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Ce billet risque de vous paraître salé! D’abord, qu’est-ce que la saveur umami? Pourquoi faire référence à cette xième saveur pour évoquer le goût du travail?
La saveur umami est une sensation gustative ressentie comme profondément agréable. Elle est issue de la sublimation des saveurs d’un ensemble d’aliments.
Bien qu’elle existe de façon expérientielle probablement depuis que l’être humain cuisine, la saveur de l’umami a été identifiée au Japon dans les années 1900, notamment par le professeur Ikeda. C’est une saveur qui peut être salée, sucrée, acide, amère. Tout comme le goût que peut nous laisser le travail. Vous me voyez venir?
Pourtant la saveur umami est au-delà des saveurs de base. Elle diffère des saveurs salées, sucrées, acides, amères et piquantes. Elle ne se réduit pas à l’une de ces saveurs ni à leurs combinaisons.
Dans un plat, elle peut briller par son absence ou sa présence. Une personne expérimentée sait créer cette délicieuse saveur. Même présente, elle reste cachée. Bien que difficile à détecter, on peut tous la reconnaître et tellement l’apprécier.
C’est un peu comme le travail qui peut nous laisser un goût plus ou moins agréable ou amer, qu’il soit sucré, salé, acide, amer ou piquant, sans savoir pourquoi précisément. Un leader ou un gestionnaire expérimenté saura cocréer cette saveur umami du travail. Parfois on peut dire d’un plat qu’il n’est pas mauvais comme on dirait d’un travail qu’il n’est pas désagréable. Cette pensée sous-entend qu’il manque quelque chose qui le rendrait agréable, et pourquoi pas délicieux. Par exemple, tel travail a l’air d’avoir du sens, d’être bien payé, etc. (Voir « Jouir pleinement des retombées hautes du travail » et « Les trois vitamines psychologiques du développement de carrière »).
La saveur umami peut se retrouver à travers une combinaison de ces saveurs voire à travers la combinaison de toutes ces saveurs. Elle n’a pas non plus le goût d’un aliment particulier. Par analogie, la saveur umami du travail n’a pas le goût d’une tâche particulière. Pourtant en gastronomie elle peut se reconnaître à travers un aliment sublimé par un mélange de textures, par une préparation culinaire crue, cuite, marinée ou fermentée, par une combinaison d’aliments, de condiments et d’épices. Par exemple, un travail peut être sucré, voire épicé et très sucré (beaucoup de récompenses financières, matérielles ou symboliques et de défis). Ce n’est pas pour autant qu’il sera délicieux, facile à digérer et bon pour notre santé et celle d’autrui. Le sucre, et par analogie une récompense financière ou matérielle, peut être vu comme une punition lorsqu’il implique un dommage pour la santé (la sienne et celle des autres). Au travail, le « sucre » peut nous conduire à faire des choses que nous détestons faire. C’est l’opposé d’une saveur umami qui est bonne pour soi et pour autrui.
La saveur umami du travail peut être perçue et ressentie dans un ensemble de conditions de travail matérielles, organisationnelles, relationnelles, symboliques. Reconnaître la saveur umami d’un plat ou du travail est à la portée de tout le monde.
Notre langue et nos papilles sont faites pour la reconnaître depuis notre naissance, notamment dans le lait maternel. Notre cerveau est équipé pour l’apprécier en profondeur. Cette saveur fait en sorte que nous nous délectons et nous sentons comblés, comme l’est un bébé au sein de sa mère, au moins sur le plan gustatif. La saveur umami est expérimentée dans toutes les cuisines du monde.
Quant à créer une sensation profondément délicieuse, c’est une autre affaire. Autrement dit, la capacité de se sentir épanoui est une habileté humaine universelle. Et c’est un besoin existentiel universel. Bien sûr, cette capacité s’éduque. Pourquoi avoir un travail profondément épanouissant est une tout autre affaire? Une entrée peut être acide ou amère. Ce n’est pas pour l’une ou l’autre raison qu’elle sera ou ne sera pas délicieuse. Elle peut être bonne pour la santé et manquer de cette saveur profondément agréable. La saveur umami vient s’ajouter aux premières saveurs, les sublimer, créer une synergie entre elles et dépasser chacune d’elles prises isolément. Si la saveur umami est présente dans un dessert, alors ce dessert sera délicieux. Sinon, il sera au mieux simplement agréablement sucré et acidulé. Parfois, le travail peut impliquer des activités acides ou amères (une tâche inhabituelle ingrate, une perte passagère d’autonomie, une absence momentanée de sens, une désorganisation provisoire, un conflit pas encore résolu). Ce n’est pas forcément pour l’une ou plusieurs de ces raisons que la saveur délicieuse du travail a disparu.
En cuisine, la saveur umami nécessite la présence de glutamate. Le glutamate relève et améliore la saveur des aliments. La saveur umami du travail nécessite, en plus de bonnes conditions de travail, un certain état d’esprit qui donne une sensation agréable parce qu’il améliore la saveur de l’ensemble des conditions de travail. Mais le glutamate doit être ajouté dans certaines proportions, et c’est principalement son effet synergétique qui produit une saveur umami. D’ailleurs, lorsque nous fournissons un effort, notre cerveau concentre du glutamate (c’est un acide aminé et un neurotransmetteur). Mais l’excès d’effort au travail se traduit sur le plan neuronal par un excès de glutamate dans le cerveau, c’est-à-dire une fatigue cognitive pouvant conduire, si le signal est ignoré, à un épuisement professionnel. La saveur umami réside donc dans un savant dosage des éléments associés.
Il n’est pas toujours facile de créer un subtil et savant mélange pour apprécier le travail. Le travail peut être trop piquant, acide, salé, amer, fade. Sans cette saveur naturelle du travail, la facture reste très salée et laisse un goût amer mesurable sur les plans social, organisationnel, groupal et individuel. La saveur umami du travail bien fait se conjugue inévitablement avec le goût et la possibilité du travail bien fait.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre