Cependant, le caractère historique et unique de ce que nous vivons ne change guère la nature des défis colossaux qui nous attendent au cours des dix prochaines années en matière de gestion de carrière, de développement et de disponibilité de la main-d’œuvre. Bien au contraire, cela ne fera qu’accélérer des tendances déjà présentes. Je vous propose un bref tour d’horizon de cette Odyssée.
1. Pénurie
À cette pénurie d’individus s’ajoutera une pénurie de compétences pour une partie importante des travailleurs aujourd’hui qualifiés et en emploi. En effet, les changements technologiques s’accélèrent et le rythme de l’accélération s’accroît. Cette double pénurie, de personnes et de compétences, nécessitera un ajustement important pour tous les acteurs : organisations publiques et privées, gouvernements, institutions d’enseignement, gestionnaires et individus. Nous aurons à mettre en place rapidement des mesures de mise à niveau des compétences, des systèmes et des balises efficaces pour accompagner les individus dans le changement et coordonner les efforts de tous ces acteurs. De plus, nous devrons repenser une partie des descriptions de tâches, réorganiser une partie des processus au sein des organisations et valoriser, réellement, la diversité et l’intégration des nouveaux arrivants. Nous n’aurons tout simplement plus le loisir de laisser des dizaines de milliers d’individus en marge du marché de l’emploi.
2. Santé mentale
Notre conception de la santé au travail a été et est encore fortement orientée vers la prévention et le traitement des problèmes physiques : maux de dos, coupures, etc. Nous vivons un paradoxe temporel : alors que près de 80 % des salariés canadiens travaillent dans les industries de services (banques, télécommunication, commerce au détail, etc.), nos approches en matière de santé et sécurité au travail relèvent d’une époque où la majorité des travailleurs se retrouvaient dans les secteurs primaires (foresterie, pêche) et secondaires (usines), plus propices à des lésions professionnelles physiques. Le fait que la première cause d’invalidité au Canada soit maintenant les troubles de santé mentale, que ces troubles constituent plus du tiers des cas d’absentéisme de longue durée au sein des PME canadiennes et que la tendance est de toute évidence à la hausse, tout cela nous indique qu’une mise à jour de nos approches en la matière est essentielle.
Dans un monde du travail inspiré de l’acronyme « VUCA – Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity », originalement développé par les services de renseignements et les armées pour décrire les terrains d’interventions contemporains où la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté sont omniprésents, les cas d’anxiété, les troubles d’adaptation et de l’humeur, les épuisements professionnels auront une prévalence croissante et des impacts significatifs sur l’ensemble des acteurs du monde du travail. À cela, on peut ajouter un facteur pandémique et post-pandémique qui vraisemblablement fera accroître, encore plus, l’absentéisme relié à des facteurs psychologiques. Cet absentéisme ajouté aux pénuries de MO augmentera la pression sur nos systèmes et nous forcera à revoir plusieurs pratiques organisationnelles de même que la gestion de carrière des individus, en prenant en considération des périodes de congés sabbatiques planifiées, des périodes de formation et de perfectionnement, entre autres choses.
3. Désynchronisation géographique du travail
En 2020, la COVID-19 nous a fait plonger dans le télétravail, massivement et subitement. On connaissait le concept depuis l’avènement du Homeshoring, populaire dès le milieu des années 2000 en centres d’appels, où les employés travaillaient de la maison, pour un employeur de leur localité. La pratique s’est ensuite répandue partiellement pour divers postes dans plusieurs organisations et industries, mais demeurait du côté des privilèges et des exceptions, sans par ailleurs modifier le lien « présentiel » avec l’employeur, quelques jours par semaine.
Le contexte actuel a ouvert une porte quant à la possibilité technologique et « culturelle » de faire travailler des gens pour une entreprise d’une autre province, voire d’un autre pays de façon régulière et permanente.
Je ne fais pas référence ici à la délocalisation d’un département vers un pays en voie de développement pour réduire ses coûts. Je parle par exemple d’une organisation de Paris qui recrute un professionnel de Montréal, sans que ce dernier ait à déménager. Ce décloisonnement du recrutement et de l’emploi viendra à son tour accentuer la pression sur la disponibilité des talents, surtout pour les postes spécialisés et seniors, en ajoutant aux acteurs locaux des compétiteurs internationaux.
Bref, l’Odyssée ne fait que commencer. Nos défis seront importants en quantité et par l’étendue de leurs impacts. Néanmoins, ce sera l’occasion de réellement revoir nos façons de faire, d’adapter le monde du travail aux humains plutôt que l’inverse. Nous aurons les défis, certes. Mais nous avons aussi, en partie, les solutions. Alors, écrivons ensemble l’histoire.