Dans la continuité du premier article qui abordait le rôle et les limites liées à notre besoin de contrôle sur nos trajectoires de vie (professionnelles), cette seconde partie présente la notion d’acceptation comme levier utile pour sortir de cet « agenda du contrôle », et de manière à réaligner nos vies professionnelles en phase avec nos valeurs.
La notion d’acceptation
Sur le plan des interventions, l’ACT (approche d’acceptation et d’engagement) propose donc de cultiver prioritairement l’acceptation. Par exemple, l’individu apprend à détecter et à accueillir ses pensées et émotions douloureuses, sans les juger, dans le but de réduire ainsi ses tentatives d’échappement et d’évitement. En termes pratiques, il s’agit simplement de l’amener à prendre conscience du fait que le contrôle de ses pensées et émotions constitue (et contrairement à ce qu’il croit et fait jusque-là) non pas la solution, mais davantage le problème. Par exemple, la métaphore des sables mouvants illustre un tel élargissement :
le paradoxe quand on est pris dans des sables mouvants est que pour pouvoir en sortir, il faut arrêter de bouger, de lutter, de se débattre, mais il faut plutôt s’allonger pour cesser de s’enfoncer (Hayes et al, 2012).
Une autre manière d’introduire cette position de l’acceptation est de présenter la métaphore de l’interrupteur. Cette métaphore est tirée du guide des ateliers Oreka. Elle consiste à inviter la personne aux prises avec ses difficultés, par exemple sur le plan professionnel, à fermer les yeux et à se laisser guider par les instructions suivantes (Oreka, 2020) : « Imaginons que tout au fond de notre boîte crânienne, il y a un interrupteur, similaire à ceux que nous avons à la maison pour allumer ou éteindre la lumière… Cet interrupteur, c’est celui de la lutte… lorsqu’il est ouvert, on se met à lutter contre toutes sortes de pensées, d’émotions ou de sensations. On fait tout ce que l’on peut pour éliminer ou éviter ces expériences désagréables. » « Prenons quelques instants pour revisiter une situation vécue récemment où notre interrupteur de la lutte était ouvert face à notre situation difficile sur le plan professionnel ou à l’égard de nos études. Choisissons une situation que nous avons envie d’explorer, une situation qui s’impose spontanément à nous (p.ex., un conflit avec un collègue, une discussion difficile au travail, un différend avec son patron, la frustration de ne pas pouvoir trouver un emploi qui nous convienne ou de faire quelque chose d’important pour nous, comme de ne pas parvenir à sortir de notre état d’indécision par rapport à notre choix de métier ou de cours). Prenons le temps de bien imaginer la scène, de prendre conscience de l’endroit où nous sommes, des gens (peut-être) autour de nous, de l’expression sur notre visage… Que fait-on concrètement dans cette scène? Quelle forme prend notre lutte? On crie, on se justifie, on s’isole, on s’apitoie sur notre sort, on interrompt brutalement ce qu’on était en train de faire? On critique la personne ou le conseiller qui nous aide dans notre orientation ou notre recherche d’emploi? On attend que celui-ci trouve les solutions à notre place ? Comment s’exprime notre lutte? Et puis, contre quelles pensées, émotions ou sensations se débat-on au juste? De quoi est constituée notre expérience lorsque nous sommes en mode lutte? »
Par la suite, les thèmes d’échanges suivants peuvent être abordés : « Est-ce que vous avez noté des différences entre la manière dont vous avez fait face à votre situation difficile et celle que nous avons expérimentée ensemble? Si oui, lesquelles? (Ramenez toujours à l’expérience de la personne.) Qu’est-ce qui change au juste lorsque notre interrupteur de la lutte est éteint? » « Qu’est-ce que ça change de faire de la place à la souffrance, l’accueillir plutôt que la contrôler ou la chasser? Est-ce qu’il est possible de faire un tout petit peu plus de place aux expériences difficiles associées à notre situation difficile? » Finalement, il est possible de rappeler que cette notion d’acceptation entraîne une expérience différente de celle de la lutte (p.ex., relâchement, ouverture, contentement, paix, etc.). Face aux pensées et aux émotions inconfortables qui nous envahissent lorsque nous faisons face à une situation difficile, par exemple à l’égard de notre recherche d’un emploi ou lors de notre démarche de réorientation de carrière, nous avons sans cesse le choix entre ces deux mouvements : nous pouvons opter pour la résistance, la lutte, ou plutôt l’accueil, l’ouverture, la connexion. L’acceptation n’a rien de passif. Il s’agit d’un choix qui est sans cesse à renouveler (Oreka, 2020).
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
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