Un pilier de l’orientation épisodiquement ébranlé
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Un pilier de l’orientation épisodiquement ébranlé

Temps de lecture : 6 minutes

La COVID-19 constitue un nouvel épisode qui vient ébranler nos visions trop étroites –pour ne pas dire trop psychologisantes—de l’orientation scolaire et professionnelle, visions tournant le plus souvent autour du trio Intérêts-Valeurs-Aptitudes (IVA).

Parmi les épisodes qui ont précédé celui-ci, il y a eu les Vingt-piteuses 1– autant d’années ayant suivi les Trente-glorieuses– ainsi que la formalisation par Lemoine et Liège (2003) de la Méthode de recrutement par simulation (MRS).

Or dans ces trois épisodes, je fus d’une manière ou d’une autre très impliqué avec, dans l’ordre, le Groupe Éducation-Chômage et un taux de chômage structurel exceptionnellement élevé, le modèle Trèfle chanceux et la généralisation de l’Ère informationnelle/numérique et enfin, avec la pandémie de la COVID-19 et un confinement en tant que septuagénaire bien sonné. Chaque fois ledit trio IVA fut profondément mis à l’épreuve, soit par le bas soit par le haut.

Par le bas
La pandémie de la COVID-19 a mis en évidence deux immenses besoins soit celui de préposées et préposés aux bénéficiaires (PAB) et celui d’une main-d’œuvre agricole.

Alors là en lien avec les soins de longue durée, on a eu par exemple le témoignage d’une agente publicitaire qui, se sentant humainement et moralement interpellée, a complété le formulaire « Je contribue » et qui est maintenant très comblée par son travail dans un CHSLD. Il y a eu aussi le témoignage d’une avocate, initialement mue par des raisons similaires, exprimant sa satisfaction au moment où elle achevait une formation intensive pour devenir PAB. Dans ces deux exemples, ces personnes sont ravies de leur choix et parlent même de se fidéliser dans leur nouveau champ de pratique. Au départ, ces choix professionnels ne correspondaient nullement à leurs intérêts; la preuve étant que ces personnes ont choisi d’étudier et de professer dans un tout autre domaine. En revanche, ces personnes furent guidées par des valeurs (convictions) similaires et tout indique qu’elles ont les aptitudes requises pour leurs nouveaux emplois pour lesquels elles ont maintenant de l’intérêt. Le trio IVA est bien là mais pondéré différemment de fond en comble.

Alors ici en lien avec l’agriculture, on a eu par exemple le témoignage d’une actrice qui, ne pouvant plus supporter le confinement, a répondu à la campagne « Travailler à la ferme, j’y vais sur-le-champ ». L’expérience maraîchère l’a tellement comblée qu’elle a convaincu ses deux adolescents de se joindre à elle une fois les grandes vacances arrivées. Elle rejoint ainsi cet ingénieur (enfin un homme!) nouvellement diplômé 2 – malheureusement en pleine période des Vingt-piteuses – qui, ne trouvant pas de travail, se résigna à donner suite à une offre d’emploi de conseiller-vendeur en fruits et légumes. Il montra tellement d’enthousiasme et de compétence dans cette fonction à la plus grande satisfaction de ses clients et de son employeur qu’après quelques années, celui-ci souhaitant prendre une retraite bien méritée, lui offrit son commerce à prix d’ami tout en lui proposant de devenir son employé. Quelques années plus tard, cet ingénieur défroqué était devenu propriétaire d’une demi-douzaine de fruiteries et affirmait ne nullement regretter cette bifurcation à 180 degrés.

En somme, pour toutes ces personnes, le compromis s’étant avéré gagnant-gagnant ou (comme j’aime à dire) noble; leurs intérêts, valeurs et aptitudes n’avaient qu’à suivre!

Or, à première vue, tous ces exemples apparaissant comme des démarches vocationnelles ou carriérologiques vers le bas, c’est-à-dire impliquant des choix en deçà de leur formation et de leur diplôme et, à ces exemples, on pourrait en ajouter bien d’autres issus de la MRS comme ces deux finissantes en comptabilité qui sont devenues d’excellentes soudeuses pour un chantier naval à un point tel qu’elles ont par la suite suivi la formation pour devenir ingénieures dans cette même entreprise.

Par le haut

Si les trois épisodes en question font appel aux compromis comme la mise entre parenthèses voire au rancard d’une formation ou d’un diplôme, ces mêmes épisodes peuvent devenir des tremplins vers le haut comme vers des emplois plus stables et plus payants ou encore ouvrant sur davantage de mobilités ascendantes.

À ce registre, d’autres cas issus de la MRS sont particulièrement percutants. Lemoine et Liège (2003) donnent entre autres comme exemple cette couturière, recrutée par cette méthode, qui est maintenant une excellente assembleuse de pièces pour une industrie aéronautique. Et que dire de cet ouvrier agricole qui est devenu optoélectronicien (concepteur de réseaux de fibre optique) ou encore de cette formatrice en management sans emploi devenue codeur-développeur ou codeuse-développeuse (programmation WEB au-delà des aspects technologiques), un emploi en forte demande.

Dans cette même veine et en lien avec la formation accélérée de PAB, je pourrais reprendre ici le récit émouvant de cet obèse qui, à la grande surprise de tous (enseignants, collègues et bénéficiaires), achève avec succès cette formation en trouvant chaque fois une solution au problème généré par son surpoids comme lorsqu’il dut se mettre à genoux pour pratiquer la réanimation sur un mannequin étendu au sol; sa formatrice étant convaincue que ce serait son « waterloo ». Il contesta son premier échec et se procura d’épaisses genouillères et ainsi put reprendre l’épreuve avec succès! Et que dire de ce paraplégique qui se bat pour devenir infirmier en bonne et due forme et qu’en se battant ainsi il met de l’avant des façons de rendre plus ergonomique certains équipements d’usage régulier en sciences infirmières ?3

Dans cette seconde série d’exemples, il y a professionnellement un mouvement ascendant évident s’appuyant de façon décroissante sur les « je fais », « je veux », « je suis » ainsi que sur le « je sais » acquis en cours d’emploi. C’est en somme l’optimalisation du trio IVA! Ce mouvement ascendant se répercute dans les conditions de travail améliorées entre autres quant au statut, aux relations interpersonnelles et à la rémunération (Cf les retombées du travail).

Par l’à coté

Quel que soit l’épisode, comme le démontrent encore les concepteurs de la MRS, il y a également de multiples mouvements horizontaux et périphériques comme ce mécanicien d’automobile devenu électricien mais à la différence que cette fois c’est dans la fabrication d’avions commerciales ou comme cet ajusteur de matrices qui devint tapissier et ailleurs, vice versa, un tapissier qui devint ajusteur de matrices!

Le trio IVA fortement ébranlé

Miser sur les intérêts s’est avéré et s’avère toujours une stratégie très gagnante avec les jeunes car les intérêts sont de bons motivateurs intrinsèques. En revanche les intérêts d’un individu sont totalement tributaires de son environnement. Contrairement à la croyance généralisée à l’effet qu’un intérêt est très personnel voire idiosyncratique, un individu ne peut avoir ni développer un intérêt sans qu’il y ait au moins au départ – et idéalement tout au long de son développement– un stimulus externe : une personne (parent, enseignante, enseignant, amie, ami, idole, etc.), une visite, un film, un jeu, une lecture, et quoi encore. D’où l’importance d’encourager l’exploration, pas juste au stade exploratoire tel que le proposait Super en 1972, mais tout au long de la vie!

  1. En revanche, les intérêts peuvent être rapidement déclassés par une aptitude (j’aime le piano mais je découvre que je ne suis nullement doué pour en jouer) et surtout comme dans plusieurs des exemples mentionnés plus haut, par une valeur.
  2. Enfin, comme l’a démontré Riverin-Simard (1996) en s’appuyant sur le RIASEC – et contredisant ainsi Holland son concepteur– il y a souvent avec l’avancé en âge une bascule vers ses intérêts opposés. Les cas ci-haut mentionnés sont de beaux exemples de ces bousculades dans et autour du système d’intérêts.
  3. C’est en constatant entre autres toutes ces mouvances que Lemoine et Liège (2003) ont opté pour un retour aux sources en misant sur quatre je : « je suis », « je sais », « je veux » et « je fais » 4.
  4. Pour toutes ces raisons, si l’orientation scolaire et professionnelle demeure toujours un champ de compétences bien spécifique et plus pertinent que jamais, elle doit cependant s’enchâsser dans une problématique plus grande soit celle du développement de la carrière voire de la gestion développementale de la vie-carrière.
Impacts sur les formations initiales

Il fut un temps où les diverses instances (gouvernements, ordres, institutions de formation, employeurs, syndicats, etc.) faisaient la promotion d’une formation professionnelle universelle ou générique. Ainsi, foi de syndicat, la détentrice ou le détenteur d’un brevet A d’enseignement pouvait enseigner toutes les matières y compris la musique même si cette personne n’avait aucune connaissance en ce domaine.

De même une conseillère ou un conseiller avec une maîtrise en orientation pouvait en principe travailler avec toutes les clientèles quel que soit leur âge ou leur problématique et ce, autant individuellement que groupalement. Quelle utopie et surtout quelle catastrophe!

Très vite les employeurs consciencieux ou échaudés, hommes ou femmes, s’assurèrent qu’un stage et/ou un essai et/ou des lettres de référence et/ou quelques mises en situation lors d’un entretien d’embauche leur donneraient suffisamment d’indices pour se convaincre qu’ils étaient bien devant la candidate ou le candidat souhaité quoi qu’aucune de ces mesures étaient sans failles. Le cumul était donc de mise.

Conséquemment, sont plus tard apparues dans les formations initiales des options et des concentrations (majeures) à la fois attestant et délimitant le profil spécifique d’une candidate ou du candidat. Ainsi, il devint quelque peu hasardeux pour une commission scolaire d’embaucher un ou une CO qui n’avait pas suivi de cours sur le système scolaire ni fait au moins un stage dans ce milieu de pratique.

Plus tard encore sont apparues des certifications qui attestaient d’un supplément de cours théoriques et pratiques et qui généralement donnaient droit à un titre réservé comme celui de psychothérapeute pour un ou une CO.

Le programme accéléré de formation de PAB va dans ce sens car il est clairement spécifié dans le prospectus de cette « attestation » que cette formation n’habilite que pour exercer des soins de longue durée que dans un contexte de CHSLD. Avec des restrictions de ce type (concentration, majeure, attestation, etc.), il est à espérer que la personne obèse ou paraplégique mentionnée plus haut puisse obtenir son diplôme en espérant aussi qu’elle saura s’orienter – seule ou avec l’aide d’une conseillère ou d’un conseiller– vers des clientèles et des lieux de pratique où son handicap ne défavorisera pas ses clients ni les standards de la profession.

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.