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Notre histoire de vie parle, à un moment ou un autre, d’instants de procrastination. L’humain procrastine. Vous comme moi. C’est un concept auquel tous peuvent se référer, certains plus que d’autres. Pas étonnant que dans des contextes de prise de décision, la procrastination puisse jaillir et paralyser une réflexion.
Nous connaissons la mélodie : un vécu invalidant provoque un désir de changement. Ce désir grandit jusqu’à y prendre des initiatives pour renverser la situation, par exemple consulter un professionnel. Lorsque la personne constate les risques associés au changement, la mise en action se refroidit et l’ambivalence s’installe… Parfois longtemps.
Il y a certainement des bénéfices à procrastiner. Il serait difficile de s’imaginer rester plongé dans l’inconfort en permanence jusqu’à la prise de décision. L’article vise à faire gagner en compréhension ce phénomène et à s’outiller quelque peu face à lui. Le vécu et l’intervention face à la procrastination décisionnelle sont bien sûr immensément plus riches que ce qui sera décrit dans l’article.
Difficile de bien cerner ce qu’est la procrastination et ce qu’elle implique. Dépend-elle du contexte ou est-ce un trait personnel stable? Est-ce un peu des deux? Il ne semble pas y avoir consensus dans la littérature scientifique pour l’instant. Cependant, il semble bien y avoir une différence entre l’indécision et la procrastination. Cette dernière débuterait lorsque de potentielles conséquences négatives surpassent les conséquences positives d’un délai qui se maintient volontairement (Klingsieck, 2013), ou encore lorsque le report de la décision a pour but d’éviter de vivre un inconfort important (Janis et Mann, 1977).
La procrastination décisionnelle a inspiré bon nombre de modèles pour mieux la comprendre, dont celui de Janis et Mann (1977), qui a par la suite inspiré en partie l’entretien motivationnel (Miller et Rollnick, 2013).
Résumé grossièrement, le modèle de Janis et Mann contextualisait le phénomène de la procrastination ainsi : lorsque l’individu est confronté à des options qu’il juge insatisfaisantes et qu’il n’a pas à prendre de décision imminente, l’individu risque de manifester de la procrastination décisionnelle.
Cette compréhension de la procrastination laisse présager deux facteurs importants, soit l’attrait des options et la nécessité de décider. Ces deux éléments, mais particulièrement l’attrait, sont probablement plus des conclusions subjectives. Elles sont donc susceptibles de pouvoir changer selon nos discussions avec les autres et notre discours interne.
En contexte de processus d’orientation, l’attrait des options est souvent un sujet de discussion bien garni. La nécessité de décider l’est cependant peut-être moins. Les conséquences du choix sont mises sur la table, mais qu’en est-il des conséquences du non-choix? À ne pas confondre avec la décision de maintenir sa situation actuelle, qui elle, est un choix.
Le non-choix revient à une absence de décision volontaire pour éviter un inconfort alors que l’individu sait bien qu’il serait bénéfique de décider. Il est plus qu’indécis : il ne veut pas choisir.
En ce sens, les conséquences de ne pas choisir peuvent être tout aussi incohérentes pour soi que les conséquences associées à un choix. Pour certains, ne pas prendre de décision par procrastination revient à faire perdurer une situation malheureuse, épuisante ou inconfortable. Louis Cournoyer et Lise Lachance (2018) apportent un éclairage intéressant à cette dynamique : vaut-il mieux un malheur connu ou un bonheur incertain?
Par ailleurs, le modèle de Janis et Mann pousse un peu plus loin leur contextualisation. Grossièrement encore, l’individu ayant pratiqué la procrastination décisionnelle, qui est toujours insatisfait de ses options, mais pour qui maintenant l’heure limite approche et qui doit prendre une décision, est susceptible soit d’assigner la responsabilité de choisir à quelqu’un d’autre ou de choisir l’option la moins répréhensible socialement. Deux tendances qui, curieusement, si vous êtes conseiller d’orientation, pourraient vous sembler drôlement familières.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
Références :
Cournoyer, L. et Lachance, L. (2018). L’ado en mode décision : sept profils pour comprendre et aider son choix de carrière. Septembre Éditeur.
Janis, I.L. et Mann, L. (1977). Decision making : A psychological analysis of conflict, choice and commitment. New York, NY, É.-U. : Free Press.
Klingsieck, K.B. (2013). «Procrastination : When good things don’t come to those who wait.» European Psychologist, 18 (1), 24-34.
Miller, W.R. et Rollnick, S. (2013). Motivational Interviewing : Helping People Change. (s.1.): Guilford Press.