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Ce quatrième article d’une série de cinq présente des contenus qui proviennent d’un ouvrage collectif, L’accompagnement visant l’intégration des personnes réfugiées faiblement scolarisées. Rédigé par un comité composé de trois professeures (Bengaly M., Goyer L., Dionne P.) et deux c.o. candidates au doctorat (Morissette J., Gourde A.), le projet à l’origine de cet ouvrage a été financé par le CERIC (ci-après nommé «le guide»).
Intervenir auprès des personnes réfugiées faiblement scolarisées demande de réfléchir à ses propres compétences en relation d’aide pour les développer en contexte d’intervention interculturelle. Dans cet article, nous aborderons d’abord la posture interculturelle selon Sabatier et Berry (1994) pour ensuite vous présenter la démarche de Cohen-Émérique (2013-2015) qui aide à la pratique réflexive interculturelle pour finalement vous proposer le modèle d’Arthur (2021) de l’orientation axée sur la culture.
Concernant la posture interculturelle, elle se définit à partir des quatre stratégies d’acculturation de Sabatier et Berry (1994) : l’intégration, l’assimilation, la séparation-ségrégation et la marginalisation-exclusion. Ces stratégies peuvent être des indicateurs des intentions de ses interventions interculturelles dans l’accompagnement d’une personne qui est en contact avec une autre culture que la sienne. Elles permettent au conseiller ou à la conseillère de saisir l’angle de son évaluation, de la conception de ses interventions et de ses accompagnements. Ainsi, selon les contextes, la tendance peut être une stratégie d’intégration ou d’assimilation. Dans le cadre de notre recherche, nous privilégions l’intégration, puisque la personne réfugiée reste en contact avec sa culture tout en cherchant à s’intégrer à la culture d’accueil. Intervenir dans cette perspective demande d’avoir une conscience de sa propre culture et de celle de l’autre pour faciliter la reconnaissance de possibles croyances rationnelles ou irrationnelles (Arthur, 2021; Cohen-Émérique, 2013-2015).
De toute évidence, le conseiller ou la conseillère apporte un support facilitant la transition et l’intégration des personnes réfugiées (Abkherz et McMahon, 2017).
Pour ce faire, on doit installer un lien de confiance qui se développe d’abord en étant disposé à comprendre l’autre par une attitude d’écoute active et attentive. Cette attitude commence par une prédisposition interne qui se manifeste par des comportements communiquant ce que l’on entend de la vision du monde de l’autre (valeurs, croyances, comportements, etc.) tout en étant en mesure de se différencier par rapport à son propre monde. Plus la personne conseillère pose un regard réflexif sur ses interventions, plus elle sera en mesure de mettre en confiance les personnes qui la consultent (Goyer, 2005). Elle pourrait ainsi mieux maitriser les risques d’assimilation et ceux liés à ses biais inconscients qui consistent à vouloir (consciemment ou inconsciemment) que la personne réfugiée s’adapte en adoptant des comportements de la culture d’accueil, sans égard à ceux de sa culture d’origine et sans comprendre ce qui motive ce changement.
Pour faciliter la pensée réflexive des personnes conseillères, Cohen-Émérique (1993) explique que même si les gens se disent ouverts à la différence, cela change lorsque cette différence est confrontée à notre propre identité. Ainsi le respect des différences et la tolérance sont des attitudes à apprendre et à développer dans l’intervention interculturelle. La personne conseillère étant elle-même porteuse de valeurs, de croyances, de préjugés conscients ou inconscients, l’attitude interculturelle suppose qu’elle reconnaisse et différencie sa propre identité de celle de l’autre. Pour Cohen-Émérique (1993, 2007), la complexité de l’interaction interculturelle nécessite le développement de compétences spécifiques pour faire face aux défis de la « diversité culturelle ». Lorsque le conseiller ou la conseillère se retrouve dans une impasse relationnelle, causée par des malentendus, des tensions, des divergences d’opinons, il est possible de structurer sa réflexion en se référant à la démarche en trois étapes suivante.
- « Prendre distance par rapport à soi-même » qui vise à mieux cerner son propre cadre culturel et à prendre conscience de ses sensibilités.
- « Entendre et accéder au monde de l’autre » signifie de s’imprégner du monde de l’autre (ses valeurs, ses croyances, ses comportements, ses coutumes) et du sens qu’il donne aux différents aspects de sa culture tout en portant attention au risque d’interprétation à partir de sa propre vision du monde.
- « Négocier le sens afin de favoriser un rapprochement réciproque pour aboutir à un compromis acceptable » où l’on met en commun les ressemblances, les différences de chaque culture pour en arriver à trouver un sens commun dans la représentation de la réalité (Cohen-Émérique, 2007).
Plus spécifiquement en orientation, Arthur et Collins (2014, 2017) ont développé un modèle de l’orientation axé sur la culture où elles mettent en évidence l’importance des contextes et des identités culturelles dans l’accompagnement des personnes. Arthur (2021) invite les personnes conseillères à réfléchir à quatre domaines au sein desquels elles peuvent développer leurs compétences interculturelles qui deviennent essentielles pour aider au processus d’intégration. Voici une brève description de ces domaines.
- Domaine 1 : « Prendre conscience de ses propres identités culturelles », spécifiquement sur le plan de ses valeurs, de ses comportements qui peuvent influer sur ses interactions avec la personne réfugiée.
- Domaine 2 : « Prendre conscience des identités culturelles des autres » pour aider la personne a nommé ses références culturelles et ses perceptions. Ainsi, cette compréhension aide à définir des hypothèses de travail qui soient adaptées.
- Domaine 3 : « Comprendre les influences culturelles sur l’alliance de travail » dont l’écoute attentive et l’empathie culturelle favorisent le développement du lien de confiance. Ainsi, en se plaçant dans une disposition interne à recevoir l’autre, dans ses croyances, ses valeurs, et à le comprendre dans les représentations qu’il se fait de sa propre culture, cela permet de l’aider à s’ouvrir à sa culture d’accueil et à mieux la concevoir dans sa vision du monde.
- Domaine 4 : « Mettre en œuvre des interventions de carrière culturellement sensibles et socialement justes » pour aider les personnes réfugiées dans leur intégration. Il s’avère important que les conseillers et conseillères puissent comprendre comment les personnes réfugiées sont affectées par les structures organisationnelles et les systèmes sociaux et qu’elles puissent, par la suite, intervenir, par des actions d’advocacie (Supeno et , 2020) afin d’aider à diminuer et même éliminer des obstacles structurels à leur ISP ou à leur orientation.
Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Pour avoir plus de détails sur chacune de ses approches de l’intervention interculturelle, nous vous invitons à lire le guide complet de Morissette et al. (2024), disponible sur le site du CERIC.
Abkhezr, P. et McMahon, M. (2017). Narrative career counselling for people with refugee backgrounds. International journal for advancement of counselling, 39, 99-11. Doi: 10.1007/s10447-017-9285-z.
Arthur, N. (2021). « Orientation professionnelle axée sur la culture : lier la culture et la justice sociale aux pratiques relatives à la carrière ». Dans Arthur, A., Borgen, R. et McMahon, M. (2021). Théories et modèles orientés sur la carrière : des idées pour la pratique (p. 25-38). CERIC.
Arthur, N. et Collins, S. (2017). Culture-infused counsellor supervision. Dans N. Pelling, A. Moir-Bussy, & P. Armstrong (dirs.), The practice of clinical supervision (2e éd., p. 267-295). Australian Academic Press.
Arthur, N. et Collins, S. (2014). Counsellors, Counselling, and Social Justice: The Professional is Political. Canadian Journal of Counselling and Psychotherapy, 48(3), 171-177.
Cohen-Émerique, M. (2015). 6. « Les ethnocentrismes et leurs origines : enculturation, socialisation et professionnalisation ». Dans M. Cohen-Émerique (dir.), Pour une approche interculturelle en travail social : Théories et pratiques (p. 103-122). Presses de l’EHESP.
Cohen-Émerique, M. (2013). Étude des pratiques des travailleurs sociaux en situations interculturelles : Une alternance entre recherches théoriques et pratiques de formation. Quels modèles de recherche scientifique en Travail Social (p. 233- 260), Les Presses de l’EHESP.
Cohen Émerique, M. (2007). L’approche interculturelle dans le travail auprès des migrants. Formazione interculturale: teoria e pratica. Translated from Italian. Unicopli. Consulté le 1er février 2021 sur http://www.cohen-emerique.fr/medias/files/cohen-emerique-2007-chapitre-l-approche-interculturelle-aipres-migrants.pdf
Cohen-Émérique, M. (1993). « L’approche interculturelle dans le processus d’aide ». Santé mentale au Québec», 18(1), 71-91.
Goyer, L. (2005). « Intervenir en situation interculturelle : exigences multipliées en orientation ». En pratique, 3(juin), 12-14.
Morissette, J., Gourde, A., Goyer, L., Dionne, P. et Bengaly, M. (2024). L’accompagnement visant l’intégration des personnes réfugiées faiblement scolarisées : une perspective interculturelle en orientation. CERIC. https://ceric.ca/fr/publications/laccompagnement-visant-lintegration-des-personnes-refugiees-faiblement-scolarisees-une-perspective-interculturelle-en-orientation/
Sabatier, C. et Berry, J. (1994). « Immigration et acculturation ». Dans R. Y. Bourhis et J.-Ph. Leyens (dir.), Stéréotypes, discrimination et relation intergroupes (p. 261‐291). Mardaga.
Supeno, E., Dionne, P., Viviers, S. et Rivard, L. (2020). « L’advocacie sociale et professionnelle dans les professions en santé mentale et relations humaines : un tour d’horizon » (1re partie). L’Orientation, 10(1), 28-34.