mais en toute harmonie avec le mouvement.
Conclusion
Apprendre à se connaître est une expérience insécurisante, riche et complexe. Développer une relation intime avec soi-même va de pair avec une posture réflexive qui invite à observer, le plus souvent possible, ce qui est vivant en nous. C’est le défi que nous partageons avec nos clients. Ce n’est pas pour rien que nous avons besoin, nous aussi, d’une relation de confiance afin de pouvoir nous engager dans cette démarche.
Mon intention dans cet article était de rappeler la dimension fondamentalement existentielle de notre travail et, volontairement, j’ai choisi un ton conceptuel. Je crois que les liens avec la pratique et les réponses sont en nous! Bonne réflexion!