SE LAISSER PARLER DE DISCRIMINATION
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Se laisser parler de discrimination

Nos clients sont parfois embarrassés d’aborder le sujet du racisme et de la discrimination directement. Pour ne pas nous heurter, de peur d’être confrontés, de voir nier leur expérience (« au Québec nous ne sommes pas comme cela ») ou simplement par lassitude. D’autres, exaspérés par trop de déceptions (déqualification, micro-agressions, discours xénophobes de certains médias, etc.), vont nous lancer leurs accusations à la figure.  Dans mon expérience professionnelle, cette situation est plutôt rare, maischaque fois, bouleversante. Entendre la souffrance derrière la colère, bien qu’utile, ne suffit pas toujours à retisser le lien. 

La parole aux principaux concernés

Dernièrement, je suis tombée sur un petit recueil (je dis petit parce que plus personne n’achète de gros bouquins!) regroupant onze brefs (vraiment brefs, vous avez ma parole!)  essais contre le racisme, pour une lutte systémique. * Tous rédigés par des artistes, intervenants sociaux, militants qui font parfois l’actualité, allument nos consciences et animent nos collectivités.  Ces textes sont tous plus vivants les uns que les autres, toujours ancrés dans l’expérience personnelle et instructifs. 

Un dialogue père-fils 

Un texte, en particulier, m’a beaucoup touchée. Il s’agit du dialogue entre un père, Cheikh Tidiane Ndiaye, professeur retraité de science politique au Cégep Garneau, originaire du Sénégal, et son fils Webster (Aly Ndiaye) vétéran de la scène hip-hop québécoise, sur le thème « Je me souviens ».  

Le père a immigré au Québec au début des années 70, dans l’effervescence de la fin de la révolution tranquille (j’entre à l’UQAM, en science politique, en 74). Pour beaucoup d’Africains arrivés au Québec à cette époque, l’élan nationaliste trouve ici l’écho de leurs désirs d’émancipation face aux puissances coloniales. L’arrivée massive des boat-people vietnamiens, des réfugiés chiliens qui fuient la dictature de Pinochet et les Haïtiens fuyant celle des Duvalier crée un vaste mouvement de mobilisation collective autour des droits socio-économiques des travailleurs et des libertés démocratiques.   Et puis, il y a eu la montée du néolibéralisme, avec son discours individualiste; les résultats de deux référendums … et quarante ans plus tard, le professeur Ndiaye poursuit le dialogue avec son fils, né à Québec et qui a grandi dans un climat plus morose.  

C’est pire ailleurs!

Le jeune Ndiaye a construit son identité en tissant des liens entre la culture de son père sénégalais et celle de sa mère québécoise. Quand on lui demande où il est né, il répond tout naturellement : Limoilou, même si son interlocuteur se contente rarement de sa réponse « Sérieusement! Tu viens d’où? » Historien de formation, il regarde plus loin en arrière sur les traces des esclaves noirs et amérindiens, en Nouvelle-France et au Bas-Canada, et regrette de n’avoir jamais rencontré ces personnages dans ses manuels scolaires.  L’artiste rappeur trouve son inspiration ** dans le métissage qui parcourt notre société, sans interruption, depuis le premier voyage de Samuel de Champlain jusqu’à aujourd’hui.  

Dans le débat public, comme dans la vie quotidienne, trop souvent son expérience n’est pas prise en compte : « il n’y a pas de racisme ici », « c’est pire ailleurs » ou encore, « tu ne comprends pas, ce n’est pas vraiment ça ».  Il s’insurge contre cette façon de ne pas accorder la même valeur à ce que vivent et pensent les personnes des groupes racisés, comme si leur expérience était biaisée ou mal accordée. Typique du comportement ethnocentrique qui consiste à ignorer la différence, à l’intégrer dans son propre cadre habituel d’interprétation, cette attitude a pour effet de nous empêcher de voir, d’entendre, d’accéder à l’expérience de l’Autre, surtout quand cette expérience nous renvoie une image négative de soi. (Legault et Rachédi, 2008).  Pour les professionnels de la carrière, nos valeurs humanistes communes peuvent nous rendre, paradoxalement, moins sensibles au vécu des personnes racisées.  Évidemment, la connaissance de ces mécanismes fait en sorte que nous pouvons (devons) surmonter ces obstacles.  

Des raisons d’être optimistes?

Le père et le fils reviennent sur les événements qui ont frappé leur ville en janvier 2017. Webster regarde les photos des manifestations islamophobes qui ont suivi l’attentat à la mosquée de Québec et tente de se projeter quarante ans plus tard.   

Une meilleure connaissance de l’histoire vraiment « universelle », l’éducation et l’engagement citoyen auront-ils permis au Québec de sortir de l’ambivalence que l’écrivain et essayiste Pierre Nepveu (2009) nomme comme : nos deux mythes antagonistes « le Québec comme société essentiellement accueillante et conviviale d’une part et la société québécoise comme fondamentalement raciste et xénophobe, d’autre part. »?   

J’ai à peu près l’âge du père de Websteret je me reconnais dans ses souvenirs. Cet intérêt du fils pour notre histoire me parle aussi beaucoup.  Ces voyages dans le temps  me rappellent l’expression de mon compatriote de Rimouski, Boucar Diouf, sur le « Québec métissé serré »  qui  m’inspire pour le futur et me garde optimiste.  

À suivre… 

 

*Zaazaa, Amel et Nadeau, Christian (sous la direction de) (2019), 11 brefs essais contre le racisme pour une lutte systémique. Les éditions SOMME TOUTE. 

ISBN 978-2-924606-89-6 

 

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https://www.youtube.com/watch?v=OdL14IfV3U0 

Monique Saint-Amand est titulaire d’un baccalauréat en Science politique et d’une maîtrise en Administration publique. Elle a complété la maîtrise en Éducation qui donne accès à l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec en 2001. Avec sa collègue Mme Mirela Mocka, elle est titulaire du prix de l’Orientation de l’OCCOQ en 2016 pour le développement d’un programme de transition de carrière pour les professionnels de la santé diplômés à l’international. Elle est actuellement coordonnatrice des programmes au CREMCV et chargée de cours à l’UQAM, notamment pour le cours de Counseling en contexte pluriethnique.
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Monique Saint-Amand est titulaire d’un baccalauréat en Science politique et d’une maîtrise en Administration publique. Elle a complété la maîtrise en Éducation qui donne accès à l’Ordre des conseillers et conseillères d’orientation du Québec en 2001. Avec sa collègue Mme Mirela Mocka, elle est titulaire du prix de l’Orientation de l’OCCOQ en 2016 pour le développement d’un programme de transition de carrière pour les professionnels de la santé diplômés à l’international. Elle est actuellement coordonnatrice des programmes au CREMCV et chargée de cours à l’UQAM, notamment pour le cours de Counseling en contexte pluriethnique.
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