L’orientation scolaire en milieu minoritaire francophone : l’importance de célébrer sa différence
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L’orientation scolaire en milieu minoritaire francophone : l’importance de célébrer sa différence

Au début de ma carrière universitaire, mon premier projet de recherche d’importance m’a amené à rencontrer les enseignants de plusieurs écoles secondaires de langue française de l’Ontario. Un jour, je me retrouve donc avec une équipe du personnel enseignant d’une école secondaire de la grande région de Sudbury. Avant le début de la réunion, l’on échange de manière informelle sur le fait que les élèves parlent en anglais en dehors des salles de classe. Au cours de cette discussion, une enseignante déclare avec beaucoup de conviction : « C’est nos meilleurs qui parlent français. » 

 Sans le savoir, cette enseignante venait de susciter chez moi un questionnement qui allait imprimer une dynamique particulière à plusieurs de mes recherches.
En effet, je savais que la fierté associée à la différence ethnique, raciale ou sexuelle est un facteur qui peut prédire le bien-être psychologique, la persévérance scolaire et l’accès aux études supérieures. Mais, la percutante déclaration « C’est nos meilleurs qui parlent français » m’a fait prendre conscience que l’identité ethnolinguistique des élèves franco-ontariens pouvait aussi influencer la construction de leur identité vocationnelle et les prises de décision qui en découlent. Par exemple, qu’est-ce qui amène un élève franco-ontarien, au terme de ses études secondaires, à poursuivre ses études postsecondaires en anglais ou en français? Une question vitale, sachant qu’environ 45 % des finissants des écoles secondaires de langue française décident de poursuivre leurs études collégiales ou universitaires en anglais. Cette saignée est de nature à affaiblir la francophonie ontarienne dans son ensemble et ses institutions d’enseignement, en particulier.  

Animé par le fameux « C’est nos meilleurs qui parlent français », depuis 2006, j’ai conduit de nombreuses recherches qualitatives et quantitatives. Ces recherches ont rejoint plus de 1800 jeunes franco-ontariens inscrits soit en 12e année du secondaire (30 écoles secondaires de langue française) ou en première année collégiale (La Cité d’Ottawa). Qu’ai-je appris tout au long de ces 15 années de recherche? Premièrement, il y a un lien de causalité évident entre la fierté d’être francophone (forte identité ethnolinguistique), d’une part, et la poursuite des études postsecondaires en français, d’autre part. Dit autrement, plus un jeune est fier d’être francophone, plus il manifestera le désir de poursuivre ses études postsecondaires en français. De plus, une identité ethnolinguistique suffisamment forte transcende l’éloignement géographique des institutions postsecondaires de langue française ou bilingues. Plus un élève de 12e année se perçoit comme francophone, plus il sera prêt à quitter sa région natale pour poursuivre ses études postsecondaires en français. Bien entendu, ces dernières données ne visent pas à justifier la pauvreté de l’offre des programmes universitaires ou collégiaux enseignés en français, et ce, particulièrement dans certaines régions de l’Ontario, comme Toronto. Mais, cela démontre que l’identité ethnolinguistique constitue une force motivationnelle qui permet de surmonter de nombreux obstacles. 

Deuxièmement, le développement de l’identité ethnolinguistique favorise l’épanouissement de l’identité vocationnelle. En d’autres termes, la fierté d’appartenance à la communauté franco-ontarienne est associée à la maturité vocationnelle. Qu’est-ce que la maturité vocationnelle? Ce type de maturité implique la synergie entre trois facteurs qui sont : la connaissance de soi, la connaissance du monde du travail et la capacité de prendre une décision par rapport à son avenir professionnel.

La maturité vocationnelle permet donc à l’élève d’arrêter un choix d’études postsecondaires qui sera le reflet de ses champs d’intérêt, de ses aptitudes et de ses valeurs.

Donc, plus un élève de 12e année est fier d’être francophone et de son appartenance à la communauté franco-ontarienne, plus il sera en mesure de choisir un programme d’études universitaires ou collégiales qui reflétera sa personnalité et qui sera de nature à le motiver tout au long de ses années au collège ou à l’université. 

L’orientation scolaire en milieu minoritaire francophone : l’importance de célébrer sa différence

Troisièmement, la poursuite des études postsecondaires en français est de nature à favoriser le bien-être psychologique et à faciliter leur processus d’adaptation à la vie collégiale ou universitaire. Un étudiant franco-ontarien qui s’inscrit à un programme offert en français au collège ou à l’université sera comme un poisson dans l’eau. En plus d’être bénéfique pour son équilibre psychologique, la poursuite des études postsecondaires en français favorise l’adaptation à de nouvelles exigences pédagogiques. De plus, cela facilite son intégration à la vie sociale de l’institution qu’il fréquente. Est-ce surprenant? Non, l’éducation postsecondaire en français est une quasi-nécessité pour un étudiant qui est fier de son identité francophone. C’est à la fois le prolongement et l’aboutissement de son processus de développement identitaire qui a débuté et pris racine au sein de sa famille et de sa communauté. Développement, qui s’est poursuivi durant ses études primaires et secondaires.  

 Malgré toutes ces données produites par la recherche qui encouragent les jeunes franco-ontariens à développer une identité ethnolinguistique forte et vibrante, il faut être conscient qu’ils évoluent au sein d’une société massivement dominée par la langue anglaise et la culture anglo-saxonne. Il y aura toujours, chez ces jeunes, un attrait à l’endroit de la langue et de la culture du groupe majoritaire. Cette attirance peut susciter l’émergence d’une tension entre le désir d’appartenir à la francophonie ontarienne, d’une part, et au groupe linguistique dominant, d’autre part. Il faut être conscient de cette tension et du fait qu’il revient à l’ensemble de la communauté franco-ontarienne d’accompagner sa génération montante tout au long de son long et périlleux développement identitaire. Car, comme nous venons de le voir, la recherche démontre qu’une identité ethnolinguistique forte est associée au succès scolaire et à l’accès aux études postsecondaires. À mon tour, je peux dire : « C’est nos meilleurs qui parlent français. » 

Étant originaire de la ville de Québec, je terminerai par une question. Est-ce que la jeunesse québécoise est soumise au même type de tension identitaire que la jeunesse franco-ontarienne? Lorsque j’observe l’attirance que les collèges et les universités québécoises de langue anglaise exercent sur les étudiants francophones du Québec, particulièrement ceux de Montréal, je serais tenté de répondre par l’affirmative.  

Références  
  1. Samson, A., Maisonneuve, A., Saint-Georges, Z. (2021). Ethnolinguistic identity and post-secondary program readiness as non-cognitive factors related to college adaptation and psychological wellbeing among Franco-Ontarian post-secondary students living in an Anglo-dominant context.Canadian Journal of Career Development, 20(1), 17-27. 
  1. Samson, A. (2018). L’orientation scolaire en contexte minoritaire francophone : l’interface entre l’identité langagière et l’identité vocationnelle. Dans Système scolaire franco-ontarien. D’hier à aujourd’hui pour le plein potentiel des élèves État des lieux : études et pratiques. Isabelle, C. (dir.). Presses de l’Université du Québec. 
  1. Sovet, L., DiMillo, J. et Samson, A. (2017). Linguistic Identity and Career Decision-Making Difficulties among French-Speaking Canadian Students Living in an Anglo-Dominant Context. International Journal for Educational and Vocational Guidance (17) 3, 269-284. 
  1. Samson, A.Sovet, L., Cournoyer, L. et Lauzier, M. (2016). L’influence de l’identité langagière sur les transitions scolaires des élèves de l2e année inscrits dans les écoles secondaires de langue française de l’Ontario. Dans Perspectives contemporaines sur les parcours et l’orientation des jeunes, Masdonati, J. (Dir), Bangali, M. (Dir), Cournoyer, L. (Dir). Presses de l’Université Laval.  
  1. Samson, A. et Lauzier, M. (2016). Le français comme valeur au travail : une étude auprès des élèves de 12e année inscrits dans les écoles secondaires de langue française de l’Ontario. Dans L’accès des francophones aux études postsecondaires en Ontario, Labrie, N. et Lamoureux, S. (Dir). Éditions Prise de parole. 
  1. Lauzier, M., Coté, K. et Samson, A. (2015). Effet du soutien social sur le bien-être psychologique et la poursuite des études postsecondaires : une étude chez les élèves en contexte francophone minoritaire. Orientation scolaire et professionnelle, 44 (1),3-22. 
  1. Negura, L. and Samson, A. (2008). Jeunes et Travail : l’avantage d’être francophone en Ontario. Repères, 14 (1), 129-153.   

Article publié pour la première fois le 19 avril 2021.

André Samson Author
André Samson est professeur titulaire d’orientation scolaire et professionnelle à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa depuis septembre 2002. Il enseigne dans les domaines des théories du choix de carrière, théories du counselling, de l’éthique en counselling et de la santé mentale en milieu de travail. Le professeur Samson centre ses activités de recherche sur les transitions de vie à l’adolescence et à l’âge adulte. Plus particulièrement, il étudie les processus du choix de carrière à l’adolescence, et plus particulièrement en milieu minoritaire francophone. Ses recherches ont été subventionnées par le Ministère de l’éducation de l’Ontario, le Ministère de la santé et des soins de longue durée de l’Ontario, de nombreux conseils scolaires de l’Ontario, les Instituts de recherche en santé du Canada et Patrimoine canadien. Il est membre de l’Ordre des conseillers et des conseillères d’orientation du Québec. • Mes articles scientifiques sont accessibles sur : ResearchGATE
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