L’humour en orientation : un art de haut vol ou un vrai bas art?
Ressources et formations

L’humour en orientation : un art de haut vol ou un vrai bas art?

Combien sommes-nous à toucher des sommets d’anxiété de plus en plus souvent et de plus en plus longtemps?
Doit-on vivre cloîtré pour maintenir une vie de « bonne sans thé »? Comme Beaulieu, en tant que psychologue, j’ai commencé par mettre en pratique la théorie de l’espoir : écouter en espérant que ça passe. Pourtant, les moyens de réduction de l’anxiété existent par centaines. Et la réduction de l’anxiété contribue à l’atteinte de résultats positifs prévisibles en counseling de carrière. Recadrer physiquement, émotionnellement et mentalement une perception anxiogène fait partie des stratégies de réduction de l’anxiété. Le rire est un processus corporel. Les techniques d’impact passent par l’intellect, l’émotion et le corps. Quant à l’humour, c’est une forme de recadrage cognitif qui produit du changement.

Imaginons une intervention de recadrage humoristique autour de trois émotions différentes et décodons ensemble par exemple la version « Peur » du recadrage humoristique  suivant :

Version « Peur » :
  • « J’ai peur de me tromper et de faire un mauvais choix de carrière. (pas de quoi rire ni sourire à priori et plutôt réaliste)
  • Peut-être que votre peur est terrifiée? (humour décalé : transformation de l’objet en sujet et exagération incongrue de l’émotion)
  • Quoi??!
  • Ça se pourrait-tu que votre peur ait peur de vous? (répétition de l’objet devenu sujet et transformation de la victime de la peur en déclencheur de la peur)
  • Hein! Ben voyons donc, je suis tout mêlé! Qu’est-ce tu veux dire?
  • Ça se pourrait-tu de faire un choix de carrière sans aucune peur? (recadrage réaliste)
  • Ça y est, je vois l’affaire. J’ai ben compris. J’va y dire de quoi.
  • Tu veux la terroriser? (renversement de l’intention et exagération de l’émotion)
  • Je m’en va rassurer ma peur pour qu’elle embarque dans mon choix de carrière! (Ça fait juste du bien d’imaginer un tel renversement chez une cliente ou un client.)
  • Votre peur a l’air d’aimer ça, d’embarquer avec vous dans votre choix de carrière! (personnification positive de la peur et complicité incongrue entre peur et choix de carrière)
  • Ouais, finalement, elle me sera encore utile, ne serait-ce que pour savoir si je suis conscient. (Les professionnels du développement de carrière ont droit de rêver, eux aussi!) Mais quand même, j’ai une autre peur qui me taraude présentement. (suspens)
  • Vous me voyez avec mon point d’interrogation sur le front? (humour absurde)
  • J’ai peur de votre humour, et que le bon choix de carrière pour moi s’envole. (renversement métacognitif clairement irréaliste!)
  • Alors, volons ensemble à son humour… pardon… à son secours. » (Alliance possiblement inattendue, mais humour poche de papa, dont les enfants auraient honte, d’après mon ami Simon.)
Version « Tristesse » :
  • « Je suis triste de devoir quitter ma famille pour suivre ce programme de formation.
  • Voilà un programme qui va pouvoir danser «le temps go » avec vous!
  • C’est de l’humour de quel endroit, ça?
  • Votre famille va vous voir partir et votre programme préféré va vous voir arriver.
  • C’est pas faux, mon c. o.! Mais j’aime pas ton humour latino.
  • Alors, je dirais que votre tristesse est peut-être follement joyeuse!
  • Hé! faut pas exagérer! En fait… peut-être ben qu’elle m’aide à faire la transition.
  • Alors, temps go!
  • Si je t’ai bien compris, mon c. o., c’est pas si mauvais que je fasse un pas de danse avec ma tristesse pour mieux transiter avec mon plan de carrière?
  • Alors, ce serait un pas sage. »
Version « Colère » :
  • « Ma demande d’admission a été refusée, alors que je suis meilleur que mon chum, qui, lui, a été admis!
  • T’as ben l’air fin avec ta colère.
  • J’suis pas en colère!
  • Ah non? t’es pas du tout en colère? Tu caches bien que t’es juste ravi pour ton chum.
  • T’as raison, j’suis ravi en maudit, mon c. o.!
  • Dans ta demande d’admission, y avait-tu, par exemple, la mention « refus possible » ou l’option « frustration »?
  • T’es ben contrariant! T’es-tu un vrai c. o.?
  • C’est ben humiliant comme question! C’est une vraie demande ou une exigence? »

L’humour est une ressource que les professionnels de l’orientation et du développement de carrière peuvent reconnaître chez une cliente ou un client.

Les professionnels peuvent s’appuyer sur cette ressource en tant que facteur de protection et mécanisme d’adaptation positifs.

Vaillant parle de mécanisme « mature ». Toutefois, le recours systématique à l’humour peut indiquer que la situation réelle est trop difficile à aborder de front et qu’il est nécessaire de l’approcher par une sorte de distorsion récréative. Nous pouvons reconnaître par l’attitude rigide et inflexible de la cliente ou du client qu’il s’agit peut-être d’un mécanisme de protection qui empêche l’expression authentique des sentiments.

Du côté des professionnels, l’humour serait à solliciter avec prudence, parcimonie et de façon appropriée en fonction de chaque situation dans son contexte… sauf si l’intervenant se trouve face à un futur humoriste en bonne santé! L’humour représente une tournure d’esprit agréable et bénéfique pour notre santé, une manière de prendre du recul, de réduire l’anxiété, de redonner de l’espoir, d’augmenter la bonne humeur et l’optimisme. C’est une forme de recadrage cognitif qui nous fait voir les choses d’une façon amusante, surprenante, inédite et parfois déroutante à travers un point de vue différent, voire insolite. L’humour amuse, apporte un autre angle de vue, ouvre le sens et même accélère le processus de résilience. Un bon usage de l’humour permet de percevoir autrement une situation et de penser autrement son approche, voire sa résolution. Mais attention, l’humour utilisé de façon systématique ou inappropriée risque d’accroître l’incompréhension. À partir de ce regard distancié et joyeux de nouvelles perspectives peuvent apparaître à la conscience.


Références
Psychologue de l’éducation nationale spécialisé en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, Laurent exerce en France dans un centre d’information et d’orientation. Depuis 20 ans, il accompagne tout type de public notamment les scolaires. Il a passé une année en qualité d’étudiant au Département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke pour peaufiner ses compétences opérationnelles. Il mesure chaque jour la portée transculturelle d’un counseling au service de l’orientation et du développement de carrière. Il partage son expérience de l’accompagnement via l’écriture et la formation.
×
Psychologue de l’éducation nationale spécialisé en éducation, développement et conseil en orientation scolaire et professionnelle, Laurent exerce en France dans un centre d’information et d’orientation. Depuis 20 ans, il accompagne tout type de public notamment les scolaires. Il a passé une année en qualité d’étudiant au Département d’orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke pour peaufiner ses compétences opérationnelles. Il mesure chaque jour la portée transculturelle d’un counseling au service de l’orientation et du développement de carrière. Il partage son expérience de l’accompagnement via l’écriture et la formation.
Latest Posts
  • Pas toujours facile d’être parent d’élève. Pas facile non plus d’être fils ou fille d’un parent d’élève. Et qu’en est-il du choix d’un environnement scolaire et de l’affectation scolaire?
  • Dans un counseling de carrière, aider un client à raisonner en termes de besoins ici et maintenant et de projections dans le futur suppose que le conseiller veuille et puisse adopter une attitude à la fois flexible et de directionnalité. La flexibilité consiste à éclairer et respecter son processus psychologique, son rythme d'apprentissage et ses valeurs.
  • Questions et cultures
  • Comment reconnaître un psychologue de la DIET pas trop mal chaussé?