Les transitions, une expérience de deuil
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Les transitions, une expérience de deuil

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S’il y a un phénomène auquel les professionnels de l’orientation sont fréquemment confrontés dans leur réalité, c’est bien celui de l’accompagnement d’innombrables transitions. Qu’elles soient personnelles, professionnelles, académiques ou migratoires, désirée ou non, une réalité commune accompagne l’expérience du client, soit d’assumer le deuil. Les deuils font partie intégrante de nos vies, toutes périodes confondues, et c’est d’autant plus vrai dans un processus de counseling d’orientation. 

Pour expliciter, lorsqu’un client a le désir d’entamer une transition pour donner naissance à un projet de vie, il fait face à la responsabilité de faire un choix éclairé, mais qui entraîne sans équivoque un « non-choix » (Sartre, 1946; Yalom, 2017), soit la mort d’un projet de vie. Tout renoncement provoque la perte de quelque chose; que ce soit sur le plan humain, matériel ou environnemental, et cette perte se vivra sous un angle plus ou moins adaptatif selon la maturité de l’intégration des enjeux développementaux –attachement, estime, érotisme – de la personne (Delisle, 2004). 

Le conseiller d’orientation va généralement explorer trois temporalités pour s’assurer d’aiguiller au mieux la prise de décision du client face à une éventuelle transition :  l’histoire passée, récente et l’histoire projetée. Je trouve toujours intéressant de prendre le temps de me centrer sur l’histoire passée et de l’aborder dans l’ici et maintenant.

Elle est en quelque sorte une boîte de Pandore pour aider le client à créer/recréer du sens là où le deuil pourrait provoquer une perte de repères.

Ici, la visée est de faciliter la mise en mouvement de son expérience transitionnelle. 

Qui plus est, les affects humains ont une valeur significative pour toute forme de transition. Ils se colorent en fonction des relations et des environnements dans lesquels nous nous investissons au fil de notre existence. Décider de se désinvestir intentionnellement ou non (quitter des collègues, un programme, un bureau, un pays) activera inévitablement les schèmes émotionnels reliés à nos souvenirs durant la transition, pour le meilleur ou pour le pire et à différentes intensités (Greenberg, 2020; Panksepp, 2004). C’est d’autant plus vrai quand on se réfère aux expériences-limites de la vie manifestées dans les étapes du deuil (Kübler-Ross et Kessler, 2005). 

Qu’ils soient porteurs de sens ou de terreur, les souvenirs ont une représentation affective dans la psyché humaine qui sert de fil conducteur au client quant à la prise de recul vis-à-vis de ses acquis et de ses échecs. En d’autres mots, faire le deuil, c’est offrir la possibilité au client d’être accompagné dans des lieux psychoaffectifs qui veillent en lui, mais qui ne seront pas touchés en superficie, soit les souvenirs (Schore, 2008). 

Décider de se désinvestir intentionnellement ou non activera inévitablement les schèmes émotionnels reliés à nos souvenirs durant la transition, pour le meilleur ou pour le pire et à différentes intensités
Cas clinique 

J’ai accompagné une personne exerçant des fonctions de cadre qui envisageait de prendre sa retraite dans un avenir rapproché. Celle-ci a eu une belle et grande carrière auprès d’une institution qui répondait à ses aspirations et valeurs. Néanmoins, à la suite d’un bête accident sportif, elle a dû prendre un congé de plusieurs mois afin de récupérer, très progressivement, ses capacités psychologiques et physiques. Cependant, ses capacités psychologiques n’ont pu retrouver leur pleine fonctionnalité, une première pour cette personne qui se valorisait grandement par la performance. Ainsi, il s’est ensuivi des moments de souffrance, de doute et une grande peur quant au fait de ne plus être « comme avant ». En conséquence, celle-ci s’est retrouvée en dualité entre prendre sa retraite pour s’émanciper dans d’autres projets de vie, mais au prix de quitter ses fonctions sans être « au sommet de sa forme », rêve chéri depuis plusieurs années.  

Qu’est-ce qui a aidé cette personne à se remettre en mouvement? 

En lui ayant offert un espace d’ouverture pour revisiter ses bons et mauvais souvenirs, et en ayant surtout soutenu son expérience affective en lui validant les bons moments de sa carrière, la personne a versé des larmes de joie suivi de moments de silence en fin d’entrevue. Puis, la semaine suivante, elle m’a annoncé que la fin de la dernière entrevue lui avait permis de se mettre en action pour envisager sa transition professionnelle. En résumé, lors de cet écho de nature existentielle, la personne arrive à faire le deuil de sa carrière longtemps aimée, ce qui l’amène dans un ailleurs où il y a de l’ouverture, un changement de regard, une autre perspective possible. L’impasse s’est atténuée, transformée ou a tout simplement disparue. Dès lors, il y a une sensation d’être plus vivante et de vivre pleinement cette expérience transitionnelle (Hamann, 1996; Schneider, 2011). 

Métaphore 

Quand on observe un arbre, surtout un séquoia géant, nous pouvons être fascinés par sa grosseur et sa grandeur majestueuse. Toutefois, ce regard ne serait être complet si l’on ne porte pas une attention particulière à ses fondations, soit ses racines qui lui ont permis de tenir le coup à travers les années. Ici, de manière symbolique, les racines représentent les souvenirs; ils sont là depuis le début et ils gardent leur utilité, dans le présent, ici et maintenant. 

 

* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre. 

 

Bibliographie 

Delisle, G. (2004). Les pathologies de la personnalité : perspectives développementales. Les Éditions du CIG. 

Greenberg, L. (2020). La thérapie centrée sur les émotions. De Boeck Supérieur. 

Hamann, A. (1996). Au-delà des psychothérapies : L’abandon corporel. Montréal, Stanké. 

Kübler-Ross, E. et Kessler, D. (2005). On grief and grieving: Finding the meaning of grief through the five stages of loss. Simon and Schuster. 

Panksepp, J. (2004). Affective neuroscience: The foundations of human and animal emotions. Oxford University Press. 

Sartre, J. P. (1946). L’existentialisme est un humanisme. Paris, Éditions Nagel. 

Schneider, K. J. (2011). Existential-integrative psychotherapy: Guideposts to the core of practice. Routledge. 

Schore, A. N. (2008). La régulation affective et la réparation du Soi. Les Éditions du CIG. 

Yalom, I. D. (2017). Thérapie existentielle. Librairie Générale Française. 

David est conseiller d’orientation et psychothérapeute en pratique privée à Québec ainsi qu’en formation à la psychothérapie du lien (PGRO) au Centre d’Intégration Gestaltiste (CIG). Il est récipiendaire du Prix Wilfrid-Éthier et membre de l’OCCOQ, de l’Association des conseillères.ers d’orientation du privé (A.c.o.P.), de RADAR.psy et du Groupe d’étude sur l’intersubjectivité (GEI).
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