J’ai eu le bonheur de travailler avec des adolescents en milieu scolaire pendant plus de 20 ans.
Ressources et formationsRésultats de recherche

Quand les émotions s’invitent en orientation

Getting your Trinity Audio player ready...

J’ai eu le bonheur de travailler avec des adolescents en milieu scolaire pendant plus de 20 ans. Bien qu’ils soient venus me consulter afin que je les aide à clarifier leur projet de carrière, je considère qu’ils avaient aussi beaucoup à m’apprendre. Leur richesse émotionnelle m’a toujours fascinée. Cela m’a conduit à en faire un sujet de recherche. Je me suis intéressée à leur expérience émotionnelle au cours du processus décisionnel de carrière.  

Dans ma pratique professionnelle de conseillère d’orientation, j’observais qu’il semblait parfois plus bénéfique de leur demander comment ils se sentaient à l’égard de leur choix de carrière que de spécifier leurs intentions concernant ce choix. En leur laissant la place pour exprimer leurs émotions, ils m’expliquaient ce qu’ils comprenaient de leurs émotions et comment ils les interprétaient. En tant que chercheure, j’ai voulu comprendre comment les émotions contribuent aux choix de carrière des élèves en fin d’études secondaires. Je partage donc avec vous quelques découvertes issues d’une recherche empirique, en espérant qu’elles alimentent vos réflexions et possiblement vos interventions en counseling d’orientation. 

 

Le choix de carrière et ses fluctuations émotionnelles 

Les émotions sont très présentes et intenses à l’adolescence.

Les élèves ne s’en soustraient donc pas lorsqu’ils consultent en orientation. Les résultats de l’étude démontrent qu’on peut même observer l’omniprésence des émotions en orientation1 dans plusieurs actions qu’ils posent comme celle de s’intéresser à quelque chose, s’informer, constater, réfléchir, consulter et choisir. Les 674 élèves participants ont indiqué ressentir, en moyenne, 10 émotions à une intensité variant de modérément à énormément, et 84 % d’entre eux signalent qu’ils sont à l’écoute de leurs émotions lorsqu’ils effectuent leur choix de carrière 2. Le choix de carrière est donc ponctué de fluctuations multiples sur le plan émotionnel, un peu à l’image des montagnes russes oscillant entre des émotions positives (agréables) et négatives (désagréables). Il est possible que la régulation émotionnelle soit plus complexe pour certains et qu’ils n’aient pas tout à fait conscience que leurs émotions les guident dans leur choix de carrière. Il apparait donc opportun de leur permettre d’expliciter leur ressenti émotionnel et d’explorer avec eux le sens qu’ils leur attribuent, sachant que les émotions sont généralement porteuses de sens, du moins celles qui sont plus intenses.

Les émotions peuvent donc pointer des zones d’ombres et de lumière dans le processus décisionnel de carrière. 

 

L’apport des émotions positives 

Les résultats de l’étude révèlent que les élèves ressentent plus d’émotions positives que négatives lorsqu’ils effectuent leur choix de carrière. On observe qu’ils se sentent surtout intéressés, enthousiastes, déterminés, excités, fiers, attentifs et inspirés. Entre autres, les émotions positives : 

 

1) mettent en évidence les attirances spontanées des élèves envers des activités, des domaines professionnels ou des programmes de formation;  

2) soutiennent l’attention aux étincelles pivotantes qui ouvrent soudainement sur d’autres possibilités;  

3) permettent l’émergence d’une trajectoire naissante en laissant germer une ligne directrice dans l’esprit de l’élève.  

D’ailleurs, les émotions positives produisent des pensées plus flexibles, créatives et efficaces tout en élargissant le champ attentionnel des personnes qui les ressentent3. 

 

L’éclairage des émotions négatives  

Bien que l’anxiété à l’adolescence soit plus largement documentée et manifeste lors du choix de carrière 4, d’autres émotions négatives sont aussi présentes pendant ce processus. L’étude a soulevé que des élèves se sentent nerveux, angoissés et craintifs. Des émotions négatives peuvent mettre en lumière des éléments qui préoccupent les élèves et menacent leurs aspirations professionnelles. Ces émotions négatives sont susceptibles, entre autres, de : 

1) créer une myopie vocationnelle qui se concrétise par un regard voilé sur leur choix de carrière et une tendance à procrastiner dans leur réflexion concernant leur avenir;  

2) soulever des appréhensions négatives construisant des scénarios pessimistes les amenant à redouter certaines situations; 

3) les amener à perdre leurs repères ne sachant plus vers où se diriger ou encore les pousser à faire un choix précipité afin de soulager leur inconfort face à leur indécision de carrière. Les émotions négatives sont d’ailleurs liées à l’indécision de carrière 5 

On peut donc constater que les émotions, tant positives que négatives, contribuent au choix de carrière des élèves de différentes façons et qu’elles s’invitent au counseling d’orientation. Elles représentent une ressource naturelle qui gagne à être exploitée et peuvent constituer un levier intéressant en orientation scolaire.  

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre. 

 

 Références

  1. Prévost, V., Savard, R., Goyer, L. (2022). « L’omniprésence de l’émotion en orientation. » L’orientation 12(1), 21-25. https://www.orientation.qc.ca/medias/iw/Omnipresence-emotion-en-orientation.pdf
  1. Prévost, V., Savard, R. et Goyer, L. (2023). « Les émotions et le choix de carrière des élèves du secondaire ». Revue canadienne de counseling et de psychothérapie, 57(1), 29-58.
  1. Fredrickson, B. L. (2001). « The role of positive emotions in positive psychology: The broader-and-build theory of positive emotions ». American Psychologist, 56(3), 218226. https://doi.org/10.1037/0003-066X.56.3.218
  1. Dupuis, A. (2022). « Les processus favorisant le développement de la maîtrise de l’anxiété dans une situation de choix de carrière au sein d’un groupe de counseling lors de l’adolescence » [Thèse de doctorat]. Université de Sherbrooke.
  1. Farnia, F., Nafukho, F. M., & Petrides, K. V. (2018). « Predicting career decision-making difficulties: The role of trait emotional intelligence, positive and negative emotions ». Frontiers in Psychology, 9. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2018.01107

 


Vicky Prévost animera : La contribution des émotions au processus décisionnel de carrière”  au congrès canadien Cannexus25 du CERIC, qui aura lieu en mode hybride (en virtuel et en présentiel) et ce, à Ottawa du 26 au 29 janvier 2024. Pour en savoir davantage et/ou pour vous inscrire : cannexus.ceric.ca 


 

Vicky Prévost est professeure adjointe à l’École de counseling et d’orientation de l’Université Laval. Elle est également conseillère d’orientation depuis plus de vingt ans. Ses principaux intérêts de recherche concernent les émotions, l’orientation scolaire, le counseling et la supervision.
×
Vicky Prévost est professeure adjointe à l’École de counseling et d’orientation de l’Université Laval. Elle est également conseillère d’orientation depuis plus de vingt ans. Ses principaux intérêts de recherche concernent les émotions, l’orientation scolaire, le counseling et la supervision.
Latest Posts
  • J’ai eu le bonheur de travailler avec des adolescents en milieu scolaire pendant plus de 20 ans.
  • Décision de carrière : émotive ou rationnelle?