D’intervenant à superviseur clinique : nouvelle posture et défi d’évaluation
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D’intervenant à superviseur clinique : nouvelle posture et défi d’évaluation

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Il est possible d’affirmer, sans trop se tromper, que les personnes qui œuvrent à faciliter le développement de carrière à travers les multiples transformations de notre société ont à cœur l’épanouissement des clientèles et valorisent la bienveillance et l’acceptation qui caractérisent la relation d’aide appliquée à la carrière. Dans cette lignée, il n’est pas surprenant qu’un bon jour, certains soient interpellés par le rôle de superviseur clinique, qui a pour fonctions le développement professionnel du supervisé (futur intervenant ou en exercice) et l’amélioration des services rendus à la clientèle. Pour ce faire, la relation de supervision poursuit des objectifs sur le plan des normes de pratique, de la gestion du vécu en relation et de l’intégration ou du perfectionnement de théories, de modèles et d’interventions. Ces objectifs prennent une forme toute particulière selon les besoins du supervisé et des défis rencontrés.  

Le rôle de superviseur clinique est en apparence tout à fait aligné à celui d’intervenant en développement de carrière. En effet, la supervision porte sur une pratique pour laquelle le superviseur a normalement de l’expérience. Ainsi, l’ensemble de ses théories, de ses approches et de ses modèles peut être utilisé pour aider le supervisé dans le développement de sa pratique. De plus, ses compétences relationnelles pourront certainement être utiles, puisque la supervision est avant tout une relation. Enfin, la majorité des superviseurs ont été supervisés dans leur parcours, expérience qui peut être formatrice. Tout semble en place pour assumer ce nouveau rôle. 

Depuis plusieurs années, nombre d’écrits sur la supervision clinique s’inscrivent dans une reconnaissance d’une pratique à part entière intégrant des compétences spécifiques et des normes de pratique.

Certains évoquent l’importance de se former, car l’expérience d’intervenant serait insuffisante.

Et pourquoi donc s’engager dans un processus de formation? Une des premières raisons est que la pratique de supervision exige la mobilisation de plusieurs compétences spécifiques pour ne nommer que l’alliance de supervision, les stratégies pédagogiques, l’éthique en supervision et l’évaluation du développement du supervisé. Sommes-nous si conscients de cette exigence de développement en matière de compétences? Certes, certaines compétences ont des liens de proximité avec celles d’intervenants (p. ex. : alliance), mais elles ne peuvent toutefois pas s’y réduire. Une deuxième raison réside en la complexité de la supervision clinique, traduite non seulement par ses compétences distinctes, mais aussi par la nécessaire prise en compte de la dynamique entre le superviseur, le supervisé et le client de ce dernier. Aurions-nous, par exemple, tendance à intervenir uniquement sur la relation entre supervisé/client, venant à oublier la relation superviseur/supervisé? Une troisième raison est le risque possible de préjudices pouvant être causés au supervisé et aux clientèles desservies. Évaluons-nous, par exemple, suffisamment l’effet que nous avons sur le plan de l’estime de soi du supervisé? Sommes-nous en mesure tel que nous l’exigeons du supervisé de s’ancrer dans une pratique réflexive de supervision permettant de nous remettre en question, en plus de créer un espace de dialogue pour que le supervisé évalue aussi notre intervention auprès de lui? Autant de raisons et de questionnements qui peuvent inciter à nous engager dans un processus de formation à la supervision selon différentes modalités (p. ex. : formation universitaire, métasupervision, lectures) et l’une des compétences importantes à développer est reliée à l’activité d’évaluation en supervision.  

Il y a fort à parier que si nous mettons en place un groupe de discussion avec des superviseurs d’expérience, ces derniers pourraient évoquer maints défis relevés lors de leurs premières années de pratique, dont celui de l’évaluation en contexte de supervision et qui peut se traduire ainsi : comment puis-je trouver un équilibre entre créer et maintenir une relation (alliance) tout en assumant la dimension évaluative de la supervision? L’évaluation en supervision peut se mobiliser de différentes manières et pour emprunter à la pédagogie, elle peut se présenter en deux catégories : l’évaluation dite sommative et l’évaluation dite formative. L’évaluation sommative est formelle, encadrée et débouche souvent sur la réussite ou non d’un stage ou d’une activité encadrée par une institution scolaire, un ordre professionnel ou une association. Ainsi, des normes de pratique sont à atteindre par le supervisé et des grilles critériées sont utilisées pour évaluer l’écart entre ce qui est attendu et ce qui est réellement mobilisé. L’évaluation dite formative peut être moins encadrée et s’inscrit plus naturellement dans l’intervention du superviseur. Cette évaluation peut se repérer dans l’activité du superviseur quand il permet au supervisé de s’exprimer sur ses défis, ses manières de les relever et sur ses interventions et effets sur les clients. Le superviseur peut aussi demander au supervisé comment il pourrait procéder dans une autre situation ou encore lorsqu’il vérifie avec lui la manière dont il intègre les pistes proposées et à quel point elles sont réalistes et pertinentes dans le contexte d’intervention, tout en considérant l’ensemble des facteurs pouvant avoir de l’influence sur l’intervention. En intervenant ainsi, il a accès à une partie de la pratique du supervisé, à ses intentions et à ce qu’il met en place pour atteindre les résultats souhaités. C’est à partir de ces éléments d’information que le superviseur peut être en mesure de communiquer au supervisé son jugement sur les défis rencontrés, de valider ce que le supervisé met en place, de valider ses ressources, de soumettre des regards critiques sur certaines pistes d’intervention envisagées, de suggérer des améliorations et de cibler clairement les zones de difficultés à travailler, en plus d’engager un dialogue au sujet de risques de préjudices pour la clientèle, le cas échéant. Toutes ces actions concourent à l’évaluation en supervision.  

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Fort de son rôle d’intervenant, le superviseur a l’intention de créer et de maintenir une alliance avec le supervisé. Il souhaite le respecter, le soutenir et l’aider à se développer. Ses intentions se traduisent dans une approche d’intervention qui peut notamment valoriser l’accompagnement sans trop prodiguer de conseils, sans trop suggérer, du moins avoir cette préoccupation pour que le degré d’influence soit adéquat et pour que la personne puisse être autonome, se déterminer. Toutefois, le rôle de superviseur exige un ajustement à cette posture du moment où l’on accepte la vision de l’évaluation précédemment proposée. Est-ce que pour mieux approcher cette responsabilité, une première étape pourrait être de réfléchir à notre représentation de l’évaluation, à nos expériences passées de supervisés, puis à ce que nous pouvons vivre à l’idée de porter un jugement professionnel sur le travail d’intervention de supervisés et de le partager? Avons-nous l’impression de marcher sur des œufs, peur des effets, peur de blesser ? Avons-nous l’impression que la dimension évaluative est en contradiction avec le rôle d’accompagnateur? Une deuxième étape peut être de mieux circonscrire l’évaluation en contexte de supervision. Savons-nous comment nous y prendre? Il est possible par exemple de partager avec la personne supervisée, ce qu’est l’évaluation dans ce contexte qu’elle soit formative ou sommative et sur quoi elle porte de manière concrète. Le superviseur a donc la responsabilité de convenir avec le supervisé de ce qui est évalué et sur quoi porte le jugement. De plus, et surtout lors des contextes plus formels d’évaluation, il est pertinent de bien structurer les moments d’évaluation pour éviter les dérives et le faire à partir des objectifs de développement du supervisé, en plus des normes de pratique. Une bonne pratique serait aussi de faire participer le supervisé à l’évaluation pour qu’il puisse se dire : « moi aussi, j’ai une place pour évaluer le travail que nous faisons ensemble », en plus de faciliter sa capacité à s’autoévaluer. Une troisième étape serait, peu importe le contexte, d’évaluer les effets de notre activité d’évaluation afin de préserver l’estime de soi du supervisé et de revoir nos façons de faire, au besoin, et ce, dans le but de conjuguer alliance et évaluation. 

En conclusion, et pour faire un clin d’œil à une discussion un jour entretenue avec Patricia Dionne, professeure agrégée de l’Université de Sherbrooke, à titre de superviseur, nous accompagnons le supervisé, mais qui le fait pour nous? Le superviseur n’est pas obligé de rester seul dans sa pratique. Ainsi, les défis qu’attend le superviseur peuvent se relever à l’aide de la métasupervision (supervision de la supervision), une des modalités de formation à la supervision clinique pouvant répondre à des défis ponctuels rencontrés et à la poursuite d’objectifs de développement à plus long terme.  

 

Afin de poursuivre les réflexions, je vous propose ci-dessous une lecture qui illustre un défi rencontré dans l’interaction alliance/évaluation. 

Côté, L. (2015). Réflexion sur une expérience de supervision sous l’angle de l’alliance pédagogique. Pédagogie Médicale, 16(1), 79-84. Récupéré de https://www.pedagogie-medicale.org/articles/pmed/pdf/2015/01/pmed150024.pdf  

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre. 

Conseillère d’orientation et chargée de cours à l’UQAM dans les programmes de développement de carrière, Chantal Lepire est présidente du conseil d’administration de l’AQPDDC depuis sa fondation et a œuvré pendant deux années avec une équipe de bénévoles à l’élaboration de ses fondements en 2015.
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Conseillère d’orientation et chargée de cours à l’UQAM dans les programmes de développement de carrière, Chantal Lepire est présidente du conseil d’administration de l’AQPDDC depuis sa fondation et a œuvré pendant deux années avec une équipe de bénévoles à l’élaboration de ses fondements en 2015.
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