La gestion des compétences est majoritairement considérée sous l’angle du développement de celles-ci. Cet aspect est certes essentiel, mais leur gestion en termes de sauvegarde des savoirs (connaissances), savoir-faire et savoir-être détenus a aussi une grande importance. Pourquoi?
Considérons cette mise en situation. Les collègues de Marie se fient sur elle de façon spontanée lorsqu’ils ont des questions, que ce soit au niveau informatique ou sur les procédures à suivre. Lors de vacances prolongées de Marie, une problématique refait surface. Sa supérieure constate alors que personne ne sait où cette dernière prend ses informations, ni même à qui elle les aurait partagées. Cette information est seulement dans ‘’la tête’’ de Marie. Cela peut naturellement créer plusieurs situations difficiles sur le coup ou même dans l’avenir. Les fameux ‘’Avoir su…’’.
Voici d’autres exemples de situations :
- Perdre un client avec lequel les relations sont délicates parce qu’une personne aurait manqué de diplomatie (savoir-faire et savoir-être);
- Mettre en place des façons de faire qui avaient auparavant échoué (savoir et savoir-faire);
- Négliger des aspects importants dans l’analyse d’une situation (savoir);
- Renouveler une entente avec un fournisseur malgré une mauvaise expérience antérieure (savoir et savoir-faire).
Voyons maintenant la valeur de l’expérience sous différents points de vue.
1. La valeur de l’expérience pour l’organisation
La crise de santé publique actuelle nous a fait réaliser à quel point la sécurité de notre quotidien est fragile. Ceci s’ajoute à la vulnérabilité de la vie que l’on a tendance à oublier. Trop souvent, en négligeant de tenir compte de la possibilité de perdre subitement un employé, que ce soit par maladie, décès ou pour prendre soin d’un proche, une organisation s’expose à un grand niveau de risque en termes de pertes de savoirs (savoir/connaissances, savoir-faire et savoir-être). La sauvegarde des savoirs peut donc être considérée au même titre que la sauvegarde des documents importants, que l’historique de situations, etc. Ainsi, la gestion des compétences doit inclure une perspective de gestion documentaire. Un proverbe africain dit : “Un vieillard qui meurt, c’est comme une bibliothèque qui brûle”. Il en est de même pour les employés expérimentés qui quittent pour des raisons personnelles, pour d’autres expériences ou pour la retraite. Si un employé a servi l’organisation avec brio pendant des années, il est certain qu’un grand bagage se perd lors de son départ si un transfert ou un partage de savoirs n’a pas été fait au préalable. Or, c’est un grand risque pour l’organisation de ne pas évaluer la valeur de sa “bibliothèque”. Elle s’expose alors à une diminution de son rendement et de sa compétitivité. À l’opposé, en étant prévoyante, les avantages s’observeront notamment dans la constance de la qualité des services et dans la diminution de perte de temps dans la recherche d’information.
2. La valeur de l’expérience pour l’individu
Pour l’individu, le partage de ses savoirs peut être une source de reconnaissance de son apport à l’organisation. Il peut être valorisant de partager son expérience, prenant ainsi conscience de l’étendue du bagage accumulé au fil des années. Ceci peut même être intégré dans un projet de fin de carrière où l’individu est impliqué dans l’accueil et l’intégration de nouveaux employés ou dans le développement de formations à l’interne, par exemple. Il importe de cibler ses savoirs qui sont importants à conserver ou qui sont pertinents à partager au sein de son organisation. Ceci peut-être une forme de legs professionnel, mais surtout une manière de documenter sa contribution à l’organisation et de la rendre durable.
3. La valeur de l’expérience pour le conseiller d’orientation
Il est fréquent que les gens aient de la difficulté à identifier leurs savoirs. Ils les considèrent comme si naturels qu’ils n’en voient pas la valeur. Le rôle du conseiller d’orientation (c.o.) est alors de leur permettre d’identifier ce qu’ils utilisent comme savoirs dans leur quotidien, de les aider à en voir l’importance, ou encore à imaginer l’impact pour leurs collègues de ne pas avoir accès à certains de ces savoirs. Le bilan de compétences à mi-parcours ou en fin de carrière permet alors à la personne de faire un bilan de sa carrière, de son cheminement et de ses réalisations professionnelles. Ce bilan permet d’avoir un sentiment d’accomplissement et de porter un regard différent sur la suite souhaitée.
Dans un cas de départ subit involontaire, pour cause de maladie personnelle ou d’un proche par exemple, l’individu ayant identifié ses savoirs et ayant vu à les partager auparavant vivra moins de culpabilité et de stress alors que plusieurs dans la situation contraire ont l’impression de “laisser tomber” leur organisation.
Parmi de bonnes façons d’en assurer leur transmission, nous pouvons considérer :
- le mentorat;
- les jumelages ou compagnonnages;
- divers types de collaboration sur des dossiers ou projets;
- les formations et dîners-conférences internes;
- l’élaboration de procédures;
- la documentation des dossiers.
En bref, si l’acquisition de nouveaux savoirs est essentielle pour assurer sa compétitivité ainsi que son développement personnel, professionnel et organisationnel, la sauvegarde des savoirs acquis est un enjeu qui mérite de l’attention.
À la mémoire de Nancy-Audrey Whittom, 1976-2020
Mes remerciements à Carole Dion, Nadine Drolet et Claudette Levasseur pour leurs précieux commentaires.