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La nouvelle enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire révèle une augmentation inquiétante des troubles de santé mentale : 20 % des jeunes ont reçu un diagnostic de trouble anxieux en 2022-2023 par rapport à 9 % en 2010-2011 et 17 % en 2016-2017.
En effet, la santé mentale des adolescents se dégrade depuis 2010, une situation alarmante et en croissance. On sait que la pandémie de Covid-19 a entraîné des répercussions sur la santé mentale des jeunes du secondaire, avec 41 % des élèves estimant que leur santé mentale s’était détériorée en raison de la pandémie.
Elle a, entre autres, contribué à l’augmentation du temps d’écran avec 59 % des jeunes Québécois de 13 à 17 ans qui utilisaient Internet plus de 10h par jour en 2020.
En tant que doctorante en communication et chercheuse en études du jeu, je me spécialiste dans l’étude des comportements nuisibles retrouvés dans les environnements en ligne. Cet article a pour objectif d’éclairer les impacts d’un service d’intervention en ligne qui rejoint les jeunes vivant des situations difficiles directement dans leurs espaces numériques.
Lien entre les écrans et la santé mentale
Les jeunes passent la majeure partie de leur temps en ligne pour jouer, échanger ou visionner du contenu.
Pratiquement tous les jeunes utilisent les médias sociaux.
Or, on a tendance à identifier l’omniprésence des écrans dans la vie des jeunes comme étant la cause des problèmes de santé mentale que certains d’entre eux rencontrent. Pourtant, les données ne permettent pas d’établir cette conclusion.
D’ailleurs, il n’y a pas un seul et unique facteur qui contribue à ces enjeux. Désigner l’utilisation des médias sociaux comme la cause principale d’une crise de santé mentale chez les jeunes simplifie à cet égard la problématique : c’est la solution facile.
Bien qu’il soit important de ne pas négliger les risques associés aux plates-formes sociales en ligne, comme le cyberharcèlement, l’exposition à des contenus nuisibles ou l’isolement social, ces espaces peuvent aussi offrir une opportunité pour améliorer la santé mentale des jeunes.
Mais comment un espace numérique peut-il réellement faire une différence ?
Le travail de rue numérique
La Fondation des Gardiens virtuels (FGV) et son programme de Travail de Rue numérique (TRN) transforment l’espace numérique en lieu d’intervention en santé mentale. En agissant directement en ligne, la fondation offre ainsi un soutien psychologique aux jeunes qui vivent des situations difficiles.
Le travail de rue numérique repose sur les mêmes principes que le travail de rue traditionnel : aller à la rencontre des jeunes dans leurs environnements, établir des liens de confiance et les accompagner selon leurs besoins.
La différence ? L’espace d’intervention.
Au lieu de se limiter aux rues, aux parcs, aux centres de jeunesse ou communautaires, les interventions se déroulent sur des espaces numériques, comme les réseaux sociaux, les forums, les chats, les jeux en ligne et le streaming.
Les travailleurs de rue numérique connectent avec les jeunes de manière confidentielle via les plates-formes numériques pour offrir de l’écoute active et du référencement.
Que les jeunes soient en situation de détresse psychologique, de solitude, d’isolement, de dépendance, ou qu’ils aient simplement besoin d’écoute après avoir vécu une journée difficile, un intervenant est disponible pour les accompagner. Un jeune qui rencontre des problématiques suicidaires peut également obtenir de l’aide et du référencement via la rue numérique.
Plus de 1500 interventions ont été réalisées par les Gardiens de la santé mentale, présents chaque soir de 19 h à 22 h pour offrir leur service sur la plate-forme Twitch, connue pour la diffusion en direct de jeux vidéo.
Ce contact en temps réel avec les jeunes est précieux, car Twitch est une plate-forme utilisée par de nombreux jeunes, ce qui en fait un espace particulièrement accessible pour ce type d’intervention.
Il s’agit d’un service qui répond à un « besoin urgent », selon la travailleuse de rue Marika Saint-Jacques : « tous les soirs sont occupés, il y a toujours une intervention à faire auprès d’un jeune sans exception ». Bien que le programme de Travail de rue numérique ne soit pas un service offert en personne, Mme Saint-Jacques affirme que « la cyberintervention est aussi pratique que l’intervention réelle ».
Des interventions bien réelles
Nous avons tendance à qualifier les espaces numériques de « virtuels », ce qui laisse sous-entendre que ces mondes sont faux, voire irréels. Pourtant, selon les chercheurs en études du jeu, il n’y a pas de séparation distincte entre les mondes « virtuels » et le monde « réel ».
Les interactions qui découlent des mondes « virtuels » sont bien réelles et peuvent affecter une personne de la même manière que les interactions en personne. C’est cette idée que la géographe et théoricienne britannique Doreen Massey explore dans son ouvrage féministe For Space (2009), où elle conceptualise l’espace comme le produit des relations, un processus en constante évolution.
Autrement dit, l’espace est un processus dynamique façonné par les multiples interactions qui modifient ou influencent l’expérience des individus : une collection d’histoires en devenir.
Doreen Massey parle d’une vision « processuelle » de l’espace. Il s’agit d’une manière d’appréhender un phénomène en mettant l’accent sur son caractère dynamique, évolutif et relationnel, plutôt que de le considérer comme une entité fixe. En ce sens, l’espace numérique ne se réduit pas à une simple plate-forme ; il devient un lieu de transformation, où les trajectoires des jeunes se redéfinissent au fil des interactions avec les travailleurs de rue numériques.
Transformer les trajectoires des jeunes
Le travail de rue numérique permet de repenser le numérique comme un espace relationnel qui contribue au processus de transformation des jeunes.
Le travailleur de rue numérique Maxime Lacasse explique son processus de mise en relation avec les jeunes sur Twitch : dans l’optique de les rejoindre via leurs intérêts, il joue à des jeux vidéo et discute avec les jeunes de manière décontractée dans le but de créer un environnement propice à la confiance et à l’ouverture. Le travail de rue numérique croise ainsi les trajectoires des jeunes avec celles des intervenants, ce qui participe à former des liens.
Selon Doreen Massey, il faut considérer la multiplicité des récits et trajectoires, y compris celles qui sont marginalisées ou invisibles.
Notamment en créant un espace où il est possible pour les jeunes de s’exprimer sans crainte ni jugement et de manière anonyme.
Des émissions en direct sur Twitch sont également diffusées par les travailleurs de rue numérique pour sensibiliser les jeunes à des enjeux cruciaux, tels que la santé mentale, la prévention du suicide et le cyberharcèlement.
Le travail de rue numérique a donc un impact réel sur la santé mentale des jeunes, en contribuant à transformer leurs trajectoires par l’accompagnement et le référencement face à diverses problématiques. Plutôt que de réduire la hausse des troubles de santé mentale chez les jeunes à l’exposition aux écrans, rejoignons-les dans leur milieu, comme le fait la FGV. Les espaces numériques ne se limitent pas à de simples écrans ; ils ont le pouvoir d’influencer réellement la santé mentale des jeunes.
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Cet article a été publié en premier lieu sur La Conversation. Cliquer ici pour consulter l’article original.