SLAV émancipée
Diversité

SLAV émancipée

Dans la foulée de mes billets « Moi et les minorités » et « Sacré tambour », ce billet-ci fait partie d’une série sur l’appropriation culturelle, expression qu’à la suite de Dufour (cf. Médium large, Radio-Canada, 18-01-2019) je trouve de plus en plus injuste et erronée. Si ce politicologue reproche à cette expression d’être intrinsèquement raciste du fait qu’elle ne réduit tout débat et toute réflexion qu’à la race, je trouve pour ma part cette expression injuste et tendancieuse car elle exclut toute réciprocité. Ainsi, si comme l’indiquait les journaux du 16 janvier dernier (cf. Zach Poitras et Snow-flake Comedy Club), un Blanc qui porterait des tresses rasta (dreadlocks) ferait de l’appropriation culturelle, alors pourquoi ce ne serait pas le cas lorsqu’un Noir défrise de façon permanente ses cheveux? Bien sûr, nous sommes dans le rapport majorité<->minorité diront certains, mais cela ne justifie pas l’exclusion! 

Dans tout le débat récent faisant un rapprochement entre l’appropriation culturelle et la représentation théâtrale Slav, il a été entre autres question de la créativité et de la liberté d’expression comme dans le cas d’acteurs jouant le rôle de d’autres personnes; une forme d’appropriation culturelle inversée! En tant que conseillers en développement de carrière, ce débat ne devrait pas nous laisser indifférents pour entre autres les raisons suivantes : 

  • Nous avons parmi nos clients, des personnes attirées ou exerçant des métiers de scène. Alors comment les aider à actualiser pleinement leurs aspirations si nous avons un tel biais désapprobateur?
  • Par ailleurs, sous l’appellation empathie, nous sommes en quelque sorte formés pour entrer dans la peau de nos clients afin de mieux les comprendre et, partant, de mieux les aider/accompagner. Ainsi, grâce à cette empathie, nous nous approprions pour un moment et dans un contexte d’alliance leurs perceptions et ressentis!
  • Mais l’empathie n’est pas l’exclusivité des professions d’aide comme la nôtre. Elle doit également être présente dans tous les métiers et professions en direction des humains comme la médecine, l’anthropologie, l’histoire, et l’urbanisme pour n’en nommer que quelques-uns. Toutes ces professions requièrent un minimum d’appropriation culturelle sinon leurs contributions risquent d’être un échec grotesque comme nous pouvons le constater avec la décision du Fédéral de traverser les terres d’une Première nation avec un oléoduc.

Pas étonnant alors que ces pratiques –et les formations qui les précèdent—impliquent généralement et plus ou moins formellement des jeux ou prises de rôles ainsi que des prises alternatives de position. En somme, autant de réalités professionnelles impliquant diverses formes d’appropriation culturelle et, afin d’éviter que ces appropriations soient tendancieuses, la Société a prévu des codes de déontologie et d’éthique.  

Je viens d’assister à la représentation Slav que j’ai beaucoup appréciée. Ce fut en quelque sorte un prolongement de mon voyage du printemps dernier en Louisiane où j’en ai profité pour visiter quelques plantations historiques de coton et de canne à sucre. Or, j’ai particulièrement aimé visiter Whitney une plantation transformée en un musée sur l’esclavage dans cette contrée et où on a répertorié la « généalogie » de plus de 1700 esclaves. Pour l’essentiel, les propos tenus dans Slav correspondent à ce qui y est dit et écrit. Or, en fin de parcours, notre guide le professeur Ihahima Seck déplorait le fait que ce musée était surtout visité par des Noirs et des étrangers et très peu par des Blancs étatsuniens, alors que selon lui, l’esclavagisme est l’héritage de tout le monde. En concluant ainsi, il rejoignait on ne peut plus son compatriote Vincent Brown de l’Université d’Harvard qui, dans le cadre d’une excellente série sur l’esclavagiste présentée aux Grands reportages de Radio-Canada à l’automne dernier (11-11-2018), disait :

« On aura vraiment progressé le jour où on reconnaîtra tous les esclaves comment faisant partie de notre histoire commune. L’histoire de l’esclavage n’est pas l’histoire des Noirs ni juste celle de la colonisation blanche. L’histoire de l’inégalité des hommes est notre histoire à tous que nous devons tous combattre. Les Blancs ne doivent pas se considérer uniquement comme des descendants de propriétaires d’esclaves mais aussi comme des descendants d’esclaves… Ce qu’on a fait de ces inégalités dépend entièrement de nous; c’est ça qui peut vraiment nous aider à aller de l’avant en tant que société » (Vincent Brown). 

En somme, comme Seck, cet imminent professeur-chercheur d’origine afro-américaine, affirme que l’esclavagisme était l’affaire de tous et chacun, quelle que soit sa race.  

Or la nouvelle édition de Slav  (malheureusement je n’ai pu voir la première) contribue à cette réappropriation et à cette responsabilisation d’abord en nous informant sur certains béabas en la matière comme : l’origine de l’esclavage et de ce mot; la racisation de l’esclave, un phénomène étatsunien; les voies clandestines (désertions) et légales (affranchissements, lois) d’émancipation; la ségrégation, le racisme systémique; l’esclavage moderne auquel nous contribuons par exemple par bon nombre de nos achats et de nos voyages, etc. Ce concert théâtralisé –car dans Slav l’accent est mis sur les chants d’esclaves– contribue également à cette saine et nécessaire réappropriation en nous faisant emphatiquement communier aux vécus-ressentis par ces personnes. Ainsi dans cette nouvelle version, un peu comme une métaphore, c’est une Blanche qui découvre qu’elle a une ancêtre noire qui en venant au Canada et en s’installant dans la région de Québec a fui l’esclavage. Est-ce mon cas? Est-ce votre cas? 

Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.
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Professeur au Département d’Orientation professionnelle de l’Université de Sherbrooke durant plus de 25 ans, le pédagogue a brillé d’originalité pour former ses étudiants, souhaitant non pas les cloner, mais bien les mettre au monde en tant que conseillers. Sa différence est devenue référence, comme en témoignent les prix qu’il a remportés, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés et les ateliers de formation qu’il a animés sur le counseling de groupe et sur l’insertion professionnelle. Depuis 2001, il n’a de retraité que le nom puisqu’il demeure très actif comme professeur associé. De plus, le prolifique auteur n’a pas rangé sa plume et le réputé conférencier manie toujours le verbe avec autant de verve et d’à-propos.