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Introduction
Pour répondre de façon adéquate à cette question quant à l’origine au Québec du concept INDIVIDU-TRAVAIL-FORMATION, il y aurait lieu de tenir un symposium ou d’y consacrer un mémoire complet, et ce, le plus rapidement possible, afin d’avoir de vive voix les avis de protagonistes importants encore vivants en lien avec ladite question avant qu’ils ne s’éteignent d’une manière ou d’un autre, tels les Pierrette DUPONT, Denis PELLETIER, Denis GRENON, Doria ROSS, Jacques LIMOGES, Liguori LARRIVÉE, Marcelle GINGRAS, Louise LANDRY, Laurent MATTE et Réginald SAVARD1, entre autres, pour les raisons que j’élaborai ci-dessous. De nos jours, compte tenu de la pratique scientifique en cours, soit celle de limiter la revue de littérature sur un sujet donné aux dix dernières années2, cela devient un handicap majeur qui fait que, oh combien aberrant et fort couteux, on invente la roue à chaque décennie en criant triomphalement « Eureka, je suis le premier à avoir trouvé… »!
Alors, jusqu’à ce qu’un tel événement se réalise, et pour contrer ce handicap voire cet interdit, je tenterai « de mémoire »3 une première réponse à cette question en me permettant, ici et là, quelques anecdotes ou hypothèses, tout en étant ouvert à d’éventuels ajouts et corrections –surtout en provenance des personnes ci-haut mentionnées – que cet « essai » pourrait susciter.
Contexte historique
Le Rapport Parent (1961) misait résolument sur l’Information scolaire et professionnelle (ISEP)4 pour guider les jeunes tout au long de leurs études secondaires dans des institutions dites polyvalentes. Cette ISEP fut initialement assurée par des documentalistes sous la tutelle des conseillers d’orientation (c.o.), alors appelés orienteurs (cf. DUPONT). Mais dès que cette ISEP fit l’objet de rencontres-classes et fut mise à l’horaire, elle fut confiée à des enseignants qui, une fois émancipés de ladite tutelle5, décidèrent de s’appeler professeurs d’orientation6 (cf. GRENON) ce qui, d’une part, causa une rupture avec la Corporation7 des c.o.; d’autre part, créa une confusion déplorable dans le monde éducatif, en particulier chez les parents et surtout chez les élèves.
Alors, au cours d’une assemblée générale tenue à Sherbrooke en 1973, l’Association des professeurs en orientation du Québec (APOQ) devint – à la suite d’un remue-méninges entre Pierre LAPALME, Pierre PICARD et moi-même8 – l’Association québécoise d’information scolaire et professionnelle (AQISEP) (cf. LARRIVÉE). Reconnaissante de cette ouverture, la Corporation reconnut publiquement l’Information scolaire comme étant le champ de compétences des professeurs d’ISEP mais, du même souffle, réaffirma que l’Information professionnelle – lors qu’elle est intégrée dans un processus de conseil – faisait exclusivement partie du mandat des c.o..
Au tournant du siècle9, l’ISEP cessa d’être une « matière à l’horaire » et fut partiellement intégrée dans des animations intradisciplinaires sous le vocable d’Approche orientante (AO). En pratique, l’ISEP redevenait l’affaire des c.o. (cf. LANDRY et GINGRAS).
En parallèle à ce Qui fait quoi
Dès la fin des années 60, et afin d’habiliter les divers intervenants associés à l’ISEP quelle que soit sa forme ou sa modalité, un diplôme de perfectionnement fut d’abord créé à l’Université Laval, puis repris par les universités de Sherbrooke et de Montréal. Quelques années plus tard lorsque l’ISEP devint une matière à la maquette-horaire, l’UQAM développa un baccalauréat spécialisé offert simultanément en formations initiale et continue. Sherbrooke alla dans le même sens en y ajoutant dès 1970 une maitrise, la première maitrise en éducation pour cette université.
Sous la houlette d’un directeur s’affichant ouvertement comme anti-corporation des c.o., l’UQAM fit évoluer son baccalauréat et plus tard sa maitrise vers le concept émergeant de carriérologie10 (cf. ROSS). Récemment, à l’occasion de ses dernières révisions de programmes, l’UQAM opta pour une terminologie de l’heure et davantage conventionnelle en privilégiant les mots « développement » et « counseling » pour décrire ses programmes de premier et de deuxième cycles.
En contrepartie, exploitant à fond le modèle interactionniste, l’Université de Sherbrooke opérationnalisa dès le début des années 80 dans ses programmes, tant théoriquement que pratiquement, le concept de dynamique INDIVIDU-ÉTUDE-TRAVAIL, concept intégrant entre autres l’orientation scolaire et professionnelle, d’où la démarche de cette université pour obtenir une admission automatique à l’Ordre des c.o. Parallèlement, à l’occasion d’un congrès tenu à Sherbrooke en 1981, l’Ordre s’appropria ce concept triangulaire pour définir sa spécificité. Il est reconnu que j’ai grandement contribué à ces efforts d’opérationnalisation de ce concept en développant, entre autres, les occasions dites carriérologiques (Limoges, 2018; 1992; 1983).
Du concept d’I-E-T à celui d’I-T-F
Au cours de sa défusion en 1990 et surtout lors de l’application du projet de loi 21 visant à réduire le nombre d’ordres professionnels au Québec en ne capitalisant que sur les compétences exclusives, le nouvel ordre pour les c.o. (OCCOQ) créa un comité en vue de définir cette spécificité et, m’a-t-on dit, la dynamique INDIVIDU-ÉTUDE-TRAVAIL semblait le concept le plus rassembleur quoi que, m’a-t-on dit encore, on craignait que ce choix pur et simple soit perçu comme un biais pro-Sherbrooke et anti-UQAM. J’ajouterais l’hypothèse en référence aux conceptions typiquement nord-américaines, comme se situant davantage dans la foulée de la guidance que du counseling du fait que la mot Étude – sous toutes ses formes donc au singulier pour signifier le générique – précède le mot Travail et apparait donc comme ayant la préséance dans la temps, et ce, sans compter que d’autres intervenants tels les conseillers en ISEP, les tuteurs, les aides pédagogiques individuels (API) et les conseillers pédagogiques pouvaient éventuellement revendiquer avec justesse une part de la spécificité qu’est l’Information scolaire.
Peut-être qu’inconsciemment (autre hypothèse de ma part) a ressurgi chez les membres dudit comité la revendication de jadis quant à l’Information professionnelle comme étant une exclusivité des c.o., ce comité opta finalement pour INDIVIDU-TRAVAIL-FORMATION, concept qui fut très majoritairement ratifié à une assemblé générale spéciale en 201211. Par la suite « mes » occasions carriérologiques furent récupérées et pairées pour devenir des « RE » comme dans Orienter – Réorienter, Insérer – Réinsérer, etc. (Cf. MATTE et SAVARD).
Que nous réserve l’avenir ?
Ainsi, en substituant le mot Étude par celui de Formation et plaçant ce mot après celui de Travail on risque de donner l’impression que l’Étude se limite à des scolarités et est entièrement tributaire du Travail, que ce soit avant (formation initiale) ou pendant celui-ci (formation continue).
Or, comme je l’ai déjà écrit et comme l’a brillamment démonté HARARI (2022), l’Étude peut devenir un contre-poids au Travail, par exemple en compensant pour son absence (cf. chômage) ou en réduisant ses excès ou encore en compensant ses lacunes et, plus que jamais, à cause de ou grâce à l’infotech et à la biotech, l’Étude pourrait devenir une alternative au Travail comme génératrice d’identité et porteuse de sens.
* Dans le but d’alléger le texte et d’en faciliter la lecture, le générique masculin est utilisé comme genre neutre.
1. Serait également essentiel, un survol des différents numéros des revues Carriérologie et L’orientation professionnelle, en particulier pour définir la posture de deux protagonistes importants, soit Doria ROSS et Jacques LIMOGES.
2. Idem pour les CV des professeurs-chercheurs.
3. D’où quelques dates approximatives.
4. Je crois qu’au départ il était question de « Renseignements sur les écoles et professions ».
5. L’argument majeur était qu’en ayant un premier cycle universitaire, ces professeurs étaient professionnellement des vis-à-vis par rapport aux C.O.; la formation de ceux-ci se limitait alors à un premier cycle appelé License.
6. Traduction littérale de « guidance teacher ».
7. Dans ce texte, les mots Corporation et Ordre seront librement utilisés comme synonymes eu égard à leurs repères chronologiques.
8. Plus précisément, ce déclic s’est produit à la sortie ouest de Deauville devant l’église Notre-Dame de Liesse.
9. Afin d’assurer des relations et suivis plus personnalisés et soutenus entre les enseignants et les élèves, le MÉQ opta alors pour l’abolition de ce qui était qualifié de « petites matières ». Celles-ci furent en principe réparties dans 5 grands domaines : Langues; Mathématiques, sciences et technologies; Univers social, Arts et Développement de la personne. Par ailleurs, il était devenu courant que l’ECC servait à compléter la tâche d’un enseignant eu égard de ses compétences en la matière, ce qui fit que l’ECC « manqua d’amour » et fit l’objet de beaucoup de critiques et de déceptions de la part de toutes les parties en cause.
10. La paternité de ce néologisme est attribuée à Richard JOLY. Pierre DODIER (1987) fit une première tentative pour définir ce qu’il a appelé à la nature et contours de la carriérologie appliquée.
11. Avec une terminologie légèrement différente quoiqu’équivalente, cette définition fut mise de l’avant par l’AIOSP dès 1987.
Références
Dodier, P. 1987. « Nature et contours de la carriérologie appliquée » Revue carriérologie. 3(3).
Harari, Y. 2022. 21 leçons pour le XXIe siècle. Paris : Albin Michel.
Limoges, J. 2018. La dynamique Individu-Étude-Travail. L’orientation et le développement de carrière. Paris : Qui plus est.
Limoges, J. 1992. « L’insertion socioprofessionnelle, un processus permanent et continu » dans Dupont, P. École et travail. Sherbrooke : CRET.
Limoges, J. 1983. « La relation dynamique Individu-Étude-Travail ou l’orientation à la recherche de ses origines ». Orientation professionnelle, 19(1).