La carrière; survie ou nous survit? (Première partie)
Marché du travail

La carrière; survie ou nous survit? (Première partie)

Ce billet aurait pu s’intituler « Y a-t-il une vie après la carrière? » En effet, ce billet vise à élucider si une fois qu’une personne a mis fin à sa carrière – ou communément dit, a pris officiellement sa retraite –, est-ce que la carrière de cette personne devient plus ou moins en survie[1] pour elle. Par exemple, en faisant revivre des souvenirs et des anecdotes en référence à cette « vie active et productive » ou en entretenant des fréquentations plus ou moins assidues d’ex-collègues ou, si au contraire, cette carrière survit à cette personne devenant en quelque sorte une entité en soi. 

Pour tenter de répondre à cette énigme, j’examinerai divers événementiels récents impliquant entre autres des personnes retraitées de mon entourage ainsi que moi-même. Cela n’est guère une opération facile, puisqu’elle fera l’objet de deux billets. 

Premier jalon : Irène 

Mon premier jalon réflexif tourne autour de ma sœur Irène, décédée en 2015. Après son mariage et la naissance de sa fille, elle a occupé pendant 25 ans le poste de caissière en chef au supermarché de son quartier, où elle fut hautement estimée par la très grande majorité des gens fréquentant cette enceinte, en particulier les propriétaires. Par la suite, elle a travaillé comme préposée aux bénéficiaires, la majorité de ceux-ci tant sans doute maintenant décédée. Ici encore les témoignages sont éloquents. Sa vie s’est terminée à l’âge de 77 ans à la suite d’une récidive de leucémie.  

C’est autour de ce combat avec le cancer que je l’ai davantage côtoyée. Moi qui ai très tôt eu vent de sa quête religieuse et l’ai par la suite appuyée dans cette quête, cela faisait en sorte qu’inévitablement nos échanges du moment tournaient régulièrement autour des questions de fin et d’après vie. Or, elle qui n’avait montré aucun répit dans son engagement religieux, lequel lui avait occasionné de nombreux choix (pour ne pas dire sacrifices), dont celui de rompre les liens avec sa fratrie, semblait alors démunie, voire presque indifférente,  face à ces questions de trépas et d’outre-tombe, avouant que si, sans exposition et service religieux, ses cendres étaient tout simplement déposées près du squelette de son chien gisant quelque part dans le fond de sa cour, cela lui conviendrait parfaitement.  

De plus, en dépit d’une longue et fleurissante carrière avec des publics fort divers, et en dépit d’une longue et constante fidélité à son collectif religieux, Irène doutait que quelques personnes prennent la peine de se déplacer advenant une exposition en chapelle ardente.

C’est comme si, pour elle, il ne survivait à peu près plus rien de sa carrière. 

Je fus l’un de ceux qui secondèrent sa fille pour qu’elle réserve quelques heures d’exposition dans un salon funéraire, non loin dudit supermarché et, essentiellement grâce à un bouche-à-oreille, il est venu une vingtaine de personnes, surtout de la parenté et quelques amies de son église.  

Deuxième jalon : Gérard 

Sept ans plus tard, dès le début de la présente année (janvier 2022), c’est autour de mon frère Gérard de décéder. Or, il suffit de taper Gérard A. Limoges sur Internet pour découvrir qu’il a eu une carrière hors de l’ordinaire se poursuivant toujours[2][3] (survie) et une contribution professionnelle soulignée par plusieurs reconnaissances officielles (médailles, fellowship, etc.). Comme il consacra toutes ses énergies à cette carrière qui a souvent pris la première place, il me semblait mériter des funérailles d’envergure en dépit de son âge et de celles de ses collègues et clients. Or, certains de mon entourage en doutaient.  

À sa demande, il y eu une célébration de la vie autour de son urne le 18 mai dernier qui, toujours selon ses dernières volontés, devait prendre la forme d’un cocktail-apéro réunissant près d’une centaine de personnes : des membres de ses familles, d’ex-collègues et d’ex-clients. Il y eut deux témoignages formels très sentis, l’un de son fils ainé et l’autre, plus long, d’un représentant de la sphère professionnelle faisant surtout l’éloge de son mécénat mobilisateur, entre autres pour la recherche médicale.   

Dans l’avis de décès, trois paragraphes portent sur sa carrière et ses contributions professionnelles contre deux sur sa vie privée.
Enfin, en place et lieu de fleurs, l’avis propose des dons aux Grands ballets canadiens, à l’Orchestre symphonique de Montréal et à la Société de l’arthrite, autant d’organismes où Gérard siégea aux conseils d’administration. J’ignore la suite[4], mais à ce stade, la carrière de Gérard apparait comme un mélange harmonieux de survie (retour sur un riche passé) et de survivre (un présent, peut-être un futur)! 

Toujours dans le but d’élucider la question en titre, j’explorerai dans un prochain billet trois nouveaux jalons se référant cette fois à des expériences plus personnelles. 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.  

  

Références : 

[1] Nom, décrivant un état, le plus souvent précaire. 

[2] Au moment de son décès, son nom figurait dans au moins trois conseils d’administration. 

[3] Comme un objet commémoratif (plaque, prix), la création d’une bourse ou d’une fondation, etc. 

[4] Voir jacqueslimoges.com.

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.