Un projet de recherche réalisé par ExpériSens, le Centre collégial de technologie et de transfert (CCTT) de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ), durant l’année 2019-2020, a permis d’explorer la possibilité de faire appel à des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires comme solution pour faire face au problème de pénurie de main-d’œuvre au Québec. Ce projet de recherche a été complètement réalisé avant l’arrivée de la pandémie de la COVID-19. Ainsi, ce projet a été mené avant la fermeture des institutions et la politique de confinement imposée par le gouvernement. Non seulement les résultats demeurent valables malgré la situation actuelle, mais aussi deviennent-ils très pertinents et utiles pour la suite des recherches sur le sujet de travailleurs temporaires étrangers au Québec, compte tenu du fait que les défis de recrutement international pour les entreprises touristiques seront encore plus grands dans l’avenir.
Il s’agit d’une première documentation de leur processus d’intégration socioprofessionnelle, incluant l’émergence du sentiment d’engagement et de satisfaction au travail, analysé sous l’angle de la théorie de l’autodétermination, dans un contexte social et organisationnel aussi particulier que celui qui est présenté actuellement (c.-à.-d., en complexe hôtelier en région, au Québec, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre).
De prime abord, les constats semblent favorables, mais soulèvent par ailleurs des enjeux importants dans le processus d’intégration à divers niveaux (gouvernemental, organisationnel, individuel) à prendre en compte. D’une part, plusieurs facteurs ont été reconnus comme contribuant positivement au processus d’intégration socioprofessionnelle en contexte d’immigration. Par exemple, la désignation d’un mentor, soit une personne-ressource pour les travailleurs dans le milieu, semble un facteur déterminant, qui facilite le processus, permettant à la fois de concilier les besoins des travailleurs et la réalité du milieu organisationnel. En effet, le rôle du mentor dans le secteur de l’hôtellerie s’est révélé un élément-clé pour faciliter l’apprentissage des tâches, la compréhension des messages et les rapports interpersonnels des TETs dans le cadre de ce projet.
D’autre part, certains facteurs ont été reconnus comme pouvant rendre plus difficile le processus d’intégration. Ceux-ci incluent, par exemple, les délais associés à l’obtention des visas au niveau gouvernemental et l’instabilité associée aux taux de roulement du personnel et à la nature des emplois saisonniers au niveau organisationnel. Par exemple, en ce qui concerne le défi majeur associé au délai et à l’imprévisibilité dans les démarches pour obtenir les visas, une auberge a eu peu de contrôle dans le processus et avait par conséquent un rôle passif dans l’attente de nouvelles de la part de l’organisme spécialisé en recrutement au Mexique qui servait d’intermédiaire avec le gouvernement. Il était donc difficile pour cet établissement hôtelier de se préparer à recevoir les travailleuses (ex. : date d’arrivée, vêtements saisonniers), en plus d’être pénalisé dans ses activités courantes en raison du manque de main-d’œuvre causé par les délais. De plus, une fois les travailleuses arrivées, tous ont constaté un défi concernant l’insuffisance d’information ainsi que l’information erronée sur les conditions de travail des travailleuses (ex. : nombre d’heures, frais d’hébergement et de transport, etc.). Il y avait, à titre d’exemple, des exigences gouvernementales liées à l’obtention des visas de travail requérant un minimum d’heures à garantir, ce qui entrait en conflit avec la priorisation des employés séniors, vu la nature syndiquée des postes.
Un autre constat émergent est l’importance du sentiment d’accomplissement personnel, de développement et de reconnaissance. Ainsi, ce type d’aspirations semble très stable pendant les six mois de collecte de données, et perdure durant l’essor de la haute saison hivernale, lorsque les participantes font face à la reprise des activités pour la première fois. Cela supporte le postulat de la théorie de l’autodétermination selon lequel le désir de s’accomplir et de s’actualiser est inné et commun à tous, nonobstant la culture ou la nationalité, soutenant ainsi l’idée d’une motivation intrinsèque de l’humain de vouloir actualiser son potentiel et être reconnu dans ses efforts. Cela va de pair avec le besoin de contribuer et de faire un travail significatif, compte tenu de l’importance que les participants rapportent accorder (et que les superviseures observent) au fait de contribuer aux buts de l’organisation pour laquelle elles travaillaient. Il semble donc important de pouvoir offrir un environnement de travail dans lequel il est possible de faire face à des défis et d’avoir des ressources en quantité suffisante afin de stimuler au maximum la satisfaction des besoins psychologiques fondamentaux des TETs. Des défis et des ressources tels que des tâches variées, des possibilités d’apprentissage, une liberté décisionnelle et un rythme de travail soutenu, sans être essoufflant, sont des exemples d’éléments qui permettent d’agrémenter le vécu des travailleurs en favorisant la satisfaction de leurs besoins psychologiques. Cela les amènerait par la suite à être plus performants et en meilleure santé psychologique.
De plus, pour favoriser l’intégration de travailleurs et travailleuses étrangers temporaires, un facteur déterminant pouvant les aider à acquérir une plus grande aisance dans leur nouvel environnement semble être le fait de pouvoir combler leurs besoins relationnels. D’une part, cela peut se faire en développant des liens significatifs avec d’autres travailleurs provenant de l’étranger, afin de pouvoir partager leurs vécus et s’entraider. D’autre part, cela peut également se faire en tissant des liens d’amitié avec des gens de la communauté locale, puisque cela leur permet d’être non seulement exposés à des façons alternatives de travailler, mais aussi d’en discuter, de poser des questions et de mieux comprendre les raisons sous-jacentes à ces mœurs et modes de travail différents. La présente recherche montre par ailleurs qu’une fois les défis associés surpassés, notamment ceux liés à la langue, l’émergence d’un sentiment d’appartenance ainsi que la création de liens d’amitié entre les travailleurs étrangers et la communauté locale contribuent véritablement positivement à leur expérience au Québec. La barrière linguistique liée à l’apprentissage de la langue française semble toutefois limiter le développement et l’intégration socioprofessionnelle de certaines TETs dans ce contexte précis, les conflits d’horaire ainsi que l’isolement en région rendant plus compliqué l’accès à des cours de francisation. Une recommandation est donc émise pour mettre en place un moyen alternatif pour faciliter le transport au centre local de la région ou pour avoir des cours à la résidence. Il serait par conséquent important que la pratique du jumelage avec un mentor soit accompagnée par des cours de francisation adaptés au vocabulaire de l’entreprise pour éviter que les TETs dépendent de leur mentor pour communiquer ou pour se renseigner.
En ce sens, le secteur touristique nécessiterait la création et l’utilisation d’outils qui faciliteraient l’inclusion des TETs dans ce secteur spécifique et offriraient des pistes de solution pour contrer les risques de précarité et de choc culturel des TETs. Les résultats de cette recherche permettent non seulement d’offrir des pistes de réflexion pour réviser et améliorer les programmes d’intégration actuellement offerts en entreprise, mais informent également les employeurs sur les meilleures pratiques en accueil de travailleurs et travailleuses étrangers temporaires, et ce, dans le but ultime d’avoir une main-d’œuvre sainement motivée et positivement engagée au travail. Cette recherche a également mené à des recommandations pratiques pour les organisations concernant les pratiques à adopter pour créer une culture de reconnaissance en milieu de travail.
Certes, il s’agit de résultats préliminaires issus d’une recherche appliquée, en milieu ciblé. Ainsi, certaines pistes demeurent à explorer davantage, pour mieux comprendre si, par exemple, les facteurs reconnus comme contribuant positivement à l’intégration socioprofessionnelle des travailleurs issus de l’immigration sont généralisables à d’autres secteurs d’activité et industries. De plus, la nature descriptive de cette étude, sans l’apport de milieu comparatif (ex. : autre complexe hôtelier), rend difficile l’identification absolue de certains facteurs comme favorisant ou nuisant à l’intégration socioprofessionnelle des TETs. À la suite de ce premier projet de recherche, il serait intéressant d’effectuer la même étude au sein d’une chaîne hôtelière implantée en région et recevant un plus grand nombre de TETS, pour vérifier la pertinence de nos résultats dans tous les contextes. De façon générale, il serait important de faire d’autres études similaires, autant avec des TETs originaires du Mexique que d’autres pays et cultures, dans le secteur du tourisme, ainsi que dans d’autres secteurs d’activité.
Néanmoins, ce type d’initiatives permet d’améliorer le recrutement, l’intégration et la rétention de TETs, tout en misant sur la valorisation des tâches, des rôles et des compétences des employés et sur la création d’une culture de reconnaissance, et ainsi pallier les risques auxquels font face divers secteurs tels que celui du tourisme québécois. Cela est d’autant plus primordial, considérant l’investissement colossal non seulement financier, mais également en temps et en ressources, que peut représenter l’accueil de TETs. En somme, ces initiatives émergentes semblent avoir le potentiel d’améliorer la santé économique des régions à travers le Québec qui souffrent déjà de la pénurie de main-d’œuvre.